« Un maillot pour l’Algérie » par Javi Rey, Bertrand Galic et Kris

Sport universel par excellence, le football est utilisé depuis son origine pour la communication des propriétaires des grands clubs, comme support de publicité voire pour la propagande de régimes totalitaires. C’est pour susciter l’intérêt des médias et souder tout un peuple derrière lui que le FLN crée la première sélection algérienne, et ce en pleine guerre d’indépendance. Dès 1958, une dizaine de joueurs professionnels quittent la France métropolitaine pour défendre sportivement, tout autour du monde, les couleurs d’un pays qui n’existe pas encore. Globe-trotter infatigable pendant quatre ans, ces membres du « Onze de l’indépendance » seront à jamais les « fellaghas du ballon rond ».

Le 8 mai 1945, on fête à Paris la fin des combats de la Seconde Guerre mondiale en Europe, l’Allemagne nazie vient de se rendre sans condition. Dans les départements français d’Algérie, la joie est partout présente. Les pieds noirs pensent qu’une fois la paix revenue, ils reprendront la même vie que dans les années 1930, tandis que beaucoup de musulmans veulent entamer un dialogue pour obtenir l’indépendance. À Sétif, une manifestation dégénère, des Français sont tués, la répression de l’armée est féroce. Cet événement marque à jamais un garçon de neuf ans, très doué balle au pied, le petit Rachid Mekhloufi.

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Treize ans plus tard, en avril 1958, Mekhloufi est une vedette du club de Saint-Etienne. À 22 ans, il est champion de France avec le club du Forez, champion du monde militaire avec l’équipe de France et déjà sélectionné quatre fois dans la « grande » équipe de France. Le Sétifien est sur les tablettes du sélectionneur Albert Batteux pour participer à la prochaine coupe du monde en Suède. Pourtant, dans la nuit du 13 au 14 avril, il quitte la vie protégée de joueur de football professionnel et abandonne une carrière internationale brillante, pour rejoindre clandestinement l’Italie puis la Tunisie. Avec une dizaine de camarades issus de prestigieux clubs français – Mustapha Zitouni de l’AS Monaco, Abdelhamid Kermali de l’Olympique Lyonnais, Mokhtar Arribi du RC Lens ou Amar Rouaï du SCO d’Angers –, ils forment la première sélection d’un pays qui n’existe pas encore : l’Algérie.

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Zitouni et Rouaï

La guerre entre le Front de libération nationale (FLN) et les troupes françaises commence en novembre 1954. 1958 est une année charnière dans ce conflit où le contingent est engagé depuis deux ans, en mai, c’est une situation insurrectionnelle à Alger qui provoque le retour au pouvoir de De Gaulle et la fin de la IVe République. C’est dans ce contexte troublé que la sélection du FLN joue et gagne ses premiers matchs contre le Maroc et la Tunisie.

Pendant quatre ans, jusqu’à l’indépendance du pays, les footballeurs du FLN jouent 83 matchs, pour 57 victoires et 14 nuls, lors de tournées sur trois continents. Chaque match est utile pour la propagande du mouvement indépendantiste qui subit de lourdes pertes en Afrique du Nord. La sélection du capitaine Zitouni affronte souvent des équipes du bloc communiste, pays qui soutiennent le FLN, comme la Pologne, la Bulgarie, le Viêt Nam ou la Chine. Elle voyage, dans des conditions parfois hasardeuses, dans les pays arabes tels la Jordanie ou l’Irak.

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En 1962, une fois l’Algérie indépendante, Rachid Mekhloufi souhaite poursuivre sa carrière en France et notamment au club de Saint-Étienne qui l’a fort bien accueilli. Après un court passage au Servette de Genève, il retrouve le « chaudron » de Geoffroy-Guichard, et son bouillant public qui accueille à bras ouverts un excellent footballeur et un homme d’honneur.

En guise d’avant-propos, les auteurs ont tenu à préciser que leur œuvre inspirée de la véritable aventure de la première sélection de footballeurs algériens demeure un récit de fiction et qu’ils espèrent : « (…) Qu’à défaut d’une impossible exactitude, avoir rendu justice, et sa justesse, à cette aventure humaine, sportive et politique, hors du commun. »

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C’est donc à l’issue de recherches historiques et de nombreuses rencontres que les scénaristes Bertrand Galic et Kris ont construit ce récit qui mêle adroitement des destinées profondément humaines à la grande histoire, celle de la fin de la Seconde Guerre mondiale, de la décolonisation et de la guerre froide.

