Les amateurs de son œuvre le savent bien : Jacques Tardi est un boulimique de travail qui dessine matin, midi et soir. Or, « Dessins matin, midi et soir », c’est le titre d’un beau petit recueil édité par Oblique Art (structure dirigée par Pierre-Marie Jamet) qui nous propose pas moins de 160 pages rassemblant des illustrations réalisées par le créateur d’« Adèle Blanc-Sec », sélectionnées dans les nombreux carnets qu’il a noircis (voire mis en couleurs) tout au long de sa remarquable carrière d’auteur du 9e art : croquis, études de personnages… et même courtes bandes dessinées iconoclastes inédites.
Lire la suite...Mittéï, bien trop sous-estimé… (deuxième partie)
Suite de l’évocation du parcours de Jean Mariette, alias Mittéï, auteur dont la contribution fut bien plus importante, pour le monde de la bande dessinée belge des années soixante à quatre-vingt, que ce que l’on pourrait croire aujourd’hui ; ceci à l’occasion de la publication de l’intégralité, en neuf très beaux albums, de la série « Les 3 A » qu’il réalisa avec Tibet et André-Paul Duchâteau pour le journal Tintin, entre 1962 et 1967. Pour lire la première partie, cliquez ici : Mittéï, bien trop sous-estimé… (première partie).
Complètement débordé par ses nombreux travaux (il multiplie les campagnes publicitaires pour Prinsor, Chocosweet, Milky Way, BP ou les barres Mars et illustre aussi, avec Liliane et Fred Funcken, les chromos de l’album « L’Espace » au Lombard, sur des textes de Paul Damblon, en 1964), il embauche alors plusieurs assistants dont certains deviendront célèbres.
Ce sera le cas de Dany (« Olivier Rameau ») qui travaillera avec lui de 1964 à 1966, Pierre Seron (« Les Petits Hommes ») de 1966 à 1968, Hachel (« Benjamin ») de 1968 à 1970, Marc Hardy (« Pierre Tombal ») de 1970 à 1972 ou Renoy (« Nanouche », dont Mittéï scénarisera le premier épisode sous le pseudonyme de De Janeiro en 1977, dans Tintin) de 1973 à 1974.
           Il faut préciser aussi qu’à la même époque, il dépanne également Maurice Maréchal pour les scénarios de « Prudence Petitpas », le temps de quatre enquêtes publiées dans Tintin entre 1966 et 1967 : « Gare aux ancêtres ! », « Prudence Petitpas et les voitures fantômes », « Fusils pour Macao » et « Stanislas a disparu ».
           De 1965 à 1974, son ami Greg étant devenu le rédacteur en chef de Tintin, il a tout loisir de s’imposer au sein de l’hebdomadaire et y proposera même, par la suite, « Les Cascadeurs », en 1972 : quatre épisodes formant une histoire complète.
           Alors que son contrat sur « Modeste et Pompon » touche à sa fin, Henri Desclez, qui a remplacé Greg à la tête du journal, ne le renouvelle pas et lui refuse la future série « Bonaventure » dont un court récit de trois pages sera quand même publié en 1977. Ce gamin binoclard, qui provoque des catastrophes quand il pose ses lunettes, trouve alors asile chez Dupuis où deux albums seront publiés (en 1981 et 1983), après prépublication dans l’hebdomadaire Spirou — le concurrent direct de Tintin— entre 1976 et 1983.
           Dans Spirou, Mittéï va développer de plus en plus ses aptitudes au travail de scénariste, d’autant plus qu’il avait déjà fait ses preuves en ayant fourni la matière de huit gags à Jean Roba pour ses « Boule et Bill » (en 1968) et d’un autre à André Franquin pour son « Gaston Lagaffe » (en 1972), dans Spirou, ainsi que de quatre à Greg pour son « Achille Talon » (dans Pilote, en 1970) ou de l’intégralité de « La Famille Fohal » à Pierre Seron, série qu’il signe Saint Thomas et qui est publiée dans Pif gadget, entre 1973 et 1978.
