Les amateurs de son œuvre le savent bien : Jacques Tardi est un boulimique de travail qui dessine matin, midi et soir. Or, « Dessins matin, midi et soir », c’est le titre d’un beau petit recueil édité par Oblique Art (structure dirigée par Pierre-Marie Jamet) qui nous propose pas moins de 160 pages rassemblant des illustrations réalisées par le créateur d’« Adèle Blanc-Sec », sélectionnées dans les nombreux carnets qu’il a noircis (voire mis en couleurs) tout au long de sa remarquable carrière d’auteur du 9e art : croquis, études de personnages… et même courtes bandes dessinées iconoclastes inédites.
Lire la suite...Nestor Burma contre C.Q.F.D. n° 1 par Emmanuel Moynot
Rien de tel que le rythme feuilletonnesque des récits d’antan ! Dans le sillage des adaptations des enquêtes de Nestor Burma initiées par Jacques Tardi en 1982 (« Brouillard au pont de Tolbiac », d’après Léo Malet), les éditions Casterman proposent depuis 2005 de nouveaux titres, dessinés alternativement par Emmanuel Moynot et Nicolas Barral. Dans un style graphique très proche, les deux auteurs se sont aussi coulés dans la logique d’une prépublication prenant la forme d’une gazette : pour l’actuel « Nestor Burma contre C.Q.F.D. », les lecteurs pourront ainsi et de nouveau guetter les trois numéros du journal en noir et blanc – forcément collector – qui vont précéder la parution de l’album prévu pour le 12 octobre prochain…
Prépublier un album de bande dessinée sous la forme d’un journal est une idée très « tardienne » : souvenons-nous par exemple qu’entre septembre et octobre 2007, « Le Labyrinthe infernal » (9ème aventure d’Adèle Blanc-sec) fut initialement proposé en trois épisodes sous la forme du (faux) journal « L’Étrangleur ». Clin d’œil savoureux car, de mars à août 2006, ce même périodique avait donnait son titre générique à une série de 5 numéros préfigurant un album (scénario de Pierre Siniac) qui paraîtra finalement sous le titre de « Le Secret de l’étrangleur ». Plus récemment, ce même principe avait été redéployé autour de l’autre thématique angulaire de Tardi, la Première Guerre mondiale : d’août 2008 à octobre 2009, de « 1914 » à « 1919 », prépublication de « Putain de guerre ! ». Efficace, permettant d’introduire des dossiers d’archives, un commentaire sur le contexte, un making-of ou de vraies-fausses publicités, ce principe feuilletonesque est également repris actuellement avec succès chez Rue de Sèvres par la série d’Alex Alice « Le Château des étoiles » (2 albums parus en 2014 et 2015).
Faisant suite aux cinq titres dessinés par Tardi, Emmanuel Moynot avait précédemment adapté « La Nuit de Saint-Germain-des-Prés » en 2005, « Le Soleil derrière le Louvre » en 2007 et « L’Envahissant cadavre de la Plaine Monceau » en 2009. Remplacé par Nicolas Barral pour « Boulevard… Ossements » en 2013 et « Micmac moche au Boul’Mich » en 2015, Moynot est donc de nouveau à la barre pour le présent « Nestor Burma contre C.Q.F.D. ». Encore présente avec la prépublication de « Micmac moche au Boul’Mich », la référence à « L’Étrangleur » s’estompe ici quelque peu : le journal, mêlant information et dérision (dans la veine des codes et écrits de Léo Malet), n’en oublie pas pour autant ses lecteurs. En plus de l’enquête, ces derniers pourront ainsi lire dès ce premier numéro (paru depuis le 15 juin) un reportage sociologique sur les comportements pendant les années 1940, un panorama de l’actualité culturelle cinématographique de l’époque, sans compter quelques réclames savoureuses et petites annonces décalées.
