Le photographe Francisco Hidalgo était aussi dessinateur de bandes dessinées…

Même si aucun éditeur n’a réédité récemment d’œuvres de Francisco Hidalgo, artiste plus connu comme photographe que comme dessinateur de bande dessinée, nous avons quand même eu envie d’évoquer le parcours de cet homme peu ordinaire qui n’hésitait pas à écrire, dans l’un de ses ouvrages publiés par la maison d’édition espagnole Toutain, qu’il avait « fait l’erreur de donner trop d’importance à la réalisation, dans le but d’atteindre la perfection. Perfection que je n’ai pas atteinte. Mais j’ai finalement trouvé que ce qui est important dans la vie : c’est le concept, pas la réalisation ! »

Francisco Hidalgo.

Rendons à César ce qui est à César, si ce « Coin du patrimoine » existe aujourd’hui, c’est un peu grâce à notre collaborateur Henri Filippini qui nous a donné envie de nous pencher sur la carrière de cet auteur peu connu des nouvelles générations. En effet, dans l’un de nos récents échanges par courriel, ce spécialiste des bandes dessinées des années cinquante et soixante voulait mettre en avant le troisième tome des aventures de Thierry le chevalier publié en mars par les éditions Fordis, dans leur collection reprenant les bandes dessinées peu connues du grand scénariste Jean-Michel Charlier (voir La Collection Jean-Michel Charlier reprend son envol…). Comme nous avions déjà consacré, peu de temps avant, un conséquent « Coin du patrimoine » au dessinateur de la série (voir Carlos Laffond, un parcours méconnu…), il ne nous a pas paru opportun de revenir à nouveau sur la parution de cette passionnante aventure où le héros, chevalier sans nom, partait libérer le bon roi Richard Cœur de lion, en compagnie du trouvère Loÿs le Rouge.

Cependant, le dossier dû à votre serviteur accompagnant ce bel opus (si vous ne l’avez pas encore, n’attendez pas trop, le tome 2 est déjà épuisé !!!) alertait les acquéreurs de l’album sur l’existence de Héros des croisades, Richard Cœur de lion délivré par son troubadour : un récit complet didactique de deux pages, où une quinzaine d’images non signées surmontaient un texte imposant écrit anonymement par Charlier, lequel avait été publié dans Pilote, au n° 19 du 3 mars 1960.

Or, à peine Henri avait-il lu cette information qu’il nous a signalé qu’à son avis, le dessinateur de cette double page pourrait bien être l’Espagnol Francisco Hidalgo.

Après comparaison avec d’autres travaux de ce graphiste qui signait aussi Yves Roy — notamment une autre histoire didactique du même style, publiée également en deux pages dans Pilote à la même époque (La Folle Équipée de la « générale », sur un texte de George Fronval, au n° 23 du 31 mars 1960) —, il semblerait bien que l’érudit chroniqueur ait vu juste (1) ; même si, sans signature, personne ne peut affirmer à cent pour cent qu’il s’agisse assurément d’Hidalgo !

En effet, sa façon de dessiner les visages de côté, les coupes de cheveux, mais aussi les chevaux, les plis des vêtements et certains décors, semblait identique.

Par ailleurs, Francisco Hidalgo illustrera aussi, un peu plus tard, dans la revue Cœurs vaillants des éditions catholiques Fleurus, une bande dessinée se déroulant au Moyen-âge où l’on a pu efficacement comparer son style assez remarquable.

Il s’agit de « Blason d’argent », série dont il réalisera la partie graphique de seulement quatre aventures, les trois premières étant scénarisées par Jean-Marie Pélaprat, alias Guy Hempay, en 1957 et 1958, et l’autre par Hervé Serre, en 1959.

Même si un autre épisode de cette époque a été dessiné par Georges Brient en 1957, la série sera ensuite confiée, à partir de 1959, à Guy Mouminoux, plus connu sous son futur pseudonyme de Dimitri.

Ce dernier en assumera le dessin de vingt autres récits, jusqu’en 1968. Deux de ceux dont Hidalgo et Hempay étaient responsables (« Le Mystère de la Cantenelle »et « Les Compagnons de la Sainte Chapelle », prépubliés respectivement du n° 7 au n° 26 de 1958 et du n° 31 de 1958 au n° 2 de 1959) ont été compilés en deux albums brochés chez Fleurus, en 1959, dans la Nouvelle Collection Fleurdor.

