Depuis 2021, chaque année, Tiburce Oger rassemble une belle équipe de dessinateurs et dessinatrices pour évoquer l’Ouest américain à travers des personnages authentiques – le Far West, donc – et l’exploitation de ces territoires par des individus qui oubliaient, bien souvent, qu’ils n’étaient que des colonisateurs assoiffés de richesses…
Lire la suite...« New York Comics » par Christopher Irving, Seth Kushner et Howard Wallach
Il y a trois ans était paru le très beau « Des comics et des artistes », ouvrage où Christopher Irving présentait, appuyé par de nombreux et passionnants témoignages des intéressés, les plus grands auteurs et artistes de l’univers des comics, le tout illustré par de magnifiques photos (portraits, ateliers…) de Seth Kushner. Le duo a ensuite travaillé sur ce non moins beau « New York Comics » qui paraît aujourd’hui chez le label Over the Pop chapeauté par Glénat. Malheureusement, Seth Kushner est précocement décédé avant d’avoir pu terminer ce beau projet, relayé par Howard Wallach… Cet ouvrage est donc aussi un adieu à ce talentueux photographe, rendant sa lecture d’autant plus émouvante, devenu livre-hommage malgré lui…
Si vous aviez manqué la sortie de « Des Comics et des artistes, vous pouvez cliquer sur le lien suivant pour lire la petite présentation que j’en avais fait ici même : http://bdzoom.com/?p=67013. Quant à ce « New York Comics », c’est un livre aux multiples visages qui se complètent et s’interpénètrent tout au long de ses pages, opérant un charme certain, évidemment grâce à l’intelligence et à la passion des auteurs qui transpirent à chaque mot, chaque image. Une sincérité et une connaissance du sujet qui rendent cette lecture extrêmement agréable. Les photos de Kushner semblent habitées, et Irving n’étouffe pas sa sensibilité par une érudition de surface ; ces deux-là ne font pas que « parler de », ils nous font plutôt et avant tout partager leur amour des comics, de manière quintessentielle et bienveillante. Ainsi, puisqu’il s’agit ici d’un livre dédié au rôle et à l’image de New York dans les comics (visite guidée tout autant que déclaration d’amour à la Grosse Pomme), l’historique, le référentiel et l’affectif s’entremêlent et expriment parfaitement l’incarnation de cette ville mythique chez les êtres, qu’ils soient lecteurs ou artistes de comics…
En 33 lieux emblématiques du monde des comics, l’ouvrage dresse un portrait de New York sur plusieurs strates, confirmant combien cette ville n’a pas été qu’un décorum au service des super-héros de papier ou de leurs adaptations au cinéma, ayant joué un rôle fondamental dans la fiction comme dans la réalité, lieu de vie et d’inspiration des auteurs et des artistes de comics, lieu de création, lieu de transposition artistique, lieu habité en tous coins par un esprit, une respiration, une atmosphère uniques, pratiquement iconiques. Dans son introduction, Christopher Irving écrit : « Je fais corps avec la foule qui se presse sur les trottoirs de Manhattan, je partage son naturel d’anchois en conserve dans l’intimité forcée des wagons de métro, ou avec les fantômes des pionniers de la bande dessinée qui hantent encore les rues de la ville. » J’aime beaucoup cette déclaration qui synthétise ce que sont la ville et cet ouvrage pour qui aime les comics. Comme je le disais, New York n’est pas seulement envisagée ici comme un paysage urbain de comics super-héroïques, mais bien comme un lieu imprégné du parcours et de l’âme de ces créateurs, de leurs créatures, en un univers autant vécu que fantasmé, plein, entier. Les artères de la ville en écho métaphorique aux artères de ceux qui y ont créé comme ils y ont vécu, sans tricher, pétris de l’énergie tantôt tragique tantôt magique de New York.
