« Descender T1 : Étoiles de métal » par Dustin Nguyen et Jeff Lemire

Lorsque deux créateurs sensibles se penchent sur l’un des aspects les plus technologiques de la science-fiction, cela donne « Descender », une série où les robots sont traités sous un angle profondément humaniste, empli de subtilité, de nuances… et superbement mise en images par les aquarelles de Nguyen. Un beau mélo techno.

Le postulat de départ de « Descender » s’appuie sur certains des plus grands archétypes de ce mythe institutionnel de la SF qu’est la robotique, à travers deux de ses plus marquantes créations dont l’auteur ne cache pas l’influence : ici, le père de la robotique se prénomme Isaac, à l’instar de l’auteur du « Cycle des robots », Isaac Asimov, et il est question de l’hypothèse qu’un robot puisse rêver (paramètre primordial dans notre perception du personnage principal), ce qui évoque tout de suite le fameux roman de Philip K. Dick, « Les Androïdes rêvent-ils de moutons électriques ? », dont Ridley Scott a tiré son non moins fameux « Blade Runner ». Autre archétype important utilisé par Jeff Lemire, celui de d’une civilisation antédiluvienne dont on retrouve des vestiges technologiques nettement en avance par rapport à la date de leur découverte, renversant les connaissances évolutionnistes et posant la question d’autres origines de la vie. Ce sont donc des thèmes classiques qu’articule l’auteur dans cette série, mais on sent très vite que nous sommes ici bien plus dans la fable humaniste que dans l’épopée technoïde à grand spectacle – même si le spectacle ne manque pas non plus à l’appel, rassurez-vous. À travers la destinée de Tim-21, jeune androïde de compagnie pour enfants se réveillant après une mise en veille de 10 ans et qui pourrait avoir en lui des réponses afin de contrer les Moissonneurs (robots gigantesques ayant déjà tenté de décimer l’humanité), Jeff Lemire dresse avant tout le portrait d’un enfant-robot dont la nature a des frontières très ténues avec celle des humains, faisant émerger des questionnements sur notre propre humanité.

Avec Lemire, c’est le ton qui fait toute la différence… la sincérité des dialogues, la justesse du propos et des situations. « Descender » pourrait être considéré comme le pendant SF de « Sweet Tooth », autre série de Lemire publiée chez Urban Comics qui retrace l’itinéraire d’un enfant mi-homme mi-animal devant se confronter au système totalitaire des adultes. Sweet Tooth et Tim-21 sont tous deux des êtres hybrides devant échapper aux périls engendrés par la folie des hommes tout en préservant leur nature et leur identité spécifiques. Cela donne l’occasion à l’auteur de nous parler une fois de plus de l’enfance, un sujet qu’il aime particulièrement aborder – et qu’il exprime avec grand talent, sachant nous faire ressentir des émotions premières, telles qu’elles nous ont constitué. Comment on acquiert la confiance, comment on fait face à la trahison ou à l’injustice, comment on se doit de maintenir ce que l’on est, et comment on doit réagir quand notre intégrité est menacée… Chez Lemire, il y a toujours ce contraste entre la vision de l’enfant et celle de l’adulte, et c’est à ce point névralgique précis qu’il s’attaque pour en tirer des fables se faisant les miroirs de notre rapport au monde, de notre rapport à l’autre, de notre évolution personnelle. Même lorsqu’il travailla sur la série « Animal Man », Lemire y insuffla ce je ne sais quoi d’humanité qui fit bifurquer ce titre vers des territoires étonnamment justes et réels. J’en tire donc une conclusion : ce Jeff Lemire est un très chouette mec ! Sensible et perspicace, dans l’intelligence et le talent.

Du talent, il y en a aussi, dans le dessin de « Descender »…. et pas qu’un peu, avec un Dustin Nguyen bien inspiré. L’ensemble des images est réalisé dans la plus pure tradition de l’aquarelle avec traits au crayon à papier. Les tons choisis sont plutôt de l’ordre du froid, métal de robots oblige, sans pour autant être fades : de belles percées de rouge çà et là, un éventail de gris colorés bien sentis, et un traité du cosmos où émergent de superbes stigmates de cette technique… Qui plus est, ce traité graphique – et esthétique – épouse parfaitement la sensibilité du propos, faisant même corps avec celui-ci, participant pleinement à l’instauration d’une dimension de l’humain, du sensitif. On s’attache énormément au personnage de Tim-21, on apprécie le propos du scénariste et les délicatesses stylistiques du dessinateur, bref, voilà une série qui contentera les amateurs de jolie SF efficace et profonde.

Cecil McKINLEY

« Descender T1 : Étoiles de métal » par Dustin Nguyen et Jeff Lemire

Éditions Urban Comics (10,00€) – ISBN : 978-2-3657-7820-6

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