« Anthologie Vampirella » T1, collectif

Fin 2012, Delirium lançait les deux premiers tomes des anthologies consacrées à Creepy et Eerie, les deux fameux titres de Warren Publishing qui firent les beaux jours des fans d’horreur des sixties. Nous étions aux anges – et nous le sommes toujours, ces anthologies étant encore en cours, nous redonnant l’occasion de nous extasier devant ces chefs-d’œuvre de la pulp culture. Un acte patrimonial déviant majeur ! Mais voilà… certains d’entre nous (les plus obsessionnels, dont je fais partie) ne pouvaient s’empêcher de penser dans le même temps : « Et Vampirella ? » ou « Oui, super, mais Vampirella ? » ou encore « Génial, mais et Vampirella ? ». Une horde sourde de fans vieillissant, ne s’étant jamais remis du coup de foudre qu’ils eurent pour cette sublime créature, vociféraient dans l’ombre tout en se réjouissant du travail de Delirium. De quoi assommer un éditeur ! Eh bien cette époque est révolue, chers passionnés obsédés, car ça y est, il est là, le premier tome de l’anthologie Vampirella ! Vive delirium !

Avec Vampirella, nous avons affaire à un mythe, une idole, une icône. Son image reste gravée dans l’esprit et le cœur de plusieurs générations de lecteurs et de lectrices comme l’une des figures les plus sexy et envoûtantes de la culture fantastique et horrifique. La jolie brunette au costume plus déshabillant qu’autre chose est la lointaine descendante non pas de Dracula mais de Carmilla, l’héroïne du roman éponyme de Sheridan Le Fanu (1872). Car si l’apanage vampirique est majoritairement masculin, les vampires femmes existent aussi, transcendant çà et là la dimension érotique du genre (notamment dans la lignée des films de la Hammer). Mais parmi elles, Vampirella reste au-dessus du lot, donnant – joliment ! – corps à l’héroïne vampire par excellence. Le magazine Vampirella (dont le premier numéro sortit en septembre 1969) proposait – outre une aventure de la belle – des récits surnaturels assez divers, mais contrairement aux autres titres Warren, toutes ces histoires mettaient en majesté un personnage féminin. Dans Creepy et Eerie, les femmes n’étaient pas absentes, bien au contraire, mais souvent elles n’étaient là que pour jouer les victimes ou celles dont il fallait se venger, par cupidité, jalousie ou rancœur masculine. Ici, la femme est centrale, prépondérante, l’héroïne incontestée et incontestable du récit fantastique.

Ce premier volume conséquent (344 pages de bonheur horrifique et glamour) regroupe les plus beaux épisodes parus dans les 15 premiers numéros de Vampirella (113 numéros paraîtront jusqu’aux années 80). Un choix d’orfèvre qui nous permet d’admirer de véritables pépites de l’époque, réalisées par des auteurs et artistes devenus légendaires pour la plupart : Archie Goodwin, Gerry Conway ou Gardner Fox – entre autres – pour les scénarios, et Neal Adams, Mike Royer, Jeff Jones, Barry Windsor-Smith, Richard Corben, Tom Sutton, Dave Cockrum, Jerry Grandenetti, ou encore Wallace Wood pour les dessins ! Du très beau monde, donc, qui équivaut aussi à une évolution dans la mythologie Warren : après les auteurs phares qui œuvrèrent dans Eerie et Creepy, c’est une nouvelle génération de dessinateurs qui déboule dans ce titre. Certes, quelques auteurs déjà présents sont encore là (Wood, Corben…), mais la plupart représentent les futurs plumes de l’univers des comics, et participèrent même à ce long processus d’ouverture des comics aux dessinateurs étrangers avec l’écurie espagnole incarnée par L.M. Roca, José María Beà, Luis García, Esteban Maroto et… José Gonzáles, bien sûr ! Loin de faire pâle figure par rapport à ses prédécesseurs, Vampirella a bel et bien engendré des petits bijoux de beauté vénéneuse. Ce constat artistique, on ne peut que le constater, dès ce premier volume, dès ces premiers numéros, avec par exemple le récit entièrement crayonné de Neal Adams (« La Déesse de la mer ») ou avec son opposé graphique, celui de Jeff Jones (« Le Coup de foudre ») où l’encre noire envahit tout au rythme de notre angoisse (sans oublier sa fabuleuse « Quête » qui a fait date)… Quant à Wallace Wood, même s’il s’est fait rare sur le titre, ses créations pour Vampirella furent mémorables, comme en témoigne son sublime « Tuer un dieu »… On appréciera aussi les lavis inspirés d’un Ken Barr, et bien d’autres merveilles venues d’Espagne, ce qui nous ramène bien sûr à Gonzáles…

