Les amateurs de son œuvre le savent bien : Jacques Tardi est un boulimique de travail qui dessine matin, midi et soir. Or, « Dessins matin, midi et soir », c’est le titre d’un beau petit recueil édité par Oblique Art (structure dirigée par Pierre-Marie Jamet) qui nous propose pas moins de 160 pages rassemblant des illustrations réalisées par le créateur d’« Adèle Blanc-Sec », sélectionnées dans les nombreux carnets qu’il a noircis (voire mis en couleurs) tout au long de sa remarquable carrière d’auteur du 9e art : croquis, études de personnages… et même courtes bandes dessinées iconoclastes inédites.
Lire la suite...« Comment je ne suis pas devenu moine » par Jean-Sébastien Bérubé
Parce qu’il ne se sent pas bien dans sa peau ni dans celle de la société de consommation qui l’entoure et lui pèse, Jean-Sébastien Bérubé décide de se tourner vers des valeurs a priori plus humaines, plus naturelles, plus sincères : celles du bouddhisme. Mais l’auteur va déchanter peu à peu, surtout en décidant d’aller découvrir sur place, au Népal puis au Tibet, ce qu’il en est…
À l’âge de 12 ans, Jean-Sébastien Bérubé a découvert le bouddhisme tibétain à travers des œuvres aussi diverses que celles du Dalaï-Lama, d’Alexandra David-Néel… ou « Tintin au Tibet ». En 1999, sa décision est prise : il va devenir moine, mais moine bouddhiste. Pas question pour lui d’admirer un dieu, mais bel et bien de partager des valeurs. Canadien, il rencontre d’abord à Montréal des représentants locaux qui l’incitent à aller voir sur place, car c’est là -bas qu’on peut devenir moine. Alors, en 2005, il entreprend le voyage, direction Katmandou.
Les premiers jours sont difficiles, tant la capitale népalaise le déstabilise : bruyante et harcelante. Très vite, il comprend qu’on en veut à son argent et qu’autour des touristes s’agite toute une faune de faux moines, de faux mendiants, de profiteurs en tous genres, même au pied du stupa de Bodanath, pourtant entouré de monastères bouddhistes, mais situé en pleine ville.
Jean-Sébastien se fait néanmoins des amis et multiplie les rencontres dont les messages spirituels le laissent plus perplexe que convaincu. Il explore aussi la ville et en découvre les sites mythiques, rites et coutumes compris. Swayambunath et ses singes sont au programme ou la pittoresque et fascinante ville de Bhaktapur. Tout cela ne le convainc guère, il lui faut aller chercher le bouddhisme au cœur de ses racines : au Tibet et à Lhassa.
Les démarches ne sont pas simples, mais Jean-Sébastien Bérubé parvient à obtenir les papiers et file à présent vers la Chine, en bus. Le passage de la frontière, les multiples contrôles, bref la mainmise chinoise sous toutes ses formes l’impressionne au plus point. Et c’est d’ailleurs la partie de l’album la plus intéressante. On est loin à présent de la touristique Katmandou. Là , c’est l’oppression chinoise et les difficultés de circulation qu’elle génère pour des visiteurs étrangers : un monde où le bouddhisme se cache, où la pratique religieuse est sous contrôle et où même une photo du Dalaï-Lama n’a pas droit de cité.
Pour autant, la volonté farouche pour l’auteur de s’initier aux valeurs bouddhistes reste forte, mais les désillusions s’accumulent, même au célèbre Potala, à Lhassa, devenu Musée de la République populaire de Chine ! Le voyageur ne s’en laisse pas conter et continue son exploration de monastère en monastère. Mais lorsqu’on interdit les femmes dans la salle principale du monastère de Réting, il ne supporte guère qu’on n’y respecte pas les valeurs bouddhistes les plus élémentaires ! Alors, sa colère monte face aux interdits, aux superstitions, aux rackets et Jean-Sébastien Bérubé a de plus en plus l’impression de se faire « avoir comme un débutant ». Ce bouddhisme-là ne correspond pas à ses attentes, il n’est que magie, mensonges, commerce : la désillusion est terrible, mais le parcours initiatique l’a rendu lucide, ce qui n’est pas si mince comme leçon de vie !
Cet album dessiné d’un trait tremblé et esquissé de plus en plus caractéristique des carnets de voyage, ne manque donc pas de saveur et d’intérêt. On pourra d’ailleurs revenir « aux sources », puisqu’on parlait d’elle un peu plus haut, avec le tout récent deuxième tome d’« Une vie avec Alexandra David-Néel » : excellent diptyque signé Fred Campoy et Mathieu Blanchot, dont nous avons présenté le tome 1 sur BDzoom.com. Enfin, on pourra redécouvrir « Les Sentiers du Nirvana » de Mark Hendriks, chroniqué ici même et dont la « morale » n’est pas très éloignée de « Comment je ne suis pas devenu moine ».
Didier QUELLA-GUYOTÂ ([L@BD-> http://9990045v.esidoc.fr/] et sur Facebook).
http://bdzoom.com/author/didierqg/
« Comment je ne suis pas devenu moine » par Jean-Sébastien Bérubé
Éditions Futuropolis (29 €) – 978-2-7548-1676-2