           Ayant également réécrit le scénario « Des petits hommes au Brontoxique » du même Pierre Seron, son ancien assistant devenu le dessinateur des « Petits Hommes », il scénarise officiellement cette série, entre 1970 et 1985, en signant principalement Hao.
Leur collaboration se poursuit sur certains récits complets publiés entre 1973 et 1976 dans Spirou, ainsi que sur une histoire en deux pages d’« Aurore et Ulysse », en 1979.
En tant que scénariste à Spirou, Mittéï rédige aussi de nombreux récits pour d’autres dessinateurs comme Francis pour « Capitaine Lahuche » en 1976 et 1977 ou un gag des « Soldats de plomb » en 1981, François Walthéry pour une « Carte blanche » en 1973 (une autre sera dessinée par Dunbar, en 1974) et quelques « Natacha » entre 1975 et 1986, Marc Hardy pour « Badminton » en 1974 et 1975 ou de courtes histoires en 1977, Renaud pour « Myrtille, Vidpoche et Cabochar » entre 1978 et 1982, Arthur Piroton et Francis Carin pour « Les Casseurs de bois » en 1979 et 1980, Laudec pour « Les Contes de Curé-la-Flûte » entre 1979 et 1985 ou deux pages en 1983, Jidéhem pour un épisode en onze pages de sa « Sophie » en 1982, Maurice Maréchal pour la relance de sa « Prudence Petitpas » en 1984 et 1985, etc.
           Son style graphique humoristique, proche de celui de Franquin, étant tout à fait adapté au journal Spirou, Mittéï en devient l’un des piliers pendant dix ans, entre 1976 et 1986.
           Outre la concrétisation de son « Bonaventure », il y dessine un grand nombre d’histoires complètes.
Certaines, réalisées pour les numéros spéciaux de fin d’année, seront reprises dans « Veillée de Noël » : un album paru aux éditions Récréabull, en 1986.
Puis, il entreprend, à la demande de Charles Dupuis, l’adaptation en bandes dessinées des « Lettres de mon Moulin », d’après l’œuvre d’Alphonse Daudet, en 1977 : trois albums compileront ces histoires complètes dans la collection « Les Meilleurs Récits du journal Spirou » de chez Dupuis en 1979, 1982 et 1985 (réédition en une intégrale chez Joker, en 2002).
           En 1978, il est également l’auteur d’un émouvant court récit intitulé « Mély-mélodrame » dont il a non seulement réalisé le scénario, mais aussi les crayonnés.
Ces sept belles pages, sur le problème des animaux abandonnés lors des départs en vacances, sont reprises dans l’album « Pipo et compagnie » chez Bédésup, en 1981, où il est crédité erronément à François Walthéry, lequel n’avait dessiné que le chien de l’histoire et effectué la mise à l’encre.
La paternité du récit est rendue à Mittéï lors de la reparution de ce récit dans l’album collectif Spécial animaux chez Dupuis, en 1986.
           Signalons que c’est Mittéï qui a l’idée de regrouper les histoires courtes parues dans Spirou dans des albums collectifs sur des thèmes donnés : cela aboutira à la collection Les Meilleurs Récits du journal Spirou dont il crée la maquette.
Son récit « Rencontres de Noël » publié dans le n° 2017 de décembre 1976 est, d’ailleurs, repris dans le n° 1 (« Contes de Noël »), en 1978.
           Mais les rapports se tendent avec Philippe Vandooren, le nouveau rédacteur en chef du journal depuis 1982, lequel l’oblige à boucler en vingt-quatre pages un conte de Charles Dickens prévu en quarante-quatre : « Le Fantôme de Marley », publié dans Spirou en 1985, sera repris en album par le BD Club de Genève en 1999. Après le refus de divers projets (dont un troisième épisode de « Bonaventure » qui reste inédit), Mittéï livre un dernier récit complet de six pages (« Julien » au n° 2496 de 1986) et claque la porte des éditions Dupuis.
