Rencontre avec Walter Hill et Matz pour « Corps et Âme »

On ne change pas une équipe qui gagne ! Après « Balles perdues », le réalisateur Walter Hill a confié au scénariste Matz et au dessinateur Jef l’adaptation en bande dessinée de son nouveau film « Corps et Âme », dont il vient de terminer le tournage et qui sortira sur grand écran en début d’année prochaine.

Producteur (« Alien, le huitième passager » de Ridley Scott…), réalisateur (« 48 Heures »…) et scénariste américain, le francophile Walter Hill est une véritable légende du 7e art. C’est justement sur les plateaux de cinéma qu’il fait la rencontre de Matz, alors qu’il dirige la libre adaptation cinématographique de la trilogie (dessinée par Colin Wilson) « Du plomb dans la tête », avec Sylvester Stallone dans le premier rôle. Les deux hommes discutent et l’auteur du « Tueur » demande à Walter Hill si celui-ci ne disposerait pas d’une histoire sur laquelle ils pourraient travailler tous les deux. Ce dernier lui soumet alors « Balles perdues », un projet qu’il n’a pas réussi à monter pour le grand écran.

Walter Hill et Matz au Salon du Livre de Paris le 18 mars 2016

L’album, paru l’an dernier (voir « Balles perdues » par Jef et Matz [d'après Walter Hill]), rencontre un vif succès et les deux hommes décident de retenter l’aventure pour travailler cette fois sur un scénario récent et totalement original : « Les éléments déclencheurs de cette histoire sont de trois ordres », nous révèle Walter Hill : « l’ambiguïté des personnages, l’idée de vengeance et la notion d’identité sexuelle. En fait, je cherchais à travailler sur un récit du genre néo-polar. On m’avait d’ailleurs demandé d’écrire la préface d’un livre sur ce sujet. Et je me suis souvenu qu’en 1990, j’avais signé trois épisodes de la série d’horreur que je produisais pour la télévision : “Tales from the Crypt”. Il y avait beaucoup de personnages négatifs, horriblement méchants et je me demandais si je serai capable d’imaginer de tels personnages et, finalement, quelles étaient les motivations d’une personne qui cherche à se venger ? C’est là que j’ai exploré la piste de la vengeance pour faire suite au vol de l’identité sexuelle. »

Tout commence en effet par un contrat facile que doit exécuter Frank Kitchen, un redoutable tueur à gages réputé pour son efficacité et sa discrétion, et dont il s’acquitte comme à son habitude avec brio. Mais ce meurtre l’entraîne dans un terrible piège : et il se réveille d’une intervention chirurgicale qui l’a transformé en femme. Frank(e) ne pense alors plus qu’à se venger !

Oui, mais… Matz : Encore une histoire de tueur ?!!! : « C’est ce que j’ai dit à Walter en première intention ! » nous précise le scénariste en souriant. « Ce à quoi il m’a répondu, avec humour : “Oui ! Mais tu les fais très bien !!!” Plus sérieusement, je me suis attelé à la lecture du récit et au vu de l’intrigue novatrice qui était développée, je n’ai eu aucune hésitation pour le faire. »  Sur la base du récit original de Walter Hill, qu’il traduit, Matz élabore donc une adaptation en bande dessinée : « Le scénario n’est pas totalement calqué sur celui du film, nous précise l’auteur de “Cyclopes”, car même si les deux projets ont été développés simultanément et que nous nous sommes synchronisés, l’écriture du film a évolué ultérieurement et les contraintes budgétaires liées au cinéma ont obligé à des coupes. » C’est ainsi qu’on assiste, par exemple, à un long monologue exprimant la dépression du personnage principal, qu’on ne retrouvera pas sur grand écran, tout comme certaines scènes demandant de gros investissements : « La BD a des moyens illimités », constate avec une pointe de regret Walter Hill !

Il est également évident que des contraintes morales font que le film sera sans doute par moment moins « cru » que la BD : « Le film se situera dans le respect des limites raisonnables de ce qu’on peut faire au cinéma », nous indique le réalisateur, qui poursuit « mais il était important d’aborder de manière civilisée le sujet sérieux et très sensible des transgenres et de ne pas le prendre à la légère. Bien sûr, le film fait appel aux mécanismes traditionnels, mais personne n’a songé à en minimiser les aspects sociétaux. Habituellement, la thématique est abordée par le biais de personnes qui sont dans un corps qui ne leur convient pas et cherchent à en changer. Ici, c’est l’inverse, nous sommes sur une histoire d’une identité renversée. Notre personnage est heureux dans un corps dont il se voit privé à la suite d’une trahison, ce qui le rend mauvais. Nous sommes sur la thématique de l’identité : ce que nous voulons être, qui peut être différent de ce que nous sommes ! Nous nous inscrivons dans le respect des personnes transcendes » Et Matz d’enchérir : « nous avons conçu un récit néo-noir proche du polar féministe ! Comme disait Oscar Wilde : “Les femmes valent mieux que l’égalité”. Notre livre va dans ce sens. »

Bien entendu, le dessin et les couleurs ont naturellement été pris en charge par Jef, qui livre une prestation graphique aboutie, en correspondance totale avec l’univers sombre du récit : « C’est le grand héros de ce travail », se réjouit Walter Hill. « Nous nous sommes influencés mutuellement. Quand j’écris, je dois visualiser et ce qui a été fait dans le film est inspiré du travail de Jef, ne serait-ce que dans la construction de mon inspiration visuelle ».

Les admirateurs de Walter Hill, et de l’univers de ce néo-polar, devront cependant patienter encore pour se réjouir dans les salles obscures et découvrir Sigourney Weaver et Michelle Rodriguez dans les rôles principaux : « le tournage vient juste de s’achever », nous indique Walter Hill. « Nous envisageons éventuellement une 1ère lors du Festival de Toronto en septembre et le film devrait sortir en décembre 2106 ou janvier 2017 ». En attendant, plongez-vous dans ce roman graphique plein de fureur et d’interrogation sociale qui vivra, peut-être, un prolongement : « nous en avons déjà parlé », déclarent de concert Matz et Walter Hill, « car Frank peut continuer à rechercher la justice et à se venger, ce qui ferait une bonne histoire. Quoi qu’il en soit, nous sommes prêts à retravailler ensemble ! »

Laurent TURPIN

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