« Là où vont les fourmis » par Michel Plessix et Frank Le Gall

Les gens heureux n’ont pas de rêve à réaliser ! C’est ce qu’affirme Zakia, une vieille chèvre sentencieuse, au candide Saïd. Celui-ci ne peut donc être heureux, puisqu’il a un rêve : savoir où vont les colonnes de fourmis ! Ce dialogue bien troussé est au cœur d’un moment clef d’un conte oriental foisonnant, classique et moderne à la fois. Poétique et drôle, « Là où vont les fourmis » s’adresse aux enfants, mais les adultes vont adorer jusqu’à une morale inattendue.

Dans un village perché au fin fond d’une région perdue, dans un Orient incertain, vit le tendre Saïd. À l’école, il préfère déambuler dans les ruelles encombrées de son bled, en suivant songeur les chapelets de fourmis. Sur les conseils de sa mère, il ne dépasse jamais la fontaine. Sauf ce matin-là où un vieil homme lui bloque le passage. Les fourmis contournent ce massif vieillard, mais Saïd doit converser avec lui puis le suivre.

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À l’entrée du désert, autour d’un misérable point d’eau, Saïd reçoit pour mission de garder un troupeau de chèvres. Avant que le vieux Hadj ne parte pour son pèlerinage à La Mecque, il le détrompe, non il n’est pas un méchant djinn que Saïd aurait vexé sans la savoir, mais simplement le grand-père qu’il n’avait jamais vu.

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Commence, pour le jeune garçon, une vie de berger, angoissante par la solitude que cela suppose. Solitude bien vite agrémentée de conversations distrayantes et enrichissantes avec la plus vieille de ses chèvres : la sage et susceptible Zakia. Passé la stupeur de la découverte des talents oratoires de Zakia, Saïd apprend à apprécier les réparties de l’animal. Ainsi, quand le petit berger affirme qu’il voudrait être ailleurs, là où vont les fourmis puisque là où ils sont, il n’y a rien, au milieu d’un paysage désertique grandiose, la vieille bique demande ingénument : « Rien ? Es-tu sûr, jeune Saïd ? » Ce qui laisse l’apprenti chevrier quelque peu pantois.

Leur tranquille duo est interrompu par la venue régulière de Kahil, le cousin de Saïd. Sur sa mobylette pétaradante, il vient régulièrement de la ville pour approvisionner Saïd. Pas très futé, dans un bouge, l’adolescent rapporte à un margoulin qu’il a parlé avec une chèvre. Le bateleur veut dès lors se l’approprier et la mettre en cage pour remplacer son défunt oiseau phénix.

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Pour fuir cette menace, Saïd et Zakia bénéficient de l’aide de la jolie Abir, la fille adoptive du « Grrrand » Zoubayini, née, selon lui : « d’une goutte de rosée et d’une datte mordorée. » Sur la mobylette de Kahil, tous les trois décident de partir à travers le désert en suivant la piste des fourmis migrantes et d’un rêve, car dans un songe Zakia a vu : « qu’elles allaient au bord de la mer, là où tombent les étoiles filantes, exactement là. Chacune déposait là le grain de sable qu’elle portait, et ce grain de sable se transformait en grain d’or. Ce trésor est surveillé par quatre terribles gardiens : une étoile, un géant, un sage et un pirate. »

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À l’issue d’un voyage incertain, après avoir croisé 40 voleurs, une lampe pas si magique que cela et une sorcière géante, les trois amis arrivent sur le rivage d’une mer immense. Ils vont y trouver les réponses à de nombreuses énigmes, le sens caché du songe de Zakia et, bien sûr, l’endroit où vont les fourmis, près d’un trésor à nul autre pareil.

Délaissant pour un temps, les aventures de Théodore Poussin, Frank Le Gall a construit ici un conte digne de ceux des « Mille et une nuits ». Dans un Orient entre passé et présent, le candide Saïd, le mot signifie joyeux ou celui que le destin favorise en arabe, découvre un monde où se mêle réalité et la magie, des djinns, des enchantements, des sortilèges et in fine, le trésor le plus précieux, l’amour, que ce soit celui d’un grand-père ou d’une jolie jeune fille.

Dynamisé par des dialogues littéraires, savoureux et pertinents : « Ce que j’ignore ne me fait aucun tort » ou « Tu te demandes où est ton bonheur et, dans ton aveuglement tu ne poses pas la bonne, la seule vraie question : quel est ton bonheur ? », cette balade dépaysante est portée par le trait élégant, minutieux, d’un Michel Plessix  (Le Vent dans les sables) au sommet de sa forme. Son travail reste exemplaire tant ses paysages et décors sont fouillés, et les expressions des personnages détaillées avec subtilité. Les planches nocturnes notamment sont d’une grande beauté. Elles font naître de tendres émotions auprès des lecteurs, petits et grands, attirés par les nuances apportées par le coloriste Sébastien Orsini, dont il faut saluer ici la qualité du travail.

                                          Là où vont les fourmis : Zoubayini

« Là où vont les fourmis » est sans nul doute l’une des meilleures bandes dessinées jeunesse de l’année. Les lecteurs sont brillamment emportés pour un voyage, un peu mélancolique, plein de charme, bercé par la tendresse, l’humour et la poésie de deux bédéistes qui prouvent, une fois de plus, l’immensité de leur talent.

                                             Là où vont les fourmis : Abir

Nous poursuivrons le voyage la semaine prochaine, encore un peu plus loin, sur les pas d’un garçon débrouillard dans la grande métropole congolaise de Kinshasa.

                                                    Là où vont les fourmis : Zakia

Là où vont les fourmis : Kahil & Zakia

Laurent LESSOUS (l@bd)

« Là où vont les fourmis » par Michel Plessix et Frank Le Gall

Éditions Casterman (18,00 €) – ISBN : 978-2-203-09821-3

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