Spécial « Super-héros français »

Cette semaine, je vous propose de faire un petit point sur certaines publications françaises de super-héros… français. Je ne vais pas vous refaire l’histoire une milliardième fois, vous savez bien qu’outre les super-héros pur jus US il y a aussi en France une vraie histoire du super-justicier depuis longtemps (« Fantax », Lug, Mitton, Arédit, etc. !). L’un s’habille en renard et l’autre en incarnation de la République : je parle bien sûr de Fox-Boy et du Garde Républicain. C’est parti !

Avant d’aborder ces publications, permettez-moi de faire une petite digression… Je tiens vraiment à vous parler des auteurs principaux de ces super-héros-ci, car j’ai le privilège de les connaître tous les deux et il me semble que – dans ce monde de brutes et d’apparences derrière lesquelles se cachent bien des trucs moches – c’est important de parler des hommes autant que de leurs œuvres lorsqu’ils sont remarquables. À chaque fois que je les ai rencontrés, leur sincère humanité, leur passion, leur humilité et leur gentillesse m’ont sauté au visage avec sympathie. Laurent Lefeuvre est pétri d’une réelle passion pour la bande dessinée qu’il fait naturellement partager sans jamais plonger dans le côté monomaniaque, unilatéral et exclusif que l’on retrouve chez certains fans. Il aime l’art, les comics, mais il parle beaucoup des gens, finalement (indice intéressant). Cet humanisme et cette passion mêlés transpirent dans ses œuvres, ce qui n’est pas la moindre qualité de ses créations, voilà pourquoi je vous en parle. Se situant dans notre temporalité, « Fox-Boy » contient des éléments qui témoignent de la sensibilité combattive de l’auteur. Dans le premier tome, le problème de la montée du FN n’était pas traité de manière anodine, et dans son tome 2 qui se déroule en 2015, le « Je suis Charlie » fait aussi partie du décor, avec subtilité… Aujourd’hui, en allant voir son blog pour les besoins de cet article, j’ai vu son dessin réalisé en hommage à ce très cher René Hausman qui vient malheureusement de nous quitter, et j’ai été terriblement touché par ses mots, son dessin, et la sincérité de son intention. Moi, franchement, quelqu’un qui est dans la veine « comics » et qui rend ainsi hommage à Hausman, ça me donne de l’espoir dans la vie. De plus, le bougre est bigrement doué, sur le fond comme sur la forme, ce qui ne gâche rien. Thierry Mornet est adulte depuis un moment, certes, et ne se conduit pas comme un « adulescent », heureusement, mais lorsqu’il vous aborde, il y a dans son regard et sa posture ce petit quelque chose d’indéfinissable qui exprime une générosité et une bienveillance ayant un rapport ténu avec cette qualité rare : vivre en adulte sans jamais avoir renié ses rêves et son univers d’enfant, réussissant à créer une continuité qui s’enrichit justement par son évolution assumée – quitte à créer les territoires de son existence en toute connaissance de cause. Jeune lecteur dévorant les comics en VF puis devenu éditeur et ami émerveillé avec certaines de ses idoles, Thierry Mornet a fait de sa passion sa vie, sans jamais perdre de vue l’humain. Il côtoie certaines des plus grandes signatures des comics, mais il ne s’en vante pas, préférant souligner l’aventure humaine avant tout. Lui aussi, il parle beaucoup des gens, finalement (indice intéressant bis). Je me rappelle avoir bu une bière avec lui et Charlie Adlard pendant un Festival d’Angoulême, c’était d’une simplicité et d’une amitié confondantes, moment si convivial que je ne me sentis jamais de trop… De surcroît, quand on sait que le montant des ventes de deux des dernières publications de son « Garde Républicain » sont entièrement reversées à la recherche sur la mucoviscidose et aux Orphelins de la Police, et que Thierry Mornet souhaiterait renouveler l’expérience une fois par an pour d’autres associations caritatives, on ne doute plus de la belle humanité de ce fan-éditeur-auteur passionné. Voilà ! Je tenais à le dire ! Maintenant, zou, passons aux comics !

