N’hésitez pas à revenir régulièrement sur cet article, puisque nous l’alimenterons, jour après jour, avec tout que nous envoient nos amis dessinateurs, scénaristes, coloristes, libraires, organisateurs de festivals et éditeurs pour vous souhaiter de joyeuses fêtes : et ceci jusqu’à la fin du mois de janvier 2024 !
Lire la suite...« Les Trois Formules du professeur Satō : l’intégrale » par Edgar-Pierre Jacobs et Bob De Moor
Ultime aventure imaginée en deux albums par Edgar Pierre Jacobs à partir de 1971, « Les Trois Formules du professeur Satō » voit Mortimer partir pour le Japon afin d’y aider son confrère, un éminent spécialiste de la cybernétique et des robots. Ce dernier est en proie aux plus vives interrogations après l’apparition dramatique en plein ciel d’un Ryū, un grand dragon asiatique ! Retardé et interrompu par la lassitude puis le décès de l’auteur en 1987, ce diptyque sera néanmoins achevé par Bob de Moor en 1990. En cette fin 2015, et à défaut de nouveauté concernant « Blake et Mortimer », Dargaud propose deux remarquables titres permettant non seulement de relire d’une traite l’intégralité du récit, mais aussi de comprendre la genèse de l’œuvre, entre synopsis et ébauches, calques et encrages, choix des textes et recherches documentaires. Ou comment saisir le crépuscule d’une vie, dans les ombres et les lumières d’une ligne claire réaliste…
Le hasard des sorties culturelles est parfois étrange. Car, à l’heure où le public cinéphile manifeste une attente fébrile vis-à-vis de la sortie du prochain « Star Wars VII : Le Réveil de la Force » (par J.J. Abrams ; sortie française le 16 décembre 2015), se souvient-on encore de la réponse que fit Jacobs au critique Didier Pasamonik en décembre 1981, lorsque ce dernier vint le questionner sur l’éventualité de la parution du tome 2, « Mortimer contre Mortimer » (attendu depuis 9 ans par les fans de l’époque) ? Quant on lui demanda ce qu’il pensait de « La Guerre des étoiles » (1977) et de « L’Empire contre-attaque » (diffusé en France à partir du 20 août 1980), Jacobs, âgé et fatigué, subitement enthousiaste et désabusé, répondit : « Quel film formidable, n’est-ce pas ! Et ces effets spéciaux, c’est incroyable ! Vous comprenez, moi, à côté de cela, je fais de la science-fiction de papa. » De là à conclure que Dark Vador avait eu la peau de Satō…
Par de nombreux aspects, les documents rassemblés par Dargaud pour cette réédition 2015 sont inédits : c’est par exemple le cas des originaux du premier épisode, « Mortimer à Tokyo », précieusement rassemblés et détenus par la Fondation Jacobs, où l’on ressent encore la formidable habileté du maître de l’atelier du Bois des Pauvres, mais aussi son épuisement à trouver le trait parfait et la précision documentaire. L’anecdote racontée par Greg (alors rédacteur en chef du journal Tintin) à propos de l’inimaginable attente de Jacobs pendant six mois, concernant la forme exacte des poubelles japonaises (en fait identiques à celles de Bruxelles…), est ainsi entrée dans l’histoire de la Bande Dessinée ! Sur ce point précis, on ne s’étonnera d’ailleurs pas du choix fait par Dargaud pour l’illustration de couverture du découpage original.
Reprenons la chronologie exacte : la publication du tome 1 de « Les Trois Formules du professeur Satō » débute dans la version belge du magazine Tintin, le 5 octobre 1971, au sein d’un n°40 qui célèbre alors le 25ème anniversaire du périodique. Cette prépublication se poursuivra jusqu’au numéro 22 (30 mai 1972) alors, qu’au passage, le n°8 du 22 février 1972 avait titré en couverture l’événement « Olrik de nouveau face à Mortimer ». Dès lors, plus rien ou presque, puisque les férus de la série devront se contenter d’une (très) longue attente : pas moins de 13 ans si l’on observe l’écart séparant la parution du 1er volet en album au Lombard en août 1977 (sous le titre de couverture « Les 3 Formules du Prof. Satō – 1ère partie ») et celle du second (achevé par Bob de Moor et paru directement en album, sous le titre « Les 3 Formules du Prof. Satō – Tome 2 »), édité par les éditions Blake et Mortimer en janvier 1990. Précisons que le dernier Tintin belge ayant évoqué tristement Jacobs (alors décédé depuis le 20 février) aura été le n°13 du 24 mars 1987, quelques mois seulement avant que le célèbre magazine ne disparaisse lui-même aussi bien en Belgique qu’en France, en novembre 1988.
Du côté de la version française du journal Tintin, on retrouve une chronologie évidemment similaire : un début de prépublication en 1971 (n°1197), une couverture en 1972 (n°1217) et une longue disparition jusqu’au 9 juillet 1982, date à laquelle la une du n° 357 pose néanmoins LA question : « Où en sont les Trois formules du professeur Satō ? ». L’hommage à Jacobs illustre la une du n° 602, le 24 mars 1987.
