« Roche Limit T1 : Singularité » par Vic Malhotra et Michael Moreci

On le sait, il y a une surenchère de nouvelles séries depuis quelque temps outre-Atlantique et – quoi de plus logique – surproduction n’équivaut pas forcément à qualité, loin de là… Éditeurs et auteurs scrutent chaque mouvance qui a du succès pour s’engouffrer dans la brèche, n’offrant souvent que des déclinaisons de thèmes (retour des zombies et des vampires, mélange de l’horreur ou du polar avec d’autres genres comme la dystopie ou le western…) sans saveur ou n’amenant rien de plus que de fausses bonnes idées. Au milieu de tout ce toutim, « Roche Limit » s’en tire plus que bien, ce polar SF ayant de belles qualités comme la justesse de ton et l’instauration d’une ambiance digne de ce nom.

Eh oui… Pourtant, « Roche Limit » pratique bien ce fameux mélange des genres si à la mode en ce moment, justement entre SF, polar, dystopie, vampires et romance… Mais il y a ici quelque chose que d’autres n’ont pas, et qu’on appréciera à sa juste mesure. Sans être du niveau d’un « Lazarus », par exemple, cette œuvre, dès les premières pages, nous happe par son ton et son propos, intelligent et sensible, incarné. Que de fois j’ouvre un nouvel album de comics et me rends compte trop vite combien on plonge tête baissée dans les poncifs, clichés, procédés et autres écueils qui rendent la lecture vaine et désespérante… Aussi, quelle ne fut pas mon plaisir d’avancer petit à petit dans ce récit en ayant le sentiment que s’exprime ici un véritable langage, un univers en soi, certes imprégné d’une narration « classique » (dans le bon sens du terme), mais sachant en tirer ce qui en fit les lettres de noblesse. De vrais personnages. De vrais dialogues. De vraies situations. Une vraie histoire. Ça fait du bien !

 

« Roche Limit », au départ, c’est le constat d’un certain échec de l’aventure spatiale, dans le sens philosophique et humain, et non pas au niveau scientifique ou technologique. Et ça, ça me ravit. On semble ne pas être beaucoup à partager ce point de vue, mais je fais partie des gens qui sont ulcérés, écœurés par cette « aventure spatiale » qui connaît même un regain d’intérêt en ce moment avec les projets de coloniser Mars. À l’heure où l’homme ne sait même pas s’occuper de sa propre planète, la polluant au point de mettre en danger la vie même et laissant des problèmes de famine, de pauvreté, d’injustice sociale et de maladies gangrener l’espèce humaine, ces projets d’aller coloniser l’espace frôle l’indécence, l’immonde, l’irresponsabilité, symbole d’un orgueil et d’un besoin de croire en la puissance de l’humanité qui est pathétique lorsqu’on voit combien nous ne sommes même pas capables de vivre ensemble et de nous occuper des nôtres, du seul monde où nous puissions vivre. « C’est nous qui décidons du degré de vérité de l’Histoire, mais une chose est remarquablement constante : où qu’aillent les hommes, la folie les suit. » est-il dit ici. Et c’est exactement ça. Que croit-on qu’il arrivera, quand nous aurons colonisé telle ou telle planète ? Qu’allons-nous y emmener, à part notre barbarie et notre suffisance assassine ? Comme si l’appel de l’espace allait rendre notre humanité meilleure… En d’autres siècles, la découverte de terres inconnues n’a pas changé l’humanité : celle-ci n’a fait qu’exporter là-bas des valeurs qui avaient déjà tout détruit au sein des sociétés colonisatrices. Il est rare que ce contre-pied pourtant lucide et salvateur soit aussi clairement exprimé qu’ici. Et même si ceci n’est que le postulat de cette œuvre et non le sujet unique du récit, cela vaut la peine de le souligner !

Roche Limit est le nom de cette colonie humaine qui a pris possession d’une planète naine pour y installer quelques milliers d’êtres humains. Mais ce qui aurait dû être une belle aventure s’avéra aussi catastrophique que ce que l’on vit ici-bas, sur Terre. Corruption, injustice, violence, trafics, criminalité et autres réjouissances… comme les disparitions mystérieuses de jeunes femmes. Que leur est-il arrivé ? C’est ce que vont essayer de découvrir Alex Ford et Sonya Hudson, respectivement fiancé et sœur d’une des disparues. Cette enquête donne à l’histoire son atmosphère de polar noir, menée par l’auteur dans un rythme et un agencement qui font mouche. Pareillement, les dialogues – très bien sentis et écrits – donnent corps au récit avec acuité et justesse. On est vraiment emportés par le récit et les personnages. Au sein de cette enquête émergent de nombreuses questions assez fondamentales sur l’âme humaine, notre nature et notre devenir, nos illusions et nos faiblesses, l’addiction et les croyances, la réalité des êtres et la puissance du souvenir… Bref, sans aller trop dans l’introspection pour maintenir une dynamique nécessaire, « Roche Limit » fait preuve d’un équilibre assez parfait où chacun saura trouver ce qui l’intéresse. Sous ses aspects SF et polar, le récit est souvent touchant et très humain, ne se perdant pas dans l’aventure facile. Les cinq premiers épisodes contenus dans ce tome 1 forment une sorte de tout, comme un premier cycle, ouvrant la possibilité d’une suite seulement dans la dernière planche. Bref, c’est une bonne surprise que de lire un comic de ce type qui ait ce type de substance et d’esprit…

Cecil McKINLEY

« Roche Limit T1 : Singularité » par Vic Malhotra et Michael Moreci

Éditions Glénat Comics (15,95€) – ISBN : 978-2-344-01200-0

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