Les amateurs de son œuvre le savent bien : Jacques Tardi est un boulimique de travail qui dessine matin, midi et soir. Or, « Dessins matin, midi et soir », c’est le titre d’un beau petit recueil édité par Oblique Art (structure dirigée par Pierre-Marie Jamet) qui nous propose pas moins de 160 pages rassemblant des illustrations réalisées par le créateur d’« Adèle Blanc-Sec », sélectionnées dans les nombreux carnets qu’il a noircis (voire mis en couleurs) tout au long de sa remarquable carrière d’auteur du 9e art : croquis, études de personnages… et même courtes bandes dessinées iconoclastes inédites.
Lire la suite...« SukeDachi 09 » T1 par Seishi Kishimoto
Quand on est le frère jumeau du mangaka qui a créé l’un des plus gros succès du magazine Jump (avec sa série « Naruto »), on peut aisément imaginer la pression que l’on peut avoir sur les épaules. Pourtant, Seishi Kishimoto continue de publier ses Å“uvres personnelles dans un univers très éloignés de l’esprit enfantin de Jump. Avec « SukeDachi Nine », il nous amène dans un monde où la violence de la justice offre un moyen de se venger qui peut sembler totalement immoral pour notre société actuelle.
Afin de terroriser les criminels, le Japon est encore doté de la peine de mort. Mais cela ne suffit pas à décourager certains tueurs. Et assassiner un criminel ne suffit souvent pas à apaiser la souffrance des proches de la victime qui aimerait pouvoir se venger physiquement. C’est dans cette optique que sont nées les SukeDachi, un groupe rattaché à la police et au service des familles de victimes. Leur but : faire appliquer une peine de réparation proportionnelle au délit commis. Ainsi, une personne ayant écrasé quelqu’un devra périr écrasée, si elle a démembré une victime, elle sera elle-même démembrée, etc. Cette nouvelle loi, censée apaiser les victimes, reprend simplement, à l’échelle industrielle et de manière extrêmement violente, l’adage de la loi de Talion : Å“il pour Å“il, dent pour dent.
L’histoire est centrée sur le personnage de Yûji Yamagishi : un jeune de 24 ans qui a fraîchement intégré le groupe en tant que septième SukeDachi. Il cache son activité à ses proches et, pour ces derniers, il vivote avec des petits boulots. Au fil de l’histoire, deux autres recrues vont porter le nombre d’exécuteurs à neuf. Pour intégrer ces troupes d’élite, il faut soi-même avoir vécu une attaque traumatisante. Ce qui est censé permettre à l’exécuteur de se mettre à la place des proches pour lesquels il applique la sentence. Bien sûr, dans le cas où le criminel gagnerait le combat contre le SukeDachi, il verrait sa sentence commuée en peine de mort traditionnelle, dite douce, avec un sursis de trois ans. Pour l’instant, seule une personne a eu cette soi-disant chance. Tous les autres sont morts dans les mêmes souffrances que leurs victimes.
Ce synopsis offre une large gamme de services qui sont infligés aux meurtriers condamnés à subir la loi de réparation. Ceci permet une débauche de violence extrême sur fond de combat moral, soi-disant salvateur. C’est surtout un moyen pour le lecteur de s’abreuver d’une violence absente de la vie courante. De jouir face à ces images qui font appel à nos instincts les plus primaires refoulés par cette vie que la société moderne nous dicte. Cette loi n’a clairement aucune chance d’exister un jour, du moins on peut l’espérer, mais qui n’a jamais pensé que cela lui ferait du bien de se venger en faisant souffrir autant, voire plus, que ce que l’on a pu souffrir. Bien sûr, cette débauche de violence est entrecoupée de scènes de la vie de tous les jours. De moments intimes où le héros cache son travail si particulier à sa copine journaliste, laquelle, de son côté, commence à enquêter sur ce groupe policier que sont les SukeDachi. Afin de les rendre plus humains, on apprendra, au fur et mesure de l’histoire, les traumatismes qu’ont endurés les membres du groupe. Chaque chapitre offrira également l’histoire personnelle des victimes, forcément innocentes.
Seishi Kishimoto est ici au sommet de son art. Son dessin, qui pouvait rappeler celui de son frère jumeau dans « Satan 666 », est aujourd’hui bien plus mature et réaliste. Il n’a pas arrêté de progresser au fil de ses Å“uvres à succès telles « Blazer Drive » ou « Crismon Wolf ». Publié depuis 2015 au Japon, « SukeDachi 09 » comporte aujourd’hui 4 volumes, et la série est toujours en cours. C’est une des valeurs sûres de l’éditeur Kurokawa qui ne s’était pas trompé en faisant de lui l’un des premiers auteurs à faire partie de leur catalogue, dès 2005.
« SukeDachi 09 » est un titre dérangeant, destiné à un public friand de scènes trash, de morts violentes, de justice expéditive. Le tout en faisant abstraction de toute considération morale. C’est en tout cas, dynamique et bien construit. Les possibilités scénaristiques sont ici infinies et les actions des protagonistes parfois imprévisibles. Bref, il y a un public aux boyaux bien accrochés pour ce genre de création. Ce ne sont, heureusement, ni des pervers ni des hooligans, justes des lecteurs ayant conscience de leurs bas instincts et qui préfèrent se défouler en lisant un titre comme celui-ci au lieu de passer à l’acte.
Gwenaël JACQUET
« SukeDachi 09 » T1 par Seishi Kishimoto
Éditions Kurokawa (7,65 €) – ISBN : 2368522824