Les amateurs de son œuvre le savent bien : Jacques Tardi est un boulimique de travail qui dessine matin, midi et soir. Or, « Dessins matin, midi et soir », c’est le titre d’un beau petit recueil édité par Oblique Art (structure dirigée par Pierre-Marie Jamet) qui nous propose pas moins de 160 pages rassemblant des illustrations réalisées par le créateur d’« Adèle Blanc-Sec », sélectionnées dans les nombreux carnets qu’il a noircis (voire mis en couleurs) tout au long de sa remarquable carrière d’auteur du 9e art : croquis, études de personnages… et même courtes bandes dessinées iconoclastes inédites.
Lire la suite...« L’Art du Géant de fer » par Ramin Zahed et Brad Bird
En marge de la bande dessinée, n’oublions pas le travail des studios d’animation… Produit par Warner Bros en 1999, et depuis lors considéré par les fans, les critiques et les historiens du cinéma comme un des plus beaux longs-métrages d’animation de ces cinquante dernières années, « Le Géant de fer » demeure encore méconnu. Paru cette année à l’occasion de la ressortie en salle du film dans une version restaurée (en France le 7 décembre), un bel ouvrage de 160 pages (signé de Ramin Zahed et édité par Akileos) revient sur la genèse artistique de ce monument, complété d’entretiens inédits avec Brad Bird et son équipe. Un beau cadeau en perspective pour les fêtes de fin d’année !
Devenu un film culte de la fin des années 1990, « Le Géant de fer » (voir la bande-annonce) se déroule dans la petite ville de Rockwell (Maine), à la fin des années 1950. Porteur d’un message implicite sur la guerre et sa paranoïa, le récit célèbre l’amitié et la non-conformité en racontant la poignante rencontre d’un enfant rêveur et solitaire (Hogarth Hugues) avec un visiteur de l’espace pour le moins insolite : un robot en acier de 15 mètres de haut ! Si nous savions que le cinéma aime les géants de tous ordres – comme l’a prouvé encore récemment Spielberg avec son adaptation du « Bon gros géant » de Roald Dahl -, il n’en demeurait pas moins que le scénario était particulièrement atypique dans le contexte des années 1990. À l’époque, et même si le public commençait visiblement à s’en lasser, le canevas standardisé du fil d’animation (façon Disney) plébiscitait encore le conte de fée traditionnel, plus ou moins transformé en comédie musicale. En 1998 et 1999, « Mulan », « Fantasia 2000 », « Tarzan » (Disney) et « Le Prince d’Égypte » (Dreamworks) caracolaient en tête du box-office, alors que débutait l’ère de l’animation 3D avec « 1001 pattes » (Pixar, 1998), « Fourmiz » (Dreamworks, 1998) suivis par « Toy Story 2 » (Pixar 1999) et ses 485, 6 millions de dollars de recettes mondiales.
Selon le réalisateur Brad Bird (depuis devenu « un nom » en enchaînant sur « Les Indestructibles » (Pixar, 2004), « Ratatouille » (Pixar, Oscar du film d’animation 2007) et le palpitant « Mission impossible : protocole fantôme » en 2011), le concept du « Géant de fer » se devait d’aller à l’essentiel : « Et si une arme avait une âme ? » Ancrée en octobre 1957 pour évoquer l’anxiété provoquée aux USA par la mise en orbite du premier satellite Spoutnik russe, l’intrigue évoque la guerre Froide, la bombe atomique et la course à l’exploration spatiale. Rendant hommage aussi bien à « E.T. » (Spielberg 1982) qu’aux classiques des années 1950 (« Le Jour où la Terre s’arrêta » par Robert Wise en 1951 ; « Les Soucoupes volantes attaquent » de Fred Sears en 1956), le film combine ce que Bird n’a pas encore vu sur grand écran : « un spectacle digne d’un film d’action, avec [...] des moments forts pour les personnages [...]. »
Pour convaincre Warner, Brad Bird ne part pas de rien mais adapte un best-seller de la littérature jeunesse, à savoir « The Iron Giant » de Ted Hughes, paru en 1968. Précisons que l’histoire originelle, se déroulant en Angleterre, voyait l’enfant et le robot luttaient de concert contre un monstre surgi du fin fond de l’espace. Hugues écrira une suite intitulée « The Iron Woman » en 1983. Aux États-Unis, le titre sera modifié pour ne pas produire de confusion avec un certain super-héros…
Marquant toute une génération, « Le Géant de fer » n’est pas sans évoqué les relations enfants-robots déjà croisées dans « Le Roi et l’Oiseau » (Paul Grimault, 1980) ou « Le Château dans le ciel » d’Hayao Mizayaki (1986). A son tour, l’œuvre influencera Disney pour « Atlantide, l’empire perdu » (2001 ; style visuel inspiré de Mike Mignola)… et quelques séries BD comme « S.A.M. » (Shang et Marazano) ou « Rock & Stone » (Jean et Valéani).
La fiche technique du « Géant de fer » donne le tournis aux cinéphiles : outre Brad Bird, citons Joe Johnston (réalisateur de « Jumanji » ou « Captain America : First Avenger ») comme concepteur du robot, Michael Kamen (« Highlander », « Robin des Bois ») comme compositeur et Vin Diesel ou Jennifer Aniston comme voix de doublage au casting de la version originale ! Plus que cette conjugaison de talents, le mérite du film (qui remportera le BAFTA du meilleur film d’animation en dépit de ses quelques 31 millions de dollars de recettes) est d’avoir transcendé les barrières culturelles de la manière la plus magique qui soit, en magnifiant l’art du dessin animé d’antan. Un travail d’exception dont rendent admirablement compte les dizaines de visuels inédits rassemblés dans l’ouvrage making-of édité chez Akileos. Mais qu’attendez-vous pour réserver vos places de cinéma ou courir acheter le (prochain) coffret collector Blu-ray ?!
Philippe TOMBLAINE
« L’Art du Géant de fer » par Ramin Zahed et Brad Bird
Éditions Akileos (35,00 €) – ISBN : 978-2355742774