N’hésitez pas à revenir régulièrement sur cet article, puisque nous l’alimenterons, jour après jour, avec tout que nous envoient nos amis dessinateurs, scénaristes, coloristes, libraires, organisateurs de festivals et éditeurs pour vous souhaiter de joyeuses fêtes : et ceci jusqu’à la fin du mois de janvier 2024 !
Lire la suite...« Cahiers Théodore Poussin T1 » par Frank Le Gall
Voici plus de dix ans, à l’issue d’un douzième tome intitulé « Les Jalousies », Théodore Poussin s’éloignait à bord d’une chaloupe sous le soleil de l’Océan Indien. En mal de péripéties, ce Corto Maltese de la ligne claire redonne enfin de ses nouvelles, au travers du travail toujours soigné de Frank Le Gall. Avant même la parution du prochain album chez Dupuis (T13 : « Le Voyage de l’Amok », prévu pour l’automne 2017, aux côtés de la réédition de toute la série en grand format), et selon un procédé similaire aux « Rendez- vous de l’Épervier », quatre « Cahiers Théodore Poussin » révéleront de manière trimestrielle les grandes phases de réalisation : outre les 16 premières planches – en N&B – du treizième opus, nous avons donc le plaisir d’admirer ici quelques aquarelles et esquisses préparatoires, accompagnées de documents photographiques sur le Singapour des années 1930 et d’instructives conversations entre l’auteur et José-Louis Bocquet. Précisons que le tirage limité à 2 200 exemplaires devrait en toute logique s’écouler fort rapidement !
Antihéros épris d’aventures, « Théodore Poussin » fut créé par Frank Le Gall au sein du magazine Spirou (précisément dans le n° 2428, daté du 25 octobre 1984), en s’inspirant directement de l’histoire de son grand-père et du patrimoine maritime breton. Souvent rapproché de Tintin, auquel la série rend d’ailleurs de fréquents hommages, Théodore Poussin est – comme son nom le suggère – un héros en apparence frêle, rêveur et naïf, mais dont le caractère va se forger au gré des aventures et des rencontres. Dont celle de l’énigmatique et inquiétant Monsieur Novembre, qui deviendra cependant au fil des albums le principal confident et sans doute l’un des seuls véritables amis du héros. Éminemment littéraire et psychologique, emplie de poésie comme de cruauté, d’histoires ou de souvenirs, la série (restée en stand-by depuis 2005 et jusqu’à la lente mise en chantier en 2012 – 2013 d’un nouvel album initialement titré « Cocos Nucifera Island ») est certainement l’un des chefs-d’œuvre publié par l’éditeur Dupuis.
Dès le 1er tome (« Capitaine Steene », 1987), les lecteurs purent découvrir que Théodore était taillé pour les voyages au long cours : en 1928, l’employé sédentaire de la Compagnie des Chargeurs Maritimes à Dunkerque embarquait enfin en direction de l’Indochine à bord du Cap Padaran, espérant y retrouver son oncle disparu, le fameux Capitaine Charles Steene. S’ensuivront des séjours mouvementés à Singapour, aux Indes et à Bornéo. En 1989, le 3ème titre de la série (« Marie Vérité ») est récompensé au Festival d’Angoulême par l’Alfred du Meilleur album. Dans les Célèbes (Indonésie), Théodore rencontre ensuite des pirates, des indigènes et des militaires peu scrupuleux. Condamné pour acte de piraterie et meurtre à Macassar, il est finalement innocenté et libéré, cherchant dès lors à rentrer chez lui, à Dunkerque. Dans le tome 6 (« Un Passager porté disparu », 1992), qui boucle le grand cycle des aventures orientales, le héros disparaît subitement lors d’une escale de son paquebot à Colombo, sur l’île de Ceylan : réapparu par surprise, Novembre lui a semble-t-il alors fait des révélations bouleversantes concernant l’oncle Steene…. Lancé à la recherche de vérités qui s’échappent au loin sur le grand horizon, Théodore donnera dès lors toujours l’impression de naviguer en eaux troubles, entre mensonges et dévoilements, lumières et noirceurs.
6 tomes plus tard, Poussin aura tour à tour revécu et affronté ses souvenirs d’enfance (« La Vallée des roses », 1993), ses rêves (« La Maison dans l’île », 1994), les Indes mystérieuses (les deux tomes de « La Terrasse des audiences » en 1995 et 1997) et le huis-clos maritime (« Novembre toute l’année », 2000). À l’issue des « Jalousies », Théodore voit contraint par le pirate capitaine Crabb d’abandonner sa propriété, sa plantation de cocotiers et son île pour préserver celle et ceux qui lui sont chers. Nul doute toutefois que la volonté et la persévérance ancrées chez un héros devenu plus mature lui permettront de reconquérir son bien, de déceler les secrets enfouis, de comprendre les vérités au travers de mensonges et des silences, et de retrouver au final la trace de ses propres origines.
