« Jupiter’s Legacy T1 : Lutte de pouvoirs » par Frank Quitely et Mark Millar

Dans la lignée contemporaine des comics politico-super-héroïques, « Jupiter’s Legacy » apporte une pierre non négligeable à ce genre hybride terriblement intéressant, d’autant plus que Mark Millar y projette des questionnements en totale adéquation avec ce qui mine notre époque actuelle : courage politique, éthique, économique, écologique… Tout ça servi par un Frank Quitely remarquablement mis en couleurs par Peter Doherty : que demander de plus ?

Si vous aimez le genre politico-SF, que vous êtes fans de « Black Summer » d’Ellis, d’« Ex Machina » de Vaughan ou de « Rising Stars » de Straczynski, ce « Jupiter’s Legacy » pourrait vous intéresser fortement ! Le postulat de Millar dans cette œuvre s’appuie sur un thème désormais sérieusement ancré dans le milieu, à savoir l’expectative d’une société humaine où les super-héros agiraient réellement sur les problèmes que nous rencontrons aujourd’hui dans notre réalité. En cela – et avant même d’aborder plus avant le contenu –, Millar suscite quelque chose de récurrent et de profondément enfoui dans le cerveau archaïque des fans de super-héros, sûrement l’une des raisons qui font qu’un enfant puisse être à ce point fasciné et habité par ces héros surhumains… En effet, lorsqu’on s’arrête pour regarder le monde dans son ensemble, tel que les pouvoirs politiques et financiers le gèrent, générant conflits armés, famines, destructions environnementales, violences quotidiennes, dangers nucléaires, et lorsqu’on voit combien les dirigeants du monde semblent impuissants ou irresponsables face aux périls auxquels nous sommes confrontés, on peut se sentir si désemparé ou angoissé qu’on ait besoin de projeter son espérance de paix dans des personnages de fiction qui seraient capables de sauver notre monde s’ils existaient réellement ici-bas. Si ceux-ci sont capables de rétamer un géant cosmique, un horrible démon ou un super-dingue en costume, alors rien ne serait plus facile pour eux que d’affronter de simples humains mal intentionnés, non ?

Si le procédé a déjà été utilisé, notamment et brillamment dans « Rising Stars », Millar pousse celui-ci dans ses derniers retranchements en parlant très frontalement de notre époque : flux migratoires, dérèglements de la finance, crise économique, désastre écologique, nécessité de redistribution des richesses dans un cadre post-capitaliste, guerres. Le scénariste fait donc plus se confronter les super-héros de son œuvre aux problèmes systémiques humains que nous vivons aujourd’hui qu’aux périls surhumains des comics. De toute façon, les super-vilains n’existent presque plus, ici, tous éradiqués depuis des années par les super-héros (une manière habile de ramener la réalité de cette fiction à la nôtre : les seuls dangers sont bien ceux générés par les humains et non par une force surnaturelle). Donc, qu’arriverait-il si des super-héros envisageaient de combattre la finance et d’agir politiquement afin de résorber les injustices et les crises ? Voilà tout l’enjeu de ce comic qui de surcroît met en perspective la crise de 1929 avec celle de 2008 (les actions se déroulent à chaque fois dans les premières années qui suivent ces krachs, respectivement en 1932 et 2013), entrouvrant aussi l’horizon à 2022 pour voir où nous en serons après cette transmutation des pouvoirs qui régissent notre humanité… Les vieux super-héros idéalistes ne combattant que le surnaturel ont fait leur temps : place à une nouvelle génération de super-héros qui va un peu plus affronter le réel ; mais ces jeunes et modernes surhumains vaudront-ils mieux que leurs aïeuls ?

Le scénario de Millar tient bien la route, oscillant constamment entre l’emphase super-héroïque et le questionnement politique, philosophique et éthique des surhumains, échafaudant ainsi un récit dont les différentes facettes s’entremêlent à merveille. C’est efficace, percutant, les dialogues et le découpage sont bien sentis. Quant au duo Quitely/Doherty, rien à dire, c’est parfait ; on retrouve ce qu’on aime chez Quitely, ce mélange de puissance et de fragilité du trait dans un style à la fois ciselé et velouté, très bien mis en valeur par les couleurs subtiles de Doherty. Les cinq premiers épisodes de cet album (parus irrégulièrement aux États-Unis entre 2013 et 2015) constituent la première partie de ce projet. On risque donc d’attendre encore un peu pour connaître la suite et fin de ce récit dans les cinq ou sept derniers épisodes à venir… Patience !!!

Cecil McKINLEY

« Jupiter’s Legacy T1 : Lutte de pouvoirs » par Frank Quitely et Mark Millar

Éditions Panini Comics (14,95€) – ISBN : 978-2-8094-5345-4

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