La diversité des lieux et des angles choisis est donc l’une des grandes qualités du livre. On y trouvera des lieux qui ont constitué des décors mythiques pour les comics, comme la Statue de la Liberté ou Central Park, mais aussi des bâtiments spécifiques qui ont inspiré les artistes dans leurs créations, comme l’immeuble du journal fictif Daily Planet (où travaille Clark Kent dans « Superman ») qui est calqué sur celui, réel, du Daily News, ou bien les endroits où vivent les super-héros, comme Greenwich Village, Hell’s Kitchen, sans parler des QG de la JSA ou des Avengers, par exemple… Mais il y a aussi des lieux imaginaires, comme Yancy Street, inspirée de Delancey Street, ou le Hellfire Club, censé se situé à l’angle de la 5ème Avenue et de la 66ème Rue, ou bien sûr le fameux Baxter Building, à l’angle de Madison Avenue… Autant de lieux où réel et imaginaire se mélangent implicitement. Bien réels, eux, les lieux de vie et de création, comme l’Upstart Studio ou celui d’Eisner, les bureaux de Marvel, DC ou EC Comics, les habitations de Jack Kirby ou de Spiegelman… En regard des textes d’Irving, quelques témoignages de grandes figures new-yorkaises des comics nous sont proposés (Robinson, Bendis…), clins d’œil nous permettant d’appréhender le rapport que ceux-ci entretiennent avec cette ville. D’autre part, de nombreux encarts parsèment l’ouvrage, donnant la parole à des personnalités de ce côté-ci de l’Atlantique qui ont un rapport privilégié avec New York et les comics (Thierry Mornet, Paul Renaud…).
Je ne peux finir cet article sans rendre moi aussi hommage à Seth Kushner qui est mort bien trop tôt, terrassé par une leucémie en 2015… Il travailla sur ce projet jusque dans son lit d’hôpital, et il est très émouvant que ce soit Howard Wallach qui ait pris le relais après son décès, puisqu’il est rien de moins que le professeur qui lui apprit la photo au lycée… Travaillant beaucoup les contrastes et les saturations dans ses photos, Kushner nous avait offert d’inoubliables portraits des légendes des comics, parfois derniers portraits d’eux avant qu’ils ne disparaissent, après une longue carrière de dessin… Admirateur et passeur, il a immortalisé certaines légendes vivantes au crépuscule de leur vie, ou en leur pleine maturité, sans oublier les contemporains. Lien entre les générations d’artistes, d’auteurs, témoignages d’une lignée, de renouveaux… 42 ans, c’est bien trop jeune pour mourir… mais les images de Kushner resteront comme des témoignages visuels historiques pour quiconque s’intéresse à l’histoire des comics. Ainsi, je conclus cet article par l’un de ses autoportraits, ci-dessous, avec respect et affection.
Cecil McKINLEY
« New York Comics » par Christopher Irving, Seth Kushner et Howard Wallach
Éditions Over the Pop (35,00€) – ISBN : 978-2-3440-1820-0
Bel hommage à Seth Kushner, Cecil…
Je me souviens notamment de ses photos de Michael Caluta, « captées » dans le décor de l’incroyable « appartement-capharnaüm-caverne d’Ali Baba » de celui-ci…
Ou encore, le plaisir de découvrir par un heureux hasard ces 6 photos en 2012, sur le site ‘PDN Photo of the day’ : http://potd.pdnonline.com/2012/05/14100/
Ah…, la main de Joe Simon, presque centenaire, dessinant encore et toujours un super héros éternellement jeune, sur fond de gratte-ciels new-yorkais…
Un Frank Miller ultra-urbain, très contrasté et un peu dérangeant (… comme le personnage semble se révéler être… ).
Ou encore Art Spiegelman fumant devant une immense « Maus » tracée à la craie blanche sur un mur de brique presque « jacobsien »…
Qu’on soit ou non fan de comics (ou même de BD en général), ses photos d’artistes étaient, sont et resteront uniques et marquantes.
Thanks a lot and see you soon, Mr Cecil !
Hello Thark,
Merci de vos toujours gentils mots…
Oui… les photos de Kushner, c’était quelque chose… Effectivement, la main de Simon, c’était énorme d’émotion… ! Une légende vivante, comme on dit…
Bien à vous,
Cecil