Sans dévoiler le contenu des premières planches livrées ou du futur tome, évoquons du moins son titre, « Le Voyage de l’Amok ». Pour les férus d’ethnologie, « l’Amok » désigne un subit déchaînement de violence meurtrière, se concluant généralement par le suicide de l’individu atteint. Cette forme de folie fut observée par des voyageurs et des ethnologues, notamment en Malaisie (d’où vient le mot), Inde, Philippines, Polynésie, Terre de Feu, Caraïbes, Région arctique et Sibérie. Décrit par Stefan Zweig dans sa nouvelle « Amok ou le Fou de Malaisie » (1922), par l’écrivain français Henri Fauconnier (dans le roman « Malaisie », Prix Goncourt 1930) ou un peu plus récemment par Jean-Christophe Grangé dans « La Ligne noire » (2004), l’amok n’est pas sans évoquer les pulsions dévastatrices des tueurs en série ou des tueurs de masse défrayant régulièrement l’actualité. Théodore Poussin parviendra-t-il de son côté à canaliser sa colère et sa vengeance, sans transformer l’Océan Indien de cette année 1934 en océan de sang ?
Sans lever totalement la part de mystère sur les errances psychologiques de son héros, Frank Le Gall nous a fait le plaisir de répondre en exclusivité à ces quelques questions :
En 2005, Théodore était laissé à la dérive après avoir perdu son île, sa propriété et son amoureuse ; la « suite » était-elle malgré tout en gestation ou a-t-elle réclamé un réel redémarrage à zéro scénaristique ?
Frank Le Gall (FLG) : « En 2005, la suite des « Jalousies » était déjà prévue dans ses grandes lignes. Le sujet, le thème, étaient là. J’ai toujours procédé ainsi, avec parfois deux ou trois albums d’avance en tête… Et pour répondre au côté « redémarrage », non, j’ai retrouvé Théodore et son univers inchangés, comme si je les avais quittés la veille – sans doute parce que je ne les avais pas « quittés ». »
Partir et revenir semble être l’une des grandes thématique – volontiers nostalgique et rêveuse – de la série (logique, pour une histoire de marins !) : quelle part d’enfance ou d’errance porte encore en lui Théodore ? Quelle sera sa prochaine quête ?
FLG : « C’est une vaste question, à laquelle il est impossible de répondre succinctement… Disons que Théodore, en dépit de son évolution, gardera toujours en lui ce que nous connaissons de son enfance et de sa jeunesse, et qu’on peut trouver dans « La Vallée des roses ». Ensuite, c’est un personnage très complexe, très humain, donc difficile à cerner en quelques mots. Sa prochaine quête ? Après avoir – plus ou moins bien, nous le verrons plus tard – connu un amour passionnel et y avoir survécu (c’est un exploit, oui), Théodore a encore une chose importante à régler, et c’est la relation très conflictuelle qu’il entretient avec un père absent – mort. Ça, ce sera l’objet (entre autres) du quatorzième Théodore Poussin. Le temps de l’âge adulte pour Théodore… »
Le titre de cet album « à la noix de coco » (sic) a évolué de « Cocos Nucifera Island » au titre actuel annonçant un « Dernier voyage… » inquiétant : sera-t-il réellement le dernier pour Théodore ?
FLG : « « Cocos nucifera », qui est simplement le nom latin de la noix de coco, a été le titre de travail dès 2005. Quand je me suis attelé à cette nouvelle histoire, j’ai trouvé amusant d’y ajouter « island », d’abord pour être plus explicite, puisqu’on parle ici de l’île et de sa plantation de cocotiers, mais aussi à cause du côté blockbuster américain que le titre évoquait – je pense notamment à « Shutter Island » (un bon film, non ?). Mais en avançant dans l’histoire, le côté presque « gag » du titre a fini par me fatiguer, et le titre « Le Dernier voyage de l’Amok », nettement plus en rapport avec l’histoire, et davantage dans l’esprit de la série, s’est imposé. On parlait déjà de « Cocos nucifera island » sur les réseaux sociaux, comme on dit, et chez Dupuis (le contrat porte ce titre, pour l’anecdote), mais quand j’ai proposé le nouveau titre à mon éditeur, José-Louis, ses yeux se sont mis à briller, et il a fait « Oooooh »… Nous avons donc gardé « Le Dernier voyage de l’Amok ». Ensuite, il faudra avoir lu l’histoire pour en comprendre le titre. Mais il s’agit bien du dernier voyage de l’amok, pas de Théodore… »
Des cases en écho (comme « Les Jalousies » pl. 47, 4-1 et « Le Dernier voyage de l’Amok » pl. 1, 2-1) : une manière d’inviter les lecteurs à se remémorer les anciens albums ?