« Fox-Boy T2 : Angle mort » par Laurent Lefeuvre

Pour ceux qui auraient loupé le premier tome, voici la petite introduction que j’en avais fait fin 2014 : « En octobre dernier, Brigh Barbier vous proposait sur notre site une interview de Laurent Lefeuvre (http://bdzoom.com/?p=78878) pour parler de la sortie du premier tome de « Fox-Boy », une série de son cru mettant en scène plus qu’un super-héros français : un super-héros breton ! Du super-régionalisme ! On connaît l’amour de l’auteur pour les fascicules et autres petits formats français dédiés aux super-héros qui ont fait les beaux jours des kiosques des années 60 aux années 80, avec en fer de lance, bien sûr, Lug et Arédit : on n’a pas oublié son ouvrage sur les éditions Roa chez Mosquito qui était un régal absolu pour tout amoureux nostalgique de cette époque. Avec « Fox-Boy », Laurent Lefeuvre a relevé un challenge difficile et l’a réussi haut la main, cette série étant une très chouette surprise. Nous avons affaire là à un vrai et bon personnage de super-héros, dans un contexte et un esprit qui rendent la chose crédible, cette création bénéficiant d’un humour et d’un découpage qui engendrent une belle dynamique : très agréable à lire ! Le personnage est intéressant : plutôt antipathique au départ, avec une idéologie proche du FN, il apprend petit à petit à évoluer et délaisser ses idées crasses pour devenir un vrai justicier. Ce contexte français, politique et sociétal, apporte une vraie dimension éthique à cette œuvre qui du coup s’avère bien plus riche qu’une simple série de super-héros lambda. Le style, oscillant entre Janson et Colan (oui, Laurent Lefeuvre est terriblement doué…), est sombre à souhait, et le récit rudement bien mené. Bref, c’est une série attachante, contemporaine tout en étant truffée d’hommages que les aficionados de la génération Strange remarqueront avec délice (rien que la typo du titre rappellera des choses à bien des fans !)… À suivre ! » Et donc on suit…

Oui, on suit avec grand plaisir, même si ce deuxième volume de « Fox-Boy » est plus qu’une « simple suite ». En effet, nous avons plutôt affaire là à une exploration plus poussée de l’univers mis en place par Lefeuvre non seulement dans la série « Fox-Boy » en elle-même, mais aussi dans ses ouvrages « Tom et William » (au Lombard) et « La Merveilleuse Histoire des éditions Roa » (chez Mosquito), réalisant ainsi quelque chose de peu commun chez nous : un véritable multivers publié chez différents éditeurs et aux différents visages complémentaires, dans un jeu de mises en abîme redoutablement pensé, réalisé et ciselé. Aux albums de bande dessinée où les héros sont en relation avec les personnages des éditions Roa s’ajoute ce guide de Lefeuvre co-écrit avec Alain Chevrel, grand spécialiste desdites éditions et… tout aussi fictif qu’elles, à l’instar de leur créateur, un certain John King ! Dans ce deuxième volume de la série, Fox-Boy va rencontrer ce fameux Alain Chevrel qui va lui en dire plus sur ses origines… On se retrouve donc avec (suivez bien, hein) un personnage de fiction qui rencontre le co-auteur imaginaire de l’auteur réel qui a consacré un ouvrage sur les publications que lit ledit personnage et qui lui ont donné ses origines… Sur le papier, ça a l’air compliqué, mais à la lecture, tout va bien, et c’est même un grand plaisir que de découvrir toutes les strates successives et complémentaires qu’a échafaudées Lefeuvre avec une malice assez diabolique – et qui est aussi le fruit de sa passion inextinguible pour le genre et la nature des fascicules et autres petits formats de l’âge d’or français. Je dirais même que – plus qu’un multivers – ce que met en place l’auteur depuis un certain moment est une entité assez inédite, instaurant dans le paysage éditorial « normal » un espace inventé de toutes pièces, comme une structure indépendante de l’imaginaire ; un très beau projet, je trouve. Et rendre ainsi hommage à tout un pan longtemps mésestimé du patrimoine de notre histoire éditoriale française en faisant preuve d’autant d’inventivité, moi j’dis « chapeau ».

Au-delà de cette idée « möbius-gigogne » qui s’épanouit en prend pleinement pied dans ce « Fox-Boy » T2, nous trouvons aussi ici la confirmation du talent artistique et de la science narrative de l’auteur, le découpage s’avérant dynamique et le dessin rappelant quelques belles influences qui ne dévorent pas pour autant son propre style quelque peu alchimique. Et puis… il y a là assez de clins d’œil et de références aux comics pour ravir tout amoureux du genre, ce qui rend la lecture très savoureuse. Ainsi, au-delà du nom du Fakir Dotki dont nous avions fait la connaissance dans le T1, un hommage supplémentaire est rendu graphiquement à Steve Ditko, quelques grandes cases ou même doubles pages sont un hymne à Kirby, et dans le premier des deux épisodes de l’album, on sent à nouveau l’amour de Colan, Janson ou Wrightson… bref, y a pire, comme influences ! Ce deuxième volume de « Fox-Boy » est aussi la fin du premier cycle de la série, en espérant que ce ne soit pas le dernier, car il y a dans cette création faisant partie d’un grand tout un potentiel assez riche et intéressant pour continuer l’aventure de belle manière… Bevet Breizh, bevet Lefeuvre, bevet Paotr Louarn !