Paru en 1945, le roman « Nestor Burma contre C.Q.F.D. » fut le deuxième d’une série d’enquêtes qui en totalisa un peu plus d’une trentaine, rassemblée pour moitié (les récits parisiens écrits de 1954 à 1959) sous le titre « les Nouveaux mystères de Paris ». Si le contexte le plus fameux des « Nestor Burma » s’inscrit dans la veine du roman noir des années 1950, « C.Q.F.D. » lui est donc antérieur : en 1942, dans la capitale occupée et soumise aux restrictions, en quête d’un peu de tabac, Burma est surpris par une alerte aérienne et se retrouve incidemment à suivre une inconnue réfugiée dans le même abri que lui. Peu de temps après, lorsque le cadavre d’un comédien est retrouvé par l’inspecteur Faroux, les ennuis commencent pour Burma : le macchabée possédait dans sa poche une carte de l’agence Fiat Lux. Or, en 1938, la victime avait été mêlée, en compagnie de la belle jeune femme rousse pistée par Burma, au vol de lingots appartenant à la Banque de France ! Dur à cuire, les nerfs en acier, cynique et gouailleur, aimant taquiner les jolies filles, le privé à la sauce Malet ne s’en laisse pas compter mais encaisse aussi les mauvais coups à ses dépends. Profitant du nécessaire travail documentaire requis par le rendu graphique du Paris des années 1940, jugeons que l’adaptation selon Moynot se relève fidèle au canevas et à l’esprit – volontiers enchevêtré et sur le fil de la légalité – du roman initial. Un récit en noir et blanc « A suivre » dans les gazettes suivantes, disponibles les 14 août et 16 septembre…
Comme le précise Emmanuel Moynot concernant la genèse de ce titre : « Après avoir fait une pause de six ans sur « Nestor Burma », j’ai émis le souhait d’en refaire un parce que je me sentais plus à l’aise à la fois avec le personnage et avec le procédé de l’adaptation. J’ai choisi « Nestor Burma contre C.Q.F.D. » pour bien me différencier du travail de Nicolas Barral qui, lui, préfère se concentrer sur le cycle des « Nouveaux mystères de Paris ». « C.Q.F.D. » est le deuxième épisode des aventures de Burma qu’ait écrit Malet, juste après « 120, rue de la Gare ». Je sortais de l’adaptation de « Suite française : Tempête en juin » (parue en janvier 2015 chez Denoël Graphic) et la période à laquelle se situe l’intrigue (1942) me convenait bien. J’ai toujours choisi librement les titres que j’adaptais, et il en va de même pour Nicolas Barral. Tardi, quant à lui, se réserve un titre… qu’il fera sans doute un jour ! Nicolas s’en réserve un, lui aussi, ce qui, dans les deux cas, ne me pose aucun problème. L’alternance, sauf surprise, devrait bien se passer. Je respecte tout à fait les choix de Nicolas quant à l’adaptation, choix qui sont différents des miens mais pas moins légitimes.»
Enfin, concernant le dessin de couverture, l’auteur explique : « L’éditeur et moi avons choisi de nous détacher de l’option personnage + décor parisien pour cette couverture. Il nous semblait important de bien marquer le territoire, par rapport au cycle des « Nouveaux mystères ». Le décor du métro se prêtait bien à l’insertion d’affiches allemandes de propagande, ce qui précise tout de suite le contexte. Train et métro sont aussi deux composantes importantes de l’intrigue.»
Pour les plus curieux, précisons que Emmanuel Moynot n’en a par conséquent pas fini avec le personnage : « La suite, ce sera sans doute « L’Homme au sang bleu » (1945 ; Burma enquête sur un trafic de fausse monnaie dans le Sud de la France) ou « Le Cinquième Procédé » (1948 ; où Burma a fort à faire, coincé entre technique révolutionnaire d’extraction du pétrole et nazis à Marseille) ». Suspense : la suite au prochain numéro…
Philippe TOMBLAINE
Nestor Burma contre C.Q.F.D. n° 1 par Emmanuel Moynot
Éditions Casterman (2,80 €) – ISBN : 978-2-203-10994-0
À mon humble avis, le projet de couverture est tout de même racoleuse : utiliser des affiches explicites de propagande nazi sur les murs de la station de métro !
Il aurait été plus judicieux de coller des affiches, ou publicitaires du moment (*), ou des consignes sur la défense passive pour donner le ton de l’époque, non ?
(*)Je vous accorde que mettre une publicité pour « Dubo, Dubon, Dubonnet » ne passerait pas les fourches caudines de la Loi Évin : voir la suppression de la pipe de M.Hulot pour une exposition sur le cinéaste Jacques Tati.
Mais il y avait le « Bébé Cadum » tout-à -fait neutre, par exemple…
Bravo à Moynot, qui retrouve une seconde jeunesse avec le brave Nestor; En revanche, le journal de prépublication, c ‘est du réchauffé, à mon avis . Je suis curieux de savoir si ça se vend, qu’en disent les libraires ?
Merci pour ces planches forts intéressantes et avenantes! Ayant lu la « prépublication » (tome 1 du journal en noir et blanc hier soir qui s’avère être une excellente histoire à priori) , je trouve que la rousse qui tape dans l’Å“il de Nestor Burma est finalement bien plus belle en noir et blanc! ( c’était une réflexion, juste comme ça )
vivement la sortie BD pour qu’on puisse comparer les deux versions!