Gonzáles, LE dessinateur de Vampirella, n’est arrivé sur le titre qu’en 1971. Avant cela, le chemin fut plus long et incertain qu’on ne le croit, pour notre vampirette adorée… Le choix éditorial de cette anthologie est intelligemment fait, car même s’il s’honore de ne nous proposer que les meilleures histoires publiées dans ce magazine, il ne fait pas pour autant l’impasse sur les épisodes fondateurs nous permettant d’appréhender l’évolution de cette création, même s’ils ne furent pas inoubliables. Car, comme le rappelle David Roach dans sa grande et belle introduction (qui a le grand mérite de nous replonger dans l’histoire de Warren Publishing pour mieux nous présenter Vampirella), Jim Warren avait une idée très précise de ce qu’il voulait faire de Vampirella, mais cela ne se fit pas d’un seul coup, loin s’en faut. Les premiers épisodes, dessinés par un Tom Sutton débutant, n’étaient pas vraiment le reflet du projet de Warren, voire même tout le contraire de ce qui était escompté : un trait pataud, trop d’humour et de nudité rentre-dedans, sans profondeur… Il faudra attendre le duo Goodwin/Gonzáles pour que la belle, la grande, la sublime Vampirella prenne enfin corps, trouvant enfin son identité graphique et son contexte légitime, sa richesse d’âme et de graphisme. Ce premier volume est donc primordial pour tout fan de notre héroïne, car il nous dévoile le cheminement de son affirmation, de ses débuts hasardeux à ses premiers vrais pas aguerris, jusqu’à enfin trouver son vrai visage sous le pinceau incroyable de l’immense José Gonzáles. Mais parler de Gonzáles, de son talent, de ce qu’il a apporté à Vampirella, mériterait un long article à part entière… Alors, il ne nous reste plus qu’à regarder et à admirer ses premiers travaux sur la série, fantastiques dès le départ, dès la première image. Fascinant.

Les débuts de Vampirella ne présageaient donc rien de bon, aussi putassiers que malhabiles, la nudité même étant trop grossière pour émoustiller (et cela malgré la couverture historique du n°1 réalisée par Frazetta). Il fallut quand même quelque temps avant que la transmutation opère, mais avec Goodwin et Gonzáles, ce personnage acquit une belle dimension : loin d’être une bimbo-vampire sans profondeur et manichéenne, elle devint une héroïne à la fois sexy et touchante, ayant une vraie personnalité. On la désire comme une amante, on l’aime comme une sœur, on l’admire tout en ayant peur pour elle malgré sa surnature… En vérité, je vous le dis, c’est un grand jour que celui-ci, car enfin Vampirella reparaît en France, dans un écrin digne de sa réputation, bel album retraçant son histoire et son univers attenant, hommage qu’elle mérite amplement… On t’aime, Vampi chérie !

Cecil McKINLEY

« Anthologie Vampirella » T1, collectif

Éditions Delirium (29,00€) – ISBN : 979-10-90916-23-4

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4 réponses à « Anthologie Vampirella » T1, collectif

  1. Capitaine Kérosène dit :

    Bonjour Cecil,

    Merci pour cet aticle.
    J’ai une ou deux questions concernant cette anthologie.
    En ce qui me concerne, le personnage de Vampirella et ses histoires ne m’intéressent absolument pas.
    Par contre, je garde d’excellents souvenirs des récits de complément publiés dans l’éphémère édition française du Triton et tout particulièrement de certaines histoires en couleurs de Jeff Jones. J’aimerais donc savoir si cette anthologie contient des bandes autres que celle de Vampirella ou si elle lui est entièrement consacrée ?
    Savez-vous par ailleurs combien de volumes sont prévus pour cette anthologie et si leur contenu sera uniquement dédié à Vampirella ?
    Merci d’avance
    PS J’ai aussi une question à propos de votre précédent article consacré à Lazarus.

    • Cecil McKinley dit :

      Bonjour Captain,

      Cette anthologie est bien celle du magazine, et non du seul personnage de Vampirella. On trouve donc dans cet album – outres des histoires avec Vampirella, tout de même ! – des récits divers qui n’ont rien à voir avec elle, réalisés par de grands dessinateurs, dont Jeff Jones dont on admirera deux très belles histoires dans ce premier volume. Je pense qu’il y a donc de quoi vous plaire ! Il en sera de même par la suite, mais je ne peux vous dire combien de volumes compte sortir Delirium. À suivre !

      Bien à vous,

      Cecil McKinley

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