FLG : « Inviter le lecteur à se remémorer, oui, ou l’amener à remarquer que tout se répond dans cet univers. C’est aussi et surtout une affaire de logique. »
Théodore semble avoir mûri, être plus décidé à reconquérir son bien : une manière psychologique de tenir compte du temps réel écoulé, alors qu’un seul trimestre (décembre 1933 à mars 1934) sépare ce nouvel album de la temporalité interne du précédent ?
FLG : « Il n’y a pas à proprement parler d’évolution chez Théodore entre « Les Jalousies » et « Le Dernier voyage ». Trois mois seulement se sont écoulés. Mais, là encore, l’histoire répond elle-même à cette question, Théodore est décidé à ne pas se laisser marcher sur les pieds, et on peut déjà le sentir, me semble-t-il, à la fin des « Jalousies », où il quitte l’île contraint et forcé, sans rien pouvoir tenter, mais avec l’arrière-pensée de revenir récupérer son bien et se venger du capitaine Crabb. Théodore est capable de tels sentiments ! »
Le temps, c’est aussi faire évoluer son style : certaines cases (comme cette grande case en contreplongée à la planche 6) semblent assez inédites dans la série, ce d’autant plus qu’un Spirou (« Les Marais du temps », 2007) et divers travaux picturaux se sont intercalés dans tes créations : que peux-tu en dire ?
FLG : « Je dirais plutôt que mon dessin a retrouvé sa ligne. J’étais assez satisfait de mon travail sur « Les Marais du temps », beaucoup moins des « Jalousies », réalisé dans de très mauvaises conditions. « Le Dernier voyage » emboîte le pas à mon Spirou, et on y retrouve mon goût pour le détail, le trait fin, les hachures, qui se trouvaient déjà dans mes premiers albums. J’avais envie de renouer avec ce côté fouillé et parfois un peu surchargé d’albums comme « Le Mangeur d’archipels ». »
D’autres sources d’inspiration (livres, films, etc.) autour de cet album ?
FLG : « Ma principale source d’inspiration a vraiment été « Le Mangeur d’archipels » ! D’ailleurs, beaucoup d’éléments de l’intrigue datent de cette époque, et sont tirés de notes et de fragments de scénarios qui auraient dû devenir le troisième Théodore Poussin. Graham Greene, surtout pour « Le Rocher de Brighton » (1938), m’a inspiré l’ambiance de la première partie du récit. Ce côté un peu espionnage, où tout le monde file tout le monde, écoute aux portes et manigance contre les autres dans son coin. J’avais lu « Le Rocher » étant jeune, et j’ai toujours voulu écrire un jour quelque chose dans cet esprit. Pour le reste, il y a sans doute un peu de Zweig (ne serait-ce que le terme « Amok », qui vient évidemment de lui), des films comme « Casablanca »… Je voulais quelque chose de riche, dense et très dialogué, avec beaucoup de micro-intrigues s’insérant dans l’intrigue principale. »
À quand le chapitre suivant ? Ou d’autres albums ? Signes-tu ici ton retour définitif – et tant attendu par les fans – à la bande dessinée ?
FLG : « Haha ! La question qui tue ! Oui, j’ai bien l’intention de revenir sérieusement à Théodore Poussin et à la bande dessinée. En septembre prochain sort un album de 62 pages que j’ai écrit pour Michel Plessix chez Casterman, « Là où vont les fourmis ». Quant au chapitre suivant, je travaille déjà au scénario. Enfin, j’en suis au stade où j’élabore les différentes parties de l’histoire et prends quantité de notes… qui vont encore dans tous les sens. »
Philippe TOMBLAINE
« Cahiers Théodore Poussin T1 » par Frank Le Gall
Éditions Dupuis (13, 00 €) – ISBN : 978-2-8001-6769-5
Bonjour, que contiennent ces 32 pages de cahier exactement ?
Je sais qu’il y a 16 pages de planches, auriez-vous le détail des 16 autres pages ?
En vous remerciant .
Bonsoir,
Le Cahier contient également des aquarelles et esquisses préparatoires, ainsi qu’une longue interview de l’auteur. De quoi satisfaire notre curiosité !
Il semblerait que ce livre n’ait pas été distribué en France, tout serait resté en Belgique!!
Et pourtant Mr Dartay, ce cahier » Théodore Poussin » est encore, à ce jour, disponible dans plus de 60 librairies de France dont, au moins, 34 enseignes du réseau CanalBD.
Si vous en cherchez….il semble donc pas très difficile à dénicher. ^^
Ping : Anonyme