Depuis 2021, chaque année, Tiburce Oger rassemble une belle équipe de dessinateurs et dessinatrices pour évoquer l’Ouest américain à travers des personnages authentiques – le Far West, donc – et l’exploitation de ces territoires par des individus qui oubliaient, bien souvent, qu’ils n’étaient que des colonisateurs assoiffés de richesses…
Lire la suite...« Journal d’Anne Frank » par Nadji et Antoine Ozanam
Célébrissime, l’histoire authentique et tragique d’Anne Frank – cachée avec sa famille et des amis dans l’Annexe d’une grande maison – est à jamais devenue le symbole des espérances brisées des enfants Juifs, victimes du nazisme. Adapter ce récit en bande dessinée n’était ni simple ni évident, si l’on en juge l’absence quasi-totale d’ouvrage en ce domaine depuis plus de 70 ans. Avec le « Journal d’Anne Frank », Nadji et Antoine Ozanam ont donc le grand mérite de traduire au mieux, par un dessin esquissé autour des écrits de la célèbre adolescente, une existence saisie entre les rires et les terreurs liés au quotidien de la Seconde Guerre mondiale.
En couverture, le sous-titre complet (« L’Annexe : Notes de journal du 12 juin 1942 au 1er août 1944 ») reprend la formule exacte de la 1ère publication du « Journal d’Anne Frank » en 1947 à Amsterdam. Précisons que cette publication fut rendue miraculeusement possible grâce à la Néerlandaise Miep Gies (amie et protectrice de la famille Frank), qui retrouva ce journal intime après l’arrestation des 8 occupants de l’Annexe (4 août 944). Elle le conserva sans le lire dans un tiroir, en espérant un jour le remettre à sa propriétaire légitime. Ayant appris le décès de l’adolescente dans le camp de concentration de Bergen-Belsen (à 15 ans, en mars 1945), Miep le confia à Otto Frank, père d’Anne et seul survivant, qui fera publier l’ouvrage. Ce dernier sera traduit en plus de 70 langues et écoulé à plus de 30 millions d’exemplaires.
L’image, simple, est devenue un archétype : une adolescente aux cheveux bruns et à l’air grave ou concentré, est penchée sur son bureau, occupée à rédiger un journal intime. Son physique, fidèle aux traits de la véritable Anne Frank prend généralement une symbolique bien plus vaste : on y lit l’enfance meurtrie, l’adolescence révoltée, la féminité violentée, la liberté entravée, l’innocence entachée du crime et de la barbarie du régime hitlérien. Généralement isolée, seule dans l’une des chambres de l’Annexe (voir sur ce site la visite virtuelle des lieux), Anne est accompagnée dans ses rêves par une lumière (ici une petite lampe de bureau) et dans ses souhaits par la force du message écrit. Comme elle le notait elle-même : « Je n’oublie pas combien je suis heureuse d’écrire et, un jour, je voudrais en faire mon métier. Je veux continuer à être, même après la mort ! Je veux me survivre. » (cf. p.108 du présent album)
Nous le disions en introduction, le « Journal d’Anne Frank » a déjà inspiré le théâtre (dès 1957, mise en scène par Marguerite Jamois ; 2012 : mise en scène d’Éric-Emmanuel Schmitt), le cinéma (film de George Stevens en 1959 ; film d’animation de Julian Wolf en 1999), le roman jeunesse (« Mon amie Anne Frank » par Alison Leslie-Gold en 2005) et même des interprétations bd reportage (« Anne Frank au pays des mangas » par Alain Lewkowicz en 2013), mais pas ou peu d’adaptation littérale. Tout au plus avait-on noté jusqu’ici des albums au voisinage du thème, tels « La Quête d’Esther » (Ruud Van Der Rol et Éric Heuvel, Belin 2009), «L’Envolée sauvage » (Vincent Galandon et Arno Monin, Bamboo Grand Angle 2006) ou « L’enfant cachée » (Loïc Dauvillier et Marc Lizano, Lombard 2012). Il de fait plus surprenant que l’unique version existante dans l’univers des romans graphiques anglo-saxons, « Anne Frank: The Anne Frank House Authorized Graphic Biography » (par Sid Jacobson et Ernie Colón, Hill and Wang 2010) n’est jamais été traduite plus tôt en France, en dépit des annonces faites chez l’éditeur Belin depuis plusieurs années. Mais il semblerait que cette année soit enfin la bonne, puisque ce titre est annoncé par Belin pour la mi-mars 2016 !
La force de la version livrée par le dessinateur lillois Nadji et l’angoumoisin Antoine Ozanam réside dans sa simplicité, comme l’affirme du reste le scénariste dès la préface de l’ouvrage : « L’important pour moi, pendant l’écriture, a été de rester sur la corde. Entre l’insouciance de l’adolescence et la terreur quotidienne de ceux qui se cachent. Entre la joie et l’indicible. De ne pas faire dire ce que je sais de ce moment de l’Histoire. De ne pas avoir de recul. L’important a été d’être Anne. »
En la relisant, en songeant à son existence sacrifiée, nous devrions tous permettre – telle qu’elle le souhaitait et l’écrivait – d’incarner sa mémoire.
Philippe TOMBLAINE
« Journal d’Anne Frank » par Nadji et Antoine Ozanam
Éditions Soleil (17,95 €) – ISBN : 978-2302048881