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Passionnés de football depuis l’enfance — les photographies illustrant leurs biographies en fin d’ouvrage en font foi —, les deux Bretons savent rendre le côté populaire et festif de ce sport universel, ainsi que l’engouement médiatique des matchs internationaux ou du Championnat de France. Déjà remarqué pour son dessin du diptyque « Adelante ! », scénarisé par Frank Giroud, le catalan Javi Rey apporte son trait réaliste et fluide à cette bande dessinée, historiquement juste et profondément émouvante.

Les exploits de Mekhloufi à Geoffroy-Guichard

L’ouvrage se termine par un dossier richement illustré du journaliste Gilles Rof sur le contexte et les grands moments de ce morceau d’histoire franco-algérien. Dans une passionnante interview, Rachid Mekhloufi, qui vit aujourd’hui entre La Marsa en Tunisie, Alger et Paris, affirme que l’équipe du FLN l’a profondément transformé, que sa maturité politique a influencé sa maturité de sportif. Ambassadeur à vie de l’ASSE, l’octogénaire continue de promouvoir l’idée d’un football source de solidarité et de paix dans le monde. « Un maillot pour l’Algérie » poursuit le même dessein, un travail de mémoire qui vise à apaiser les relations entre la France et l’Algérie.

Laurent LESSOUS (l@bd)

« Un maillot pour l’Algérie » par Javi Rey, Bertrand Galic et Kris

Éditions Dupuis (24 €) – ISBN : 978-2-8001-6341-3

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3 réponses à « Un maillot pour l’Algérie » par Javi Rey, Bertrand Galic et Kris

  1. Shamyl dit :

    Bonsoir à tous,
    Très belle initiative en BD
    Bravo!!!!

  2. Lazhar Boughambouz dit :

    C’est surement une bonne initiative! Mekhloufi mérite une telle initiative. Mais à lire vos commentaires de présentation, on remarque votre manque de neutralité à propos du pays pour lequel Rachid et ses camarades ont laissé tombé les « honneurs » dont vous parliez!
    Vous dites « un pays qui n’existe pas encore »….S’il n’existait pas, pourquoi se sont-ils senti obligés de « déserter » la France et accepter les « conditions « rocambolesques » de leur nouvelle vie? !Pour être plus prés des évènements, si l’Ukraine sera colonisé par les russes, 128 ans et formerait une équipe de foot en France de joueurs venus de Russie, pouvez-vous tenir les mêmes propos? La France a signé entre le 17e et 19 e siècles plus de…60 accord et conventions et avait une représentation diplomatique à Alger! Ce pays fut occupé comme le fut la France en 1940 pour ne pas aller plus loin… Vous dites un peu plus bas que la manifestation du 8 mai 1945 (A la même heure les américains pavoisaient à Paris qu’ils venaient de libérer) avait dégénérer et que des français furent tués!! La manifestation était pacifiques et s’inscrivait dans le cadre des promesses faites par De Gaule, qui avait fait d’Alger sa capitale, à octroyer certaines avantages aux algériens qui se sont fait massacrés à Cassino et en Provence pour libérer la…France! ce sont les français qui ont tirés sur les manifestants et du drapeau algérien! il eut certes des français morts, mais pas autant que les 45.000 algériens. Si le petit Rachid que vous dites s’est rangé 13 années plus tard, à 22 ans, sous la bannière du FLN, c’est que la rupture fut consommé en 1945 et que ce fut au fait le début de la révolte algérienne contre le COLONIALISME français…

    • Laurent Lessous dit :

      Bonjour,

      Je ne comprends pas très bien votre commentaire à la limite de l’injure. La bande dessinée met à l’honneur le parcours de Mekhloufi avant l’indépendance de l’Algérie en juillet 1962. Quant aux événements de Sétif en mai 1945, ils partent de la mort de 29 Européens avant la répression française, coloniale évidemment, qui est bien montrée dans l’album qui fait elle entre 5 000 et 20 000 morts. Je ne peux vous laisser ici répandre la propagande du régime algérien actuel avec le chiffre de 45 000 morts.
      Pour clore le débat, je vous renvoie vers les travaux des historiens algériens Mahfoud Kaddache et Mohamed Harbi sur le sujet ainsi que sur le dernier numéro du magazine L’Histoire intitulé  » Tragédies algériennes 1830 -2022″ , vous y trouverez l’état des travaux historiques les plus récents depuis l’article de M’Hamed Oualdi sur « Sous les Ottomans, une première colonisation » à celui de Jean-François Mondot sur « Aujourd’hui, l’enjeu mémoriel, c’est la colonisation! »; Enjeu mémoriel toujours en débat des deux côtés de la Méditerranée.

      En vous souhaitant une bonne journée,

      Laurent Lessous.

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