           Par la suite, il participe au collectif « L’Aventure du journal Tintin » (avec une page de « Modeste et Pompon » prépubliée dans cet hebdomadaire en 1985) : un album publié aux éditions Le Lombard en 1986.
Ensuite, il réalise un tract politique sous forme d’album pour André Cools (« Tchantchès », aux Chambres des représentants, en 1987).
Puis, il sort en français et en wallon l’album « Zanzan, sabots d’or au pays des Sottais » (un récit de Jean Bosly refusé à Spirou) chez Dessain, en 1988.
Il dessine aussi « La BD en or des Restos du cœur » diffusée massivement par Johann Mohin, en 1990.
Comme plusieurs projets n’aboutissent pas (que ça soit une série de cartoons intitulée « Cul de jatte » en 1987 ou les aventures des membres d’un club de mordus d’avions anciens, « Les Brins de zinc », proposées sans succès au Lombard en 1993), il reprend son métier de décoriste sur les « Natacha » de François Walthéry en 1989 et 1992, série à laquelle il rend hommage en participant au collectif « Spécial 20ème anniversaire, Natacha » chez Marsu Productions, en 1990.
           Après avoir longtemps été pressenti pour reprendre le « Petit Noël » d’André Franquin, son choix se porte finalement sur le sympathique « P’tit Bout de Chique » de son ami et ancien élève Walthéry : quatre albums chez Marsu Productions, dont un coscénarisé par Michel Dusart, entre 1994 et 1998.
           Outre des participations aux collectifs « Rire, c’est rire » (Festival international du rire de Rochefort, en 1995), « Olne autrefois, hommage à Paul Deliège » (chez Thierry Colin, en 1997) et « États de Choc, hommage à Will » (Azimut, en 2000) ou l’illustration de l’ouvrage d’André Sécretin, « Un pêcheur, un homme comme les autres », chez Khani, en 2000, il se met lui-même en scène dans « La Souris et le dessinateur » : gags domestiques proposés à Visé magazine, en 1999. Douze de ces strips sont repris dans « Mittéï itinéraire BD » écrit et autoédité par Thierri Grondal : ouvrage méritoire qui nous a beaucoup servi pour compléter ce que nous savions déjà de la carrière de cet auteur trop méconnu.
C’est ainsi que nous avons appris que Mittéï préparait aussi de nouveaux récits avec ses vieux complices Arthur Piroton (« Le Trio de Paris », un scénario réaliste) et Greg (seules quatre planches de « Quatre Pierres pour l’éternité » ont été dessinées), projets interrompus par le décès de ces derniers, et qu’il avait également scénarisé et découpé un épisode de « Lucky Luke » en 1999 (« Les Sœurs Bronté ») que Morris trouva, malheureusement, trop difficile à illustrer.
Homme jovial et bon vivant, Mittéï était également un aquarelliste hors pair et, c’est moins connu, un excellent pianiste : il a même accompagné le grand Jacques Brel lors d’une fête de quartier à Liège.
Mittéï, artiste prolifique qui pratiqua avec autant de bonheur les genres humoristique et réaliste, nous a quittés à son tour le lundi 16 avril 2001 à l’âge de soixante-huit ans.
Son traitement graphique nerveux et rapide, comme ses scénarios efficaces, en a fait l’un des plus dignes représentants de la bande dessinée franco-belge classique : il mérite donc de figurer, en bonne place, dans l’histoire du 9eart !
Gilles RATIER
merci pour ce très bel article sur ce dessinateur « oublié » et disparu trop tôt. Le troisième Bonaventure resté inédit est il tout dessiné ou existe t’il seulement le scénario?
Merci Joël !
Hélas, je n’en sais pas plus !
Désolé !
Peut-être d’autres internautes plus informés pourront-ils répondre à cette question légitime…
Bien cordialement
Gilles Ratier