« Le Maître d’armes » par Joël Parnotte et Xavier Dorison

En plein hiver 1531, dans les montagnes perdues du Jura, Gauvin de Brême contacte le vieux Hans Stalhoffer et lui réclame son aide : il tente de rejoindre la Suisse pour y faire imprimer une version de la Bible traduite en français. Une hérésie que le collège de la Sorbonne condamne par une traque impitoyable, en lançant des mercenaires et le sanguinaire comte Maleztraza à leurs trousses pour les éliminer. Sauf que Hans n’est pas une proie comme les autres ; pour tous, il fut en effet « Le Maître d’armes » le plus redoutable de François Ier… Et le duel qui s’engage fera couler le sang au nom de Dieu. Porté par le trait énergique de Joël Parnotte, le scénario aventureux et psychologique de Xavier Dorison prend ici des proportions littéralement vertigineuses.

Le début des hostilités... (planches 1 et 2 - Dargaud 2015)

Rien qu’à la lecture de son titre, « Le Maître d’armes » nous amène à fourbir une liste d’incontournables références parallèles, de l’ensemble romanesque de cape et d’épée jusqu’aux films « Les Duellistes » (R. Scott, 1977) et « Highlander » (R. Mulcahy, 1986). Ici, et dans la veine d’autres personnages imaginés par Xavier Dorison (« Le Troisième Testament », « W.E.ST. », « Asgard », « Long John Silver », « Undertaker »), tous chargés de reprendre du service contre leurs grès ou d’œuvrer tant bien que mal dans une société en mutation, on comprendra très vite que la véritable cible d’Hans – digne de celle de « Cyrano de Bergerac » – est la défense de son honneur. Au nom du roi de France et de la vérité, une épée se doit d’être mise au service de la meilleure cause. Ainsi s’engage une profonde réflexion sur la foi et la Réforme entre Papistes et Réformistes, à une époque charnière où certains (tels Martin Luther en Allemagne dès 1517, Ulrich Zwingli à Zurich ou Jean Calvin (après 1534) à Paris et Genève), s’émancipent du prisme unique gouvernant l’humanité jusqu’alors : la volonté de Dieu. Les réformateurs profitent de l’essor de l’imprimerie pour faire circuler la Bible en langues vulgaires (notamment l’allemand), et montrent qu’elle ne fait mention ni des saints, ni du culte de la Vierge, ni du Purgatoire.

Illustration de J. Parnotte pour les pages de garde

Encrages pour deux ex-libris

Encrage original pour la planche 68

Dans une intrigue sauvage resserrée sur quelques jours, les protagonistes se lancent donc dans une chasse à l’homme au sommet ou les « cliffhangers » ne manquent pas, entre peurs, fanatismes, espoirs et renoncements. Incarnations des forces hostiles et contradictoires en présence – et évident écho des conflits religieux encore actuels -, le vieillissant Hans Stalhofer et le vil comte Maleztraza ont opté pour des armes différentes : tel le livre saint, outil paradoxalement aussi libératoire que facteur d’asservissement, l’épée de taille et d’estoc, désormais remplacée par la fine rapière (importée d’Espagne vers l’Italie et la France aux 15e et 16e siècles) modifie radicalement l’art et la philosophie du combat. Au preux chevalier succède le spadassin et le lansquenet, autant de ferrailleurs et mercenaires que la littérature populaire réduira au rôle peu reluisant de simple homme de main ou de tueur à gages…

Couverture du tirage de tête (éd. Black and White 2015 - 30×42 cm - dos toilé - 120 pages dont 8 pages couleur)

En couverture, Joël Parnotte impose avec force une atmosphère de traque et de fin de règne. Gibier ou chasseur, « Le Maître d’armes » apparaît de dos et ensanglanté (mais ce sang est-il le sien ?) dans un paysage boisé, recouvert par la neige et le brouillard. L’image, qui n’est pas sans évoquer le fameux visuel du western crépusculaire « Impitoyable » (Clint Eastwood, 1992) jusque dans la suggestion du duel à mort, nous conduit à reconsidérer le poids de l’Histoire, entre un passé qui s’évapore et un futur encore incertain ; entre rage, folie et apaisement, au-delà de la fougue du jeune combattant ou de l’expérience acquise à la vieillesse, seul demeure le blanc manteau de la morale et de la raison.

Joël Parnotte nous livre ici les clés de la conception de cette couverture :

Roughs de recherches de couverture par J. Parnotte

« Je réalise tout d’abord des roughs en recherchant une image forte, une première idée que j’envoie à Xavier. Nous en discutons et il me suggère d’autres pistes, en s’appuyant sur des affiches de films. Je refais une série de roughs et toutes ces pistes sont transmises à Philippe Ravon (le graphiste des éditions Dargaud), qui nous propose à son tour différentes pistes de maquettes, sur plusieurs visuels différents (en mêlant parfois mes roughs à des extraits de mes planches). Puis on visionne tout ça avec Xavier et Yves Schlirf, l’éditeur. Notre choix s’est porté sur la couverture suivante. »

« C’est celle qui nous a semblé la plus lisible et compréhensible au premier regard. Il s’agit en fait d’un mélange de plusieurs roughs, en partant de l’idée de la première couverture. »

« Puis j’ai refait tout le dessin et la mise en couleur pour donner naissance à l’image finale, qui donne je pense une compréhension assez immédiate du thème de l’album. »

Dessin finalisé

Philippe TOMBLAINE

« Le Maître d’armes » par Joël Parnotte et Xavier Dorison
Éditions Dargaud (16, 45 €) – ISBN : 978-2505063421

Galerie

Une réponse à « Le Maître d’armes » par Joël Parnotte et Xavier Dorison

  1. Pickman dit :

    Juste un commentaire en passant puisque je viens (seulement !) de finir de lire cette excellente BD. En tant que Comtois de Bourgogne (ou Franc-Comtois), je voudrais préciser que le Jura en 1531 ou 1535 ne faisait absolument pas partie du royaume de France. La Comté de Bourgogne appartenait au Comte de Bourgogne qui était …. Charles Quint, le grand vainqueur de François Premier. Donc Maleztraza pouvait bien venir dans le Jura, sa commission de ramener deux fugitifs à la Sorbonne était lettre morte en Franche-Comté (même si la Comté de l’époque se battit contre le protestantisme). La Franche-Comté ne fut annexée définitivement à la France qu’en 1678 et au prix du sang. Bien cordialement.

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