Autre argument qui plaide en la faveur de la suggestion d’Henri Filippini, c’est que Francisco Hidalgo faisait partie de la bande de dessinateurs espagnols immigrés, dont certains avaient fui le régime franquiste, à  laquelle Charlier donnait souvent du travail : des coups de main fort appréciés qui leur permettaient de mieux vivre de leur métier.

Ce dessinateur réaliste avait même déjà travaillé directement sur des scénarios de Jean-Michel Charlier, pour illustrer deux des « Belles Histoires de l’Oncle Paul » de Spirou ayant le même thème aéronautique : Le Hussard de la “Mors”, au n° 843 du 10 juin 1954 et « L’Oiseau blanc » au n° 844 du 27 juin 1954 [tous deux repris dans l’album « Les Histoires vraies de l’Oncle Paul » n° 12 aux éditions Dupuis en 1955].

De son nom entier Francisco Hidalgo Bartau, ce graphiste était né à Cabra del Santo Cristo (province de Jaén, au nord-est de l’Andalousie, en Espagne), le 17 mai 1929. « Je pense que je suis né avec le dessin dans la peau… Mon premier souvenir remonte à 1934, à l’âge de cinq ans. C’était Noël et j’ai essayé de copier une page de calendrier représentant Mickey Mouse », avait-il déclaré au quotidien El Pais, peu avant son décès, à l’âge de quatre-vingts ans.

Première de l'une des deux « Belles Histoires de l’Oncle Paul » scénarisées par Jean-Michel Charlier et illustrée par Francisco Hidalgo.

D’ailleurs, il publiera sa première bande dessinée, La Secta de Tong-Khan aux éditions Marco, dès 1943, alors qu’il n’avait que quatorze ans. L’année suivante, il publiera aussi les enquêtes d’un héros masqué, Mas-Ley, aux éditions Iman, sur scénario d’un certain F. M. Hortas.

Après des études à l’École des Beaux-Arts de Madrid et de Barcelone, Francisco Hidalgo travaille sur le film d’animation Garbancito de la Mancha (dirigé par Arturo Moreno, en 1945) et dessine pour diverses revues espagnoles comme Mundo Infantil (« Ted Grangton », en 1945), El Gran Chicos (« John Harrington », en 1947), El Campeón (où il met en scène les séries policières « Dick Sanders » et « Doctor Niebla », en 1948, sur scénarios de Silver Kane, puis de Victor Mora), Victoria (« El Lobo », en 1948), Historietas (« Bing Fisher », 1949), Alcotán (« Dick Tober », en 1952) et El Coyote (« Skilled » en 1948, « Marga la Hechicera » en 1953…).

En 1952, avec le scénariste Victor Mora, il y crée aussi « Ángel Audaz, detective privado » qui sera repris plus tard en France (de 1957 à 1959) dans des pockets édités par Artima comme Éclair ou Flash. La même année, toujours avec Victor Mora, il propose aussi la série d’anticipation « Al Dany » aux éditions Cliper : une parabole sur la dictature franquiste.

En 1955, il illustre le western « Buffalo Bill » pour la revue anglaise The Comet (via l’agence ALI)

et « Rurales de Tejas » dans la revue espagnole Bisonte Gráfico des éditions Bruguera, mais il s’était alors expatrié en France, dès l’année précédente. Ceci pour trouver du travail : denrée de plus en plus rare dans son pays d’origine.

Il va alors travailler pour pratiquement tous les grands magazines de bandes dessinées francophones de l’époque : Spirou, Coq hardi, Pierrot (avec « Zalta el libertador » avec Georges Brient en 1955, repris en album à diffusion très limitée – cinquante exemplaires seulement – par les éditions du Taupinambour, en 2014), Cœurs vaillants, Lisette, Bayard, Record (avec « Jack de Minuit » en 1962 — certains scénarios sont de François Gépral ou d’André Désiré Fernez — et « Michel Fordan » en 1966, dont les textes sont dus quelques fois à Jacques Kamb ou à J. Marian), Pilote (avec « Éric Murat » scénario par Franck-Dominique en 1964  — repris en album aux éditions du Taupinambour, en 2010 —  et « Luc Lancier » en 1965), Chouchou (avec l’inachevé « Pat Patrick et la dame de Hong Kong » scénarisé par Jean-Claude Forest se dissimulant sous la signature de Walter See, en 1964), Tintin (avec « Pas de pâtée pour Blackie », un scénario d’André Fernez publié en 1965 et « Commando I » en 1967)…Toutefois, on le remarque surtout dans Vaillant, hebdomadaire pour lequel il dessine plusieurs récits complets, ainsi que certains épisodes de la série d’aviation « Bob Mallard » (sous le pseudonyme d’Yves Roy, et sur des scénarios de Jean Sanitas alias Sani, entre 1957 et 1961) ou du western « Teddy Ted » (en 1963, avec Jacques Kamb aux scénarios) (2), tout en continuant à contribuer épisodiquement à la revue de BD espagnole Bisonte Gráfico.

