« La Paresse du panda » par Fred Bernard

Après quatre ans d’attente, l’aventurière Jeanne Picquigny revient. Née en 2003 (éditorialement parlant !), l’héroïne de Fred Bernard est toujours au cœur de virées voyageuses mêlées à des conversations humanistes, politiques et philosophiques, qui s’enroulent, se tissent autour d’intrigues exotico-fantastiques, se diluent quelquefois, sans oublier des dérives sensuelles, voire gentiment érotiques…

Avec la « Paresse du Panda », les règles ne changent pas, ou peu, bien que cette fois-ci, on en revienne à la petite-fille de Jeanne et Eugène, Lily, chanteuse pop-rock, qui fouille dans les carnets de voyage de la grand-mère, ressuscitant le parcours qui la mena du Tibet à la Chine. Fred Bernard ne tient pas en place et non seulement il aime à promener ses héros, mais il aime plus encore divertir ses lecteurs, les surprendre, les pousser à s’interroger, prenant le risque d’un récit décousu mais non sans charmes. On sent que l’improvisation guide ses pas, loin de l’itinéraire balisé d’un scénario préalablement construit. On appréciera ou on regrettera, mais on ne pourra rester indifférent. Il en est de même pour ses dessins tantôt détaillés, notamment pour les paysages, tantôt croqués particulièrement pour les visages. « La Paresse du panda » est un album ainsi fait de digressions, d’évocations, de conversations, et même de chroniques de voyages, pourrait-on dire !

Mais rappelons les différentes étapes de ce qui constitue bel et point une série. Le tome 1 de « Jeanne Picquigny », « La Tendresse des crocodiles », paraît en 2003. Dans les années 1920, après avoir quitté sa Bourgogne natale et alors qu’elle s’apprête à se marier à Paris, Jeanne apprend que son père explorateur a disparu en Afrique. La jeune femme, qui n’a pas froid aux yeux, prend le bateau pour l’Afrique noire et le port de Porto-Novo, au Bénin. Elle rencontre sur le bateau Louise O’Murphy puis Victoire Goldfrapp, deux femmes de caractère qui connaissent bien son futur guide Eugène Love Peacock, alcoolique notoire et homme à femmes. Le voyage équatorial commence par le fleuve Congo à travers la forêt à la recherche du professeur cinéaste. La vie animalière occasionne quelques frayeurs et le couple Jeanne – Eugène s’écharpe régulièrement. La dernière partie devient une véritable expédition aux confins de la forêt, aux confins du monde à la recherche d’un animal mythique, le Mokélé, un dinosaure qu’aurait bien pu découvrir Modeste Picquigny. En tout, 174 pages de dérives romanesques riches en péripéties inspirées de son album jeunesse « Jeanne et le mokélé », illustré par François Roca (chez Albin Michel, en 2001).

En 2004, Jeanne nous revient avec  « L’Ivresse du poulpe ». Les voyages continuent car Jeanne veut retrouver les films réalisés lors de sa découverte du mokélé. Elle se rend à New York, puis Cuba, sur les traces d’Eugène Love Peacock, le guide africain qui les lui a volés. C’est l’occasion pour elle de rencontrer les trafiquants de vin pendant la prohibition ou les rebelles cubains qui préparent un attentat … Tandis qu’au large un poulpe géant devient alcoolique ! En 2006, avec « Lily Love Peacock » l’auteur met en scène les coulisses de la mode et des agences de mannequins et une jeune femme, Lily, qui s’ennuie et traîne sa silhouette aux quatre coins du monde de podiums en défilés. L’album évoque en toile de fond l’histoire personnelle et familiale de Lily : enfance africaine, père aventurier, fascination pour les grands espaces… car Lily n’est autre que la petite fille de Jeanne Picquigny !

Dans, « La Patience du tigre », paru en 2012, on est en 1924 et c’est un voyage aux Indes qui se profile pour Jeanne. Au bilan, 500 pages qui enchaînent un séjour dans le Yorkshire, où Jeanne apprend à connaître le père d’Eugène, grand érudit bibliophile, sous prétexte de résoudre l’énigme d’un trésor à découvrir ; puis un réel voyage asiatique. Il faut cependant attendre presque 200 pages pour que le couple atteigne Colombo (Ceylan) puis les Indes, du côté de Pondichéry. Alors les épices, le peuple, les temples du Tamil Nadu, viennent nourrir une histoire aventurière et alambiquée, coupée de nombreuses digressions (Blanchard est un bavard) qui vont pousser le lecteur au pays des Maharadjahs (Rajasthan) puis à Bénarès, enfin du côté de Patna, dans le nord-est du pays, ce qui vaut à propos des sculptures érotiques de Khadjuraho des commentaires intéressants sur les religions. Les secousses de l’histoire indienne animent aussi les aventures quelquefois trépidantes de Jeanne : de Gandhi lui-même aux sociétés allemandes occultes et racistes.

Alors, bons voyages !

Didier QUELLA-GUYOT  ([L@BD->http://www.labd.cndp.fr/] et sur Facebook).

http://bdzoom.com/author/didierqg/

« La Paresse du panda » par Fred Bernard

Éditions Casterman (25 €) – ISBN : 978-2-203-09525-8

Galerie

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

*

Vous pouvez utiliser ces balises et attributs HTML : <a href="" title=""> <abbr title=""> <acronym title=""> <b> <blockquote cite=""> <cite> <code> <del datetime=""> <em> <i> <q cite=""> <strike> <strong>