Nous avons évoqué la grande fatigue de Jacobs (né en 1904) dans la seconde partie des années 1970 et le début des années 1980, mais il faut y rajouter sa méfiance grandissante vis-à-vis des solliciteurs de tous poils (malgré sa réalisation inégale, on pourra relire la « biographie » illustrée « La Marque Jacobs », de Rodolphe et Louis Alloing, parue chez Delcourt en octobre 2012) et surtout plusieurs projets annexes très chronophages : en juin 1974, Jacobs achève ainsi le remontage des planches de son « Rayon U », destinées à une republication ; en octobre 1981, Jacobs a finalisé « Un Opéra de papier : les mémoires de Blake et Mortimer », où l’auteur dresse en 200 pages illustrées le bilan de « (…) 60 années de quête alimentaire, dont 36, exclusivement consacrées à cette satanée bande dessinée ! »
Ayant obtenu la confiance de Jacobs (qui désirait de l’aide pour achever cet album), contacté à plusieurs reprises puis officiellement chargé de finaliser le tome 2 en 1989 et nommé directeur artistique des éditions du Lombard la même année, Bob de Moor livrera in fine un tome imparfait : les lecteurs comme les spécialistes du 9ème art critiqueront notamment un trait assez raide, hésitant entre le mimétisme jacobsien et celui correspondant à Jacques Martin, dans la mesure où De Moor avait déjà notablement dessiné « Lefranc T4 : Le Repaire du loup », paru en 1974. Contraint en vérité de faire au mieux avec les 46 pages plus ou moins esquissées par Jacobs (certaines cases ne contenant que quelques légers traits de crayons en plus des textes, d’autres passages situés vers la fin étant indécis ou encore très flous), De Moor devait effectuer un effort alors inédit et impossible à surmonter pour égaler le créateur de la série.
Conscient de l’entreprise pharaonique et désireux d’expliquer à une nouvelle génération de lecteurs treize années de silence, l’éditeur publiera en octobre 1990 un « Dossier Mortimer contre Mortimer » sous la direction de Philippe Biermé, ancien confident de Jacobs désormais gardien du patrimoine au sein de la Fondation Jacobs. Réunissant l’ensemble des crayonnés et ébauches du tome 2, ainsi que quelques documents de travail, l’ouvrage était au début des années 1990 l’un des rares à entrer dans l’intimité d’une création d’album, aux côtés des crayonnés de « L’Alph-Art » d’Hergé (album paru en 1986). Réédité de manière discrète en 1996, et également repris partiellement en 2013 par la collection Hachette dédiée à l’univers de Blake et Mortimer (en 2011, une précédente collection permettait d’acquérir le robot Samouraï de Satō !), ce dossier permet donc aujourd’hui à Dargaud de reproposer ces mêmes documents dans les 112 pages de « Les Trois formules du professeur Satō : le découpage original », replaçant finalement Jacobs au milieu des divers nouveaux albums parus depuis bientôt vingt ans. Un aspect certes nostalgique mais essentiel pour transmettre la mémoire d’une telle série.
Autres nouveautés notables de cette fin d’année 2015 : outre une version journal Tintin du « Piège diabolique » (T6) et une version luxe du « Bâton de Plutarque » (T23 par Sente et Juillard), voici enfin rassemblés dans « Juillard, 317 dessins » l’ensemble toujours impressionnant des croquis et recherches réalisés par cet auteur depuis déjà quinze ans autour des tomes 10 (« La Machination Voronov », 2000), 12 (« Les Sarcophages du 6ème continent », 2004), 13 (« Le Sanctuaire du Gondwana », 2008), 15 (« Le Serment des cinq Lords », 2012) et 14 (« Le Bâton de Plutarque », 2014). Un livre purement contemplatif (de 300 pages) illustrant cependant à merveille l’art du cadrage selon Juillard et qui rejoindra donc sans mal son équivalent paru l’an dernier : « Jacobs, 329 dessins ».
Et la suite, vous demandez-vous ? Fin 2016 paraîtra « Blake et Mortimer T15 : Le Testament de William S. » (par Yves Sente et André Juillard), une aventure archéologique et littéraire (S pour Shakespeare…) située chronologiquement en Angleterre après « Le Sanctuaire du Gondwana », où la vie privée de Mortimer sera abordée. Suivront en 2017 un nouvel album réalisé par Antoine Aubin (scénarisé par Jean-Louis Bocquet et Jean-Luc Fromental : nos héros devraient y parcourir la ville de Berlin bien endommagée par les conflits mondiaux) et, plus surprenant, un titre réalisé par une nouvelle équipe de repreneurs : l’écrivain et scénariste belge Thomas Gunzig accompagnera ainsi le fameux dessinateur François Schuiten (« Les Cités obscures »). Cette dernière annonce ouvrirait-elle en parallèle la voie à des « Blake et Mortimer vus par… » ? Les grands classiques sont décidément pleins de ressorts et de mystères…
Philippe TOMBLAINE
« Les Trois Formules du professeur Satō : l’intégrale » par Edgar-Pierre Jacobs et Bob De Moor
Éditions Dargaud/Blake et Mortimer (19, 99 €) – ISBN : 978-2870972106
« Les Trois Formules du professeur Satō : le découpage original » par Edgar-Pierre Jacobs et Bob De Moor
Éditions Dargaud/Blake et Mortimer (19, 99 €) – ISBN : 978-2-8709-7239-7
« Les Aventures de Blake et Mortimer T9 : Le Piège diabolique » par Edgar-Pierre Jacobs
Éditions Dargaud/Blake et Mortimer (19, 95 €) – ISBN : 978-2870972090
« Juillard 317 dessins »
Éditions Dargaud/Blake et Mortimer (59, 00 €) – ISBN : 978-2870972120
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