Depuis 2021, chaque année, Tiburce Oger rassemble une belle équipe de dessinateurs et dessinatrices pour évoquer l’Ouest américain à travers des personnages authentiques – le Far West, donc – et l’exploitation de ces territoires par des individus qui oubliaient, bien souvent, qu’ils n’étaient que des colonisateurs assoiffés de richesses…
Lire la suite...« Big Bang Saïgon » par Maxime Péroz et Hugues Barthe et « Les Mariées de Taiwan » par Clément Baloup
Double actualité vietnamienne à la Boite à Bulles en janvier : deux albums paraissent liés à ce pays et, le moins qu’on puisse dire, c’est qu’ils sont très différents sinon incomparables Dans les deux cas, pourtant, il s’agit d’enquêtes. Dans « Big Bang Saïgon », le narrateur (qui semble être le dessinateur puisqu’il porte son prénom) s’est mis en tête de retrouver un oncle inconnu, né là -bas au moment de la guerre d’Indochine. Dans « Les Mariées de Taiwan », l’enquête – on pourrait dire le reportage -, porte sur ces femmes exilées qui dans les années 90 sont allées par milliers se marier en République Démocratique de Chine…
« Big Bang Saïgon », c’est d’abord l’histoire d’un grand-père qui a fait l’Indochine dans les années 1950, qui a vécu avec une congaï comme tant d’autres, et a eu un enfant avec elle, comme beaucoup d’autres également, un enfant non reconnu, comme c’était souvent le cas ! Secret de famille oblige, on en parle à mots couverts, mais pour le narrateur,  la question qui le taraude est : comment peut-on abandonner femme et enfant et rentrer chez soi, tranquillement en 1954 ? Et pourquoi son propre père n’a-t-il pas cherché à en savoir davantage sur ce frère vietnamien ?
Quand on est sans boulot et sans projet, voilà qui titille l’imagination et permet à l’auteur de se motiver pour bosser, économiser et partir. Direction Ho Chi Minh (Saigon) : enquête et voyage commencent ! Au fil de ses recherches, le narrateur découvre les rues, les habitudes, les gens, leur gentillesse. Il se lie d’amitié ici et là et rencontre Akiko, une jeune Japonaise installée au Vietnam qui lui fait peu à peu oublier ce pourquoi il était venu. Leur liaison torride occupe les journées, obsède les corps et les pensées, de plus en plus amoureuses. Maxime revient en France, puis repart… Mais l’oncle inconnu dans tout ça ?
Le Vietnam que nous montrent les auteurs ne se limitent heureusement pas à des chambres agitées, des draps défaits et des postures kamasoutresques (plutôt bien dessinées par Maxime Péroz, cela dit !). Le Vietnam est bien présent et les décors extérieurs sont justement traités avec plus de détails (genre carnets de voyage) que les personnages. Un parti-pris bicolore les met parfaitement en valeur, par exemple en noir et blanc d’où se détache en jaune verdâtre le premier plan (la moto conducteur, par exemple) – comme on peut l’observer en couverture -, comme si l’action se détachait d’un arrière-plan doté d’une certaine intemporalité.
Cette balade familiale, amoureuse, sensuelle et voyageuse, n’est donc pas sans séduction : le trait souple et suggestif y est pour beaucoup, mais l’érotisme cru et fier, assumé au-delà de tout exotisme, également.
Évidemment, l’ouvrage de Clément Baloup agite un contrepoint sociétal autrement plus dramatique, puisqu’il s’appuie sur ce phénomène des années 90 où nombre de jeunes vietnamiennes, via des agence matrimoniales, ont choisi de se marier avec des Taiwanais. « Choisi », c’est toute la question ; on parle d’ailleurs ici de « mariage négocié ». Les femmes décident semble-t-il (tandis que les parents profitent d’une rétribution) – ce que semblent confirmer les témoignages recueillis par Baloup -, pour échapper à la pauvreté. L’Eldorado est à portée de main, mais ont-elles réussi leur pari et leur vie ? N’était-ce pas la porte ouverte à la prostitution ? Et que dire des belles-familles qui traitent comme des domestiques ces femmes qui maitrisent peu la langue et dont les enfants ont quelquefois un peu honte ?
Très instructif, ce nouveau volet vient compléter la série Mémoires de Viet Kieu » dont deux tomes ont déjà été publiés et dont nous avons déjà rendu compte ici-même sur BDZoom. Comme nous le disions, « graphiquement, cet album se démarque totalement de « Quitter Saigon »: l’auteur qui jouait de contours charbonneux ou peaufinait des couleurs impressionnistes, change son crayon d’épaule et pratique un trait plus sec, plus dépouillé, quelquefois appuyé d’une mise en couleur monochrome ».
Ici, le trait et les couleurs sont totalement au service du docu-fiction. À noter d’ailleurs que des pleines pages portraits résument sous leurs prénoms ce que sont devenues certaines d’entre elles. Dans certaines séquences, dans un style plus inventif, des personnages métamorphosés représentent symboliquement ce qu’ils sont. Le quotidien se fait fantastique, mais pas forcément heureux, loin de là  !
Didier QUELLA-GUYOTÂ ([L@BD-> http://9990045v.esidoc.fr/] et sur Facebook).
http://bdzoom.com/author/didierqg/
« Big Bang Saïgon » par Maxime Péroz et Hugues BartheÂ
Boite à Bulles (24 €) – 978-2-84953-264-5
« Les Mariées de Taiwan » par Clément Baloup
Boite à Bulles (24 €) – 978-2-84953-234-8
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