Les amateurs de son œuvre le savent bien : Jacques Tardi est un boulimique de travail qui dessine matin, midi et soir. Or, « Dessins matin, midi et soir », c’est le titre d’un beau petit recueil édité par Oblique Art (structure dirigée par Pierre-Marie Jamet) qui nous propose pas moins de 160 pages rassemblant des illustrations réalisées par le créateur d’« Adèle Blanc-Sec », sélectionnées dans les nombreux carnets qu’il a noircis (voire mis en couleurs) tout au long de sa remarquable carrière d’auteur du 9e art : croquis, études de personnages… et même courtes bandes dessinées iconoclastes inédites.
Lire la suite...Spécial « Glénat Comics Girls »
Girls, girls, girls ! Glénat Comics donne la part belle aux femmes, on le sait, et c’est tant mieux ! Dès la première mouture du label, une certaine Anna Mercury fit son apparition dans le catalogue, et depuis nous avons pu voir apparaître « Danger girl », « Pretty Deadly », « Ghost », et plus récemment « Bitch Planet » ou encore « Lady Mechanika »… Une savoureuse « Lady Killer » vient de s’ajouter à cette liste, tandis que se poursuit « Lazarus », la sublime série de Rucka et Lark ayant pour protagoniste l’une des plus fascinantes figures féminines des comics actuels… Honneur aux femmes, donc !
« Lady Killer T1 : À couteaux tirés » par Joëlle Jones et Jamie S. Rich
Ce « Lady Killer » est une bonne surprise. Sorte de polar glamour hardboiled, il revisite un certain esprit des fifties jusque dans son esthétique, à la fois classique et se servant des codes actuels. Certes, ce thème pourtant original de la femme au foyer lisse et irréprochable s’avérant être une redoutable tueuse a déjà été traité, notamment par Ennis avec sa « Jennifer Blood », mais ici il se dégage quelque chose de particulièrement savoureux grâce à un je-ne-sais-quoi de très séduisant dans le traité graphique de l’héroïne mais aussi de son environnement. Visuellement, ce « Lady Killer » est un hommage à peine voilé à un dessinateur malheureusement un peu oublié aujourd’hui, Jim Holdaway, qui enchanta des générations de lecteurs par son graphisme à la fois glamour et acéré, notamment dans « Romeo Brown » ou, plus proche de notre sujet, « Modesty Blaise » (je mets ma main au feu que la dessinatrice de « Lady Killer » a lu et a été influencée par cette dernière référence !). Quoi qu’il en soit, ça fait bien plaisir de voir que certains artistes contemporains n’ont pas tout oublié et font perdurer et évoluer des styles ayant eu un bel impact sur l’évolution graphique des comics !
Josie Schuller semble incarner la femme au foyer typique des fifties aux États-Unis. Mère de deux enfants, épouse impeccable, elle fait tourner la vie à la maison avec abnégation, dévouement et gentillesse… Son mari et ses enfants l’adorent, mais sa belle-mère, vieille femme acariâtre vivant avec eux, est plus retorse… Mais derrière cette apparence lisse et tranquille se cache une activité bien moins respectable, celle de tueuse à gages… Le contraste est d’autant plus saisissant que la gentille Josie n’utilise pas des flingues pour éliminer la cible du moment mais des couteaux assez conséquents, lien équivoque avec la vie bien rangée de la femme derrière ses fourneaux… Les exécutions sont donc plus hardcore que si elles étaient effectuées par balles, ce qui en dit long sur la sauvagerie enfouie de cette héroïne « bien sous tous rapports ». C’est avec grand plaisir qu’on parcourt ces premiers épisodes, les personnages étant bien sentis, l’héroïne séduisante à souhait, l’action menée avec talent, et l’esthétique du trait et des couleurs fonctionnant parfaitement dans cette sorte de restitution fantasmée des années 1950, hommage à tout un pan de la culture américaine. Il se dégage de tout ceci quelque chose de très agréable ; comme on dit : le charme opère ! On attend donc la suite des aventures de cette ménagère psychopathe bien sexy !
« Lazarus T4 : Poison » par Michael Lark et Greg Rucka
Ça ne s’arrange pas vraiment, dans l’univers de « Lazarus », puisqu’une guerre a été déclenchée par les Familles… Dans ce monde déjà glaçant où la vie n’a plus grande valeur à part celle des élites, le conflit armé s’ajoute à l’inhumanité dans laquelle les Familles ont plongé les êtres de cette foutue planète… Et alors que Malcolm Carlyle est entre la vie et la mort dans son complexe retranché, ce sont ses enfants qui doivent gérer le conflit, avec Forever, leur lazare, en première ligne sur le terrain. Un terrain miné parmi d’autres, puisqu’au sein de la famille Carlyle les trahisons vont bon train, s’échafaudant dans l’ombre, d’autant plus redoutables que le père n’est plus là pour les déceler et les contrecarrer… Questions et révélations parsèment le récit avec parcimonie, maintenant une tension sourde entre les protagonistes… Cette phase guerrière de la série n’est pas celle qui m’intéresse le plus, même si les nombreuses pages dédiées à la description assez clinique des combats sur le terrain s’avèrent très réalistes et angoissantes, renforçant le caractère désespéré et violent de cet univers ; mais ladite phase est néanmoins révélatrice d’un contexte où la vie est devenue aussi glaciale que la mort, dans des visions obscures traversées par la neige…
Heureusement, il n’y a pas que ces scènes de guerre qui constituent cet opus, même si elles sont prédominantes… On appréciera d’autant plus l’interlude qui ouvre l’album, nous décrivant le parcours d’une nonne au milieu de cet enfer, remettant tout en question, avec en arrière-plan le virus Influenza qui a décimé une grande part de la population et qui ne sort pas de nulle part, bien au contraire… Une facette de plus qui enrichit notre perception de la logique horrible de ce futur dystopique et où l’humanité de cette religieuse offre un contraste intéressant, échappant au manichéisme. La fin de l’album, quant à elle, amorce une énigme troublante qui pourrait bien donner le ton aux prochains épisodes… Vous l’aurez compris, ce nouveau volume de « Lazarus » n’est pas celui que je préfère, versant un peu dans ce que d’aucuns reprochaient à la série alors que c’était injustifié à l’époque, à savoir la longue description de combats, mettant un peu le psychologique de côté. Mais de nombreuses séquences sont aussi consacrées aux tractations familiales, et le rapport à la mort n’a jamais été aussi prégnant, puisqu’en plus de Malcolm Carlyle, Forever va être mortellement touchée… Il n’en reste pas moins que les dessins de Lark, accompagné de Tyler Boss à l’encrage et de Santi Arcas aux couleurs, sont toujours aussi inspirés et réussis… Vivement le prochain album pour se rendre compte de la direction que prend cette série qui pose pas mal de questions…
Cecil McKINLEY
« Lady Killer T1 : À couteaux tirés » par Joëlle Jones et Jamie S. Rich
Éditions Glénat Comics (15,95€) – ISBN : 978-2-344-01199-7
« Lazarus T4 : Poison » par Michael Lark et Greg Rucka
Éditions Glénat Comics (15,95€) – ISBN : 978-2-344-01598-8