Vivant depuis 25 ans avec Tanie — qui est aveugle d’un œil et qui, en conséquence, doit se démener tous les jours pour s’adapter de son mieux aux charges du quotidien —, le dessinateur et scénariste Marc Cuadrado a repris ses crayons pour nous expliquer comment sa courageuse femme fait face à sa déficience visuelle. Pour l’occasion, cet adepte du style gros nez — « Norma » chez Casterman et « Parker & Badger » chez Dupuis ou « Je veux une Harley » pour Frank Margerin chez Fluide glacial et Dargaud (1) — renoue avec la discipline graphique qu’il avait abandonnée depuis une dizaine d’années : passant à autre trait, plus semi-réaliste, où sa plume se fait alors tendre et émouvante… même s’il insuffle toujours sa lumineuse touche d’humour personnelle !
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Clémentine est de ces jeunes filles que la vie affole, que les enjeux stressent, que le futur panique et qui du coup se sent « nulle ». Elle a beau prendre de bonnes résolutions, il y a toujours quelque chose qui cloche et qui la pousse à se dévaloriser. Et s’il suffisait de partir pour que tout change, et pourquoi partir méditer en séminaire avec d’autres ?
Voilà donc Clémentine en bus avec des membres apparemment épanouis et entrainés par un « maître » réputé. Mais il suffira que ces gentils altruites yogistes – mais impatients ! – l’oublient dans une épicerie forestière pour que tout change, enfin, car le gérant de l’épicerie bio est un drôle de bonhomme, souriant, calme et philosophe. Il sait prendre son temps, apprécier les choses simples, cuisiner… mais il aime par-dessus tout partager ses valeurs humanistes et hédonistes en jouant les conteurs. Contes zen ou de bon sens, ses histoires poussent à réfléchir et à relativiser l’échec, la peur, le destin… bref, tout ce qui semble déterminer nos actes et qui, si souvent, les bloque. En la compagnie d’Antoine, le temps prend son temps, la vie coule sans tension, et l’espoir, le plaisir, l’improvisation, le goût du présent se réinvitent à la table du bonheur quotidien.
Voilà une « feel good BD » comme on les aime car loin d’être gnangnan sauce film américain ou naïve façon communauté spirituelle, elle rappelle les clés de ce qu’est une vie réussie : savoir rebondir ou attendre, savoir rêver et comprendre, savoir surtout accepter de vivre le présent. L’album s’offre d’ailleurs en conclusion une « leçon » sur ces fameux maîtres asiatiques qui expliquent l’évidence : c’est le chemin qui compte dans un voyage, pas le but et c’est tout ce qu’on voit et qu’on perçoit au fil du chemin, au bord du chemin, qui compte. Vivre, sentir la vie, avoir conscience de vivre ou méditer, c’est juste prendre conscience du réel et du présent, sans rituels, sans homélies, sans légendes, juste à hauteur d’homme et de femme en respectant les autres, sagement, ce qui ne veut pas dire sans folie.
Joliment troussée, cette histoire fait incontestablement du bien d’autant que sur le dessin juste et léger de Marko, les couleurs de Maëla Cosson sont rafraichissantes et pour mieux dire, vu le sujet, vitalisantes.
Alors, bon voyage (d’autant que l’histoire est complète mais que ce n’est que le tome 1).
Didier QUELLA-GUYOT ([L@BD-> http://9990045v.esidoc.fr/] et sur Facebook).
http://bdzoom.com/author/didierqg/
« Le Jour où le bus est reparti sans elle » T1 par Marko et BeKa
Éditions Bamboo (15, 90 € ) – ISBN : 978-2-8189-3602-3