« Cher Pays de notre enfance : enquête sur les années de plomb de la Ve République » par Étienne Davodeau et Benoît Collombat

Les années de plomb désignent la période allant de la fin des années 1960 à la fin des années 1980. Cette époque fut marquée par une vague d’activisme politique violent, perpétré aussi bien de la part de groupes d’extrême gauche que de cellules d’extrême droite. Comme beaucoup d’entre nous, ce sont durant ces années-là qu’ont grandi Benoît Collombat et Étienne Davodeau. Connaissant l’admiration réciproque que se vouaient les auteurs pour leurs travaux respectifs, la rédaction de La Revue dessinée organisa un déjeuner où Étienne Davodeau et Benoît Collombat se rencontrèrent pour la première fois et les n° 5 et 7 de cette revue accueillirent alors les deux premiers chapitres du « Cher Pays de notre enfance ».

Le pivot de ce récit en quatre parties est le S.A.C. (Service d’action civique). Cette association, créée en 1960 par Paul Comitti, Pierre Debizet et Charles Pasqua, avait pour but de défendre et faire connaître la pensée et l’action du général de Gaulle. Mais dans le climat de la Guerre froide, une partie de cette force militante n’hésitait absolument pas à user de violence contre ceux qu’ils estimaient comme des opposants de gauche et d’extrême gauche.

Le juge François Renaud.

Le premier chapitre de ce livre nous présente l’affaire de l’assassinat du juge François Renaud, le 3 juillet 1975. Benoit Collombat et Étienne Davodeau rencontrent les collègues, amis et le fils du juge Renaud. Ce dernier instruisait des affaires autour d’un groupe de truands, le Gang des Lyonnais, suspecté de reverser une partie de leur butin à l’U.N.R. (ancêtre du R.P.R. et de l’U.M.P.) en échange de services pour échapper aux autorités ; services possiblement rendus par des adhérents au S.A.C..

La seconde partie débute par le massacre d’Auriol, le 18 juillet 1981. Cet événement entraînera une commission d’enquête parlementaire et la dissolution du S.A.C., en 1982. En parcourant les archives, Étienne Davodeau et Benoît Collombat s’interrogent sur le fonctionnement du S.A. C. et son implication dans la vie politique de cette époque.

Le troisième thème de l’enquête se tourne vers le monde ouvrier et la C.F.T. (Confédération française du travail). Ce syndicat proche du patronat est composé, en partie, de membres durs du gaullisme. Nous y retrouvons des éléments du S.A.C. et leurs procédés violents d’intimidation et de persécution face aux fédérations de gauche.

Le ministre Robert Boulin.

 

L’ultime chapitre a pour cadre l’affaire Robert Boulin. Ce ministre dont l’intégrité était légendaire a été retrouvé mort le 30 octobre 1979, près de Rambouillet. L’enquête conclut rapidement à un suicide. Mais de nombreux dossiers que le ministre avait emporté avec lui qui n’ont jamais été retrouvés. Très vite, la thèse du suicide est remise en cause et des proches du S.A.C. sont de nouveau mis en cause. Cette affaire est encore sensible, près de trente après les faits, un membre de la famille du ministre a subit un incendie criminel après un témoignage télévisé.

 

L’alchimie élaborée par Étienne Davodeau et Benoît Collombat nous permet d’assister aux coulisses d’une enquête politico-policière de grande envergure. Cet album est un pavé saisissant et effrayant ; saisissant par la méticulosité et la profusion des investigations menées par les auteurs, effrayant par la noirceur et le cynisme des actions ici révélées.

Petit à petit, les éléments s’ajustent entre eux, démêlant des ententes entre la pègre et une partie du personnel politique gaulliste remontant à la Résistance, éclairant les manœuvres internes au R.P.R. pour la direction du parti, dénonçant les intimidations envers les journalistes*, les familles des protagonistes.

Les informations que les auteurs nous proposent nous amènent à nous demander à quel niveau est décidé du prix de la vie d’un homme. Comment une conscience humaine peut-elle s’accommoder d’une telle décision ? Après tout, pour certains, il s’agissait juste d’intendance.

Benoît Collombat et Étienne Davodeau nous montrent un monde opaque ayant gangrené toutes les strates de l’État. Ce personnel mystérieux, intégré dans le fonctionnement étatique, nous gratifia des affaires du Rainbow Warrior, des Irlandais de Vincennes, de Clearstream, de l’affaire Elf, des écoutes téléphoniques élyséennes… Peut-être de quoi faire un « Cher Pays de notre enfance » consacré aux années 1980-1990 ?

 

 Brigh BARBER

« Cher Pays de notre enfance : enquête sur les années de plomb de la Ve République » par Étienne Davodeau et Benoît Collombat

Éditions Futuropolis (24,00 €) – ISBN : 978-2-7548-1085-2

 

* Benoît Collombat vient de participer, avec seize autres reporters, à la publication du livre « Informer n’est pas un délit » aux éditions Calmann-Lévy.

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