« Fear Agent » T2 par Tony Moore, Jerome Opeña et Rick Remender

Akileos vient de sortir le second volume de son intégrale de « Fear Agent », clôturant ainsi l’édition de cette réjouissante série ouvertement créée en hommage aux EC Comics… Baroud d’honneur pour Heath Huston, donc, et plaisir des lecteurs avec ce bel album de 352 pages contenant les 16 derniers épisodes de la série et un dossier de bonus assez conséquent…

Si vous avez lu l’article que j’avais consacré au premier volume de cette intégrale (http://bdzoom.com/?p=57866), vous savez tout le bien que je pense de « Fear Agent ». Subtil mélange des grands archétypes d’une certaine science-fiction des fifties et d’un esprit très contemporain où le second degré se teinte de gravité, cette œuvre offre de merveilleux moments de lecture, séduisante à bien des égards. Dans la seconde moitié de cette série, on retrouve tout le sel des origines, ses auteurs ayant réussi à maintenir la qualité de leur création chérie jusqu’au bout. D’ailleurs, la préface de Tony Moore qui ouvre l’album témoigne du plaisir et des difficultés que lui et Remender ont vécus à travers ce projet, parfois contre vents et marées, mais toujours impliqués du mieux qu’ils le pouvaient pour ne pas faillir ou faiblir par rapport à ce qu’ils avaient insufflé et espéré. « Fear Agent » a été pour ses créateurs plus qu’une simple collaboration, ce fut une vraie et belle et dure aventure, de celles qui tiennent tellement à cœur qu’on se bat afin de faire exister le rêve. Ainsi, parce que les contingences d’une réalité abrupte grignote malheureusement trop souvent les forces vives de l’imaginaire, Remender et Moore ont fait appel à des amis créateurs afin qu’ils viennent les aider à faire de « Fear Agent » une œuvre vivante et tangible : Jerome Opeña en premier lieu, bien sûr, mais aussi Kieron Dwyer et Mike Hawthorne pour les crayonnés et John Lucas pour l’encrage. Au final, nous trouvons une œuvre collégiale portée par ses deux créateurs originels, ne souffrant jamais d’une hétérogénéité visuelle qui lui porterait préjudice à cause de la présence d’autres collaborateurs, ces derniers constituant plutôt un apport bienveillant s’immisçant à merveille dans le projet. De la première à la dernière page, « Fear Agent » reste « Fear Agent ».

Et effectivement, on retrouve jusqu’au bout l’esprit de « Fear Agent », avec son humour quelque peu dévastateur, ses scènes d’action musclées et ses grands sentiments sous-jacents. Les créatures extra-terrestres fleurant bon les fifties sont toujours de mise avec les méduses géantes, les robots hybrides, les sauvages chevauchant d’énormes poissons dans le ciel, des fleurs aussi gigantesques que dangereuses ou des sauriens humanoïdes patibulaires… Le mélange des genres est encore là lui aussi, avec la SF, bien sûr, mais aussi la guerre et le western, trimballant le lecteur dans des ambiances différentes pourtant toutes reliées à un même univers. Et puis il y a la dimension humaine, voire humaniste, qui jette un regard à la fois cru, lucide et tendre sur la nature des êtres, leurs failles, leurs incapacités à faire les bons choix ou à assumer ce qu’ils doivent être, tout simplement. Cette dimension humaine prend d’ailleurs une ampleur de plus en plus importante au fur et à mesure que finit de se développer la série, et c’est sur celle-ci qu’elle se termine, même, bouclant le récit sur un retour aux fondamentaux, avec sensibilité et une certaine poésie. C’est cette dimension humaine qui fait de « Fear Agent » bien autre chose qu’un simple hommage aux EC Comics, que cette série est bel et bien contemporaine et qu’elle dit des choses qu’on ne peut pas ne pas retenir. Par exemple, lors d’un des nombreux flash back qui jalonnent le récit, il y a ces paroles du père d’Heath, adressées à ce dernier alors qu’il n’était encore qu’un enfant : « Il y a beaucoup d’imbéciles en ce bas monde, fils. Beaucoup d’idiots à l’esprit retors et assoiffés de sang. La plupart des gens préfèrent voir deux hommes s’entretuer plutôt que toute autre chose. Tu veux voir le vrai visage de la nature humaine… observe une foule s’émerveiller quand une bagarre éclate. Les gens n’aiment pas voir d’autres gens heureux. Merde, la plupart ne laissent même pas le bonheur s’installer dans leur propre vie, alors dans celle des autres… Ne fais jamais confiance à quelqu’un qui place tes intérêts avant les siens… » Dont acte.

Dans ce second volume, les choses s’emballent et s’intensifient, apportant de nombreuses réponses sur la nature et le choix des protagonistes, même si ça passe souvent par des actes dramatiques et ô combien lourds de conséquences… Les menaces et le combat continuent, la vérité se dévoile sur bien des points, et les aventures cosmiques ou de fantasy hautes en couleurs cachent toutes des tragédies existentielles donnant aux personnages une réelle consistance, une profondeur, une incarnation. Nous ne suivons pas ces aventures en tant que simple spectateur et fan de SF divertissante ; Remender nous demande aussi autre chose, de bien plus vrai et finalement de bien plus dérangeant si l’on tient à son petit confort… C’est bien en cela que « Fear Agent » est une Å“uvre pleine, dense, intense, et qu’elle nous tient en haleine avec intelligence sans jamais oublier le spectacle. Jason Aaron dit d’elle que c’est une grande claque, et je ne peux que me joindre à lui sur ce point…

 

Cecil McKINLEY

« Fear Agent » T2 par Tony Moore, Jerome Opeña et Rick Remender

Akileos (29,50€) – ISBN : 978-2-3557-4130-2

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