Francisco Hidalgo dans Bisonte Gráfico.

C’est à la fin des années 1960 qu’il se tourne définitivement vers la photographie, travaillant pour différents organismes internationaux et exposant un peu partout dans le monde ses photos sur des villes comme Madrid, Paris, New York, Londres, Venise, Hong Kong…, ou encore sur le Pérou.

Honoré par de nombreux prix pour ses nombreux ouvrages compilant ses photographies (Golden Obelisk World Cologne Photokina Hall en 1974 ou meilleur livre photo au festival d’Arles, en 1976), il décède à Paris, le 25 juillet 2009.

Pour ceux qui veulent en savoir plus sur cet auteur qui ne pratiquait pas la langue de bois, il faut lire la seule et très intéressante interview en français disponible sur le net en cliquant ici et en cherchant ensuite à Hidalgo : http://www.brusselsbdtour.com/default.aspx?section=interviews&interId=96.

Hong Kong photographié par Francisco Hidalgo.

Mais laissons le mot de la fin à Henri Filippini, sans qui, il faut le redire, cet article n’existerait pas : « J’aimais beaucoup le travail à la Milton Caniff d’Hidalgo et je l’ai bien connu : je le visitais souvent dans son appartement parisien boulevard Saint-Germain. Il était aisé, non pas grâce à la bande dessinée, mais à ses photos. Cependant, il conservait des liens solides avec ses potes espagnols qui eux, continuaient de galérer dans la BD. »

Gilles RATIER

Merci à Bernard Coulanges pour les scans issus du journal Tintin et au site Tebeístas : Galería de Dibujantes de Joan Narraro où nous avons trouvé de quoi illustrer la partie espagnole de la carrière d’Hidalgo, voir : http://joannavarrobadia.blogspot.fr/search/label/HIDALGO.

(1) Comme il se doit, Henri Filippini sera, bien entendu, remercié pour son œil de lynx dans le prochain et ultime tome de « Thierry le chevalier » (« La Couronne de fer ») que les éditions Fordis annoncent déjà pour septembre prochain.

(2) Il existe un album qui contient les trois premières aventures de Teddy Ted créées par Jacques Kamb et Francisco Hidalgo, avant la reprise du personnage par Roger Lécureux et Gérald Forton : il s’agit du « Justicier de Long River », toujours disponible aux éditions du Taupinambour ou sur http://coffre-a-bd.com, depuis 2011

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2 réponses à Le photographe Francisco Hidalgo était aussi dessinateur de bandes dessinées…

  1. MEZIERES Jean Claude dit :

    Salut Gilles,
    Merci pour les BDzoom que je regarde toujours avec curiosité . Cette semaine je tombe sur l’article sur Francisco Hidalgo et un flot de souvenirs me remonte à la mémoire…
    J’ai rencontré Hidalgo sans doute à Pilote avec Charlier au tout début de Valerian. Je rentrais donc de mon premier séjour américain et lui il dessinait des western et des trucs historiques et commençait à travailler sérieusement la photo après un séjour à New York.
    Au cours de la conversation , je lui dis que je cherche des docs photo sur la Statue de la Liberté… Il habitait à Paris tout près de chez moi et m’invita à passer voir ses photos._ internet n’existait pas à l’époque . Je tombe sur une photo plongeante qu’il avait faite de la Liberté depuis le flambeau.
    Cela me convient bien… et cette photo, je l’ai utilisée pour la deuxième case de la planche 4 de LA CITE , la vue sous-marine de la statue qui s’effondre .
    Plus tard, il avait toujours des nouveaux appareils de chez NIKON et , pour mes nouveaux voyages aux USA, je lui rachetais ses vieux appareils photo bien supérieurs à ceux que j’avais …
    Je l’ai revu encore il y a quelques années avant sa mort lors d’une expo de ses photos . Je crois qu’il continuait à dessiner un peu, toujours partagé entre photo et dessin.
    Merci pour cet article qui me permet de rendre un amical salut à un vieux compagnon de la BD populaire.
    JC MEZIERES

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