Les amateurs de son œuvre le savent bien : Jacques Tardi est un boulimique de travail qui dessine matin, midi et soir. Or, « Dessins matin, midi et soir », c’est le titre d’un beau petit recueil édité par Oblique Art (structure dirigée par Pierre-Marie Jamet) qui nous propose pas moins de 160 pages rassemblant des illustrations réalisées par le créateur d’« Adèle Blanc-Sec », sélectionnées dans les nombreux carnets qu’il a noircis (voire mis en couleurs) tout au long de sa remarquable carrière d’auteur du 9e art : croquis, études de personnages… et même courtes bandes dessinées iconoclastes inédites.
Lire la suite...« Au cœur de Fukushima » T1 par Kazuto Tatsuta
Depuis la catastrophe de Fukusima, de nombreuses personnes s’expriment sur le sujet. De nombreux mangas en parlent comme une fatalité ou comme un combat, mais toujours avec une opinion tranchée à l’instar de « Colére nucleaire » chez Akata. Pour la première fois, voici un manga factuel sur l’après-tsunami. Le lecteur y découvre la manière dont est gérée cet incident de l’intérieur, ce qui est vrai, ce qui est faux ! On suit le parcours de Kazuto Tatsuta : un ouvrier travaillant au plus près du réacteur à démanteler.
Que se passe-t-il depuis le 11 mars 2011 à la centrale nucléaire de Fukushima Daiichi ? Personne ne le sait vraiment dans le grand public. Les informations distillées par les autorités, les responsables de Tepco et les associations qui militent contre le nucléaire sont toutes contradictoires. Aucun ouvrier n’a réellement expliqué en détail son travail sur place. Du coup, cela a donné une idée à un dessinateur de mangas, qui malheureusement n’arrivait pas à vivre de son art. Il a décidé de se faire embaucher comme travailleur au sein de la zone sinistrée et de raconter son aventure en image. Kazuto Tatsuta est son nom de plume, c’est un nom fictif tout comme celui de l’entreprise qui l’a embauché et de ses camarades qu’il a côtoyés. Simple question de respect, ce qui lui permet de continuer à travailler tout en accumulant de véritables anecdotes qu’il ne peut aujourd’hui transmettre.
Devenir ouvrier à Fukushima n’est pas aussi simple que l’on aurait pu l’imaginer. Même s’il était au chômage, Kazuo a dû batailler pour travailler dans ces zones à haut risque. Ses amis, comme son conseiller du bureau d’emploi, ont bien essayé de le dissuader, mais quitte à faire quelque chose, autant que cela soit utile à la communauté. C’est donc de manière pédagogique, simple et détaillée, qu’il nous raconte ce travail inhabituel vu de l’intérieur. Il explique la hiérarchie des postes, les différentes zones, leurs délimitations, leurs risques et l’équipement nécessaire pour s’y rendre. La pénibilité du travail, les contraintes énormes liées à cette situation exceptionnelle… rien n’est oublié ou passé sous silence. Mais ces explications sont toujours données de manière neutre, comme un fait, sans porter de jugement. C’est son travail et il est là pour faire de son mieux, même si cela s’avère pénible et souvent compliqué à cause des contraintes liées aux radiations, comme il l’explique si bien. Les consignes de sécurité étant là pour ne pas surexposer les ouvriers à une dose de rayonnement qui mettraient immédiatement leur vie en péril.
Le dessin de Kazuto Tatsuta est très réaliste. Son manga est sérieux : il ne pouvait pas dessiner ses personnages de manière caricaturale. C’est un gekiga avec un vrai sujet dramatique. Il est étonnant que l’auteur n’ait jamais pu percer dans le monde du manga avec une telle maîtrise de son trait. Il y a bien quelques défauts, surtout dans le second chapitre, mais, graphiquement, il peut rivaliser avec beaucoup de professionnels. Peut-être n’avait-il jamais trouvé d’histoires à sa hauteur. Voilà qui est fait. Son scénario est extrêmement agréable à lire et semble retransmettre fidèlement son quotidien. En tout cas, il y a de quoi lire : tout est bien détaillé, chaque action est expliquée. Ce manga ne se parcoure pas en dilettante, on est presque dans le roman illustré et c’est tant mieux, car il faut bien tous ces détails pour appréhender la complexité du travail au cœur de cette zone ou seules les personnes habilitées peuvent se rendre.
« Au cœur de Fukusima » est assurément un des meilleurs mangas de reportage du moment, le plus informatif et surtout celui qui semble le plus véridique. Sans faux-semblants larmoyants, l’auteur retranscrit tout ce qu’il voit, tout ce qu’il fait. C’est un travail comme un autre, avec ses risques, mais aussi ses déconvenues, parfois ses moments de joie et surtout beaucoup d’humanité. À lire pour mieux comprendre la problématique de la décontamination nucléaire et surtout se faire sa propre idée sur le suivi de la catastrophe.
Gwenaël JACQUET
« Au cœur de Fukushima » T1 par Kazuto Tatsuta
Éditions Kana collection Made in (9,90€) – ISBN : 9782505064596