Albums « Le Garde Républicain » par Terry Stillborn & co

« Fox-Boy » est édité par le label Comics Fabric chez Delcourt, sous la houlette d’un certain… Thierry Mornet, le « Monsieur Comics » de cet éditeur, à la tête de la collection Contrebande. Depuis Scarce et Semic, notre homme n’a jamais cessé de vouloir faire vivre les comics en France, et il est légitime qu’après avoir passé autant de temps à se consacrer aux artistes de comics, il ait eu envie de créer son propre super-héros. En 2013, sous le pseudonyme malicieux de Terry Stillborn, il publia donc le premier numéro de son « Garde Républicain » (pour lire la présentation que j’en avais faite à l’époque, cliquez sur ce lien : http://bdzoom.com/?p=69844). Depuis, la série s’est étoffée de plusieurs numéros réguliers (nous en sommes au n°7), mais aussi d’annuals et de hors-séries. Petit tour d’horizon des derniers titres parus (que vous pouvez commander notamment via la page facebook dédiée à ce super-héros made in France : https://www.facebook.com/LeGardeRepublicain).

La série régulière, tout d’abord. Dans le n°6, la suite et fin du récit « Révélations » nous replonge dans les années 1960 où le Garde Républicain est incarné par Franck Maillard. Une époque coincée entre les braises mal éteintes de 39-45 et les événements de mai 68 dont le récit se fait l’écho, la série s’attachant comme d’habitude à tisser des liens étroits entre l’histoire de notre pays et les aventures du héros – parfois accompagné de Marianne et Gavroche : tout est dit ! Puis nous pouvons lire le troisième épisode des origines du Garde, situées à la fin du XVIIIe siècle avec un Lafayette en first french guard. Le n°7 rompt un peu avec la continuité de l’esprit instauré depuis le début de la série en proposant plusieurs histoires du Garde s’inscrivant dans une veine résolument humoristique. Personnellement, je trouve que cette ouverture vers d’autres genres est assez réjouissante, d’autant plus que les auteurs s’en sont donné à cœur joie ici ; le pompon revient indiscutablement au premier récit, « Le Garde Républicain vs NuclearMan », parodie de baston super-héroïque où le méchant malgré lui souffre… d’explosions annales détruisant les monuments de Paris (oui oui, vous avez bien lu, la menace, c’est bien des prouts explosifs !). Potache ? Certes ! Mais franchement, contre toute attente, c’est très drôle sans être vulgaire !

Quand on sait que le jeune Thierry Mornet est tombé dans les comics notamment par la lecture de Mustang, on imagine alors son émoi lorsque – quelques décennies plus tard – il a eu la possibilité de confier sa propre création à un certain… Jean-Yves Mitton ! La boucle est bouclée, et pas qu’un peu ! En compagnie de Reed Man, autre grande figure de la culture lugienne ici aux couleurs, Mitton nous propose un récit situé en 2054, extrapolé d’après les soubresauts sociaux de notre époque actuelle. Violence dans les stades, attentats, racisme ambiant et groupe terroriste sont au programme de ce futur pas si lointain… Il ne faut pas être grand clerc pour comprendre combien l’auteur – utilisant le caractère de cette série ayant pour héros un défenseur des vraies valeurs républicaines – en profite pour fustiger les maux qui gangrènent notre société actuelle, balançant quelques dialogues bien sentis notamment par rapport au nationalisme et à la bêtise violente présents dans les stades de football. Cette charge contre la connerie assassine ne se fait pas non plus sans humour, ce qui n’est pas étonnant de la part de Mitton. Cet album constitue la première partie d’une aventure plus longue, puisqu’un deuxième tome est annoncé à la fin du présent récit. On l’attend avec gourmandise. Pour clore cette chronique, un petit mot aussi pour vous dire que le deuxième annual du « Garde Républicain » est enfin paru, proposant un récit en noir et blanc de Jean-Marc Lofficier illustré par Alfredo Macall, associant le Garde à Dragut et Bouche Rouge. De l’action tous azimuts à différentes époques, de 1561 au Mexique à 4015 à Los Angeles en passant par Paris en 2015… À travers tous les titres de la série du « Garde Républicain », on sent cette fameuse aventure humaine dont je parlais plus haut et qui s’exprime avec amitié et bienveillance, Thierry Mornet mettant toujours en lumière les artistes avec qui il crée dans des pages où il nous parle d’eux et de leur collaboration. Lefeuvre et Mornet ? Des honnêtes hommes, vous dis-je ! Pas étonnant que le Garde Républicain ait déjà croisé la route de Fox-Boy !

Cecil McKINLEY

« Fox-Boy T2 : Angle mort » par Laurent Lefeuvre

Éditions Delcourt (15,95€) – ISBN : 978-2-7560-6989-0

Albums « Le Garde Républicain » par Terry Stillborn & co

Éditions Hexagon Comics (prix divers selon les publications)

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