Depuis 2021, chaque année, Tiburce Oger rassemble une belle équipe de dessinateurs et dessinatrices pour évoquer l’Ouest américain à travers des personnages authentiques – le Far West, donc – et l’exploitation de ces territoires par des individus qui oubliaient, bien souvent, qu’ils n’étaient que des colonisateurs assoiffés de richesses…
Lire la suite...« Muhammad Ali » par Amazing Ameziane et Sybille Titeux de la Croix
Elu plus grand boxeur de tous les temps et sportif du siècle en 1999, Cassius Clay (devenu Mohamed Ali après sa conversion à l’Islam en 1964) fait l’objet d’un brillant biopic dans « Muhammad Ali ». Sur un scénario parfaitement documenté de Sybille Titeux de la Croix, Amazing Ameziane évoque en près de 120 pages aux tonalités sépias une vie pour le moins extraordinaire. S’y conjuguent une rage de vaincre et des sentences historiques, dans une histoire qui est aussi celle du rapport troublé entre la société américaine et la boxe, de la lutte des Noirs contre la ségrégation, du refus de la guerre du Viêt-Nam et d’un engagement politique au péril de sa vie.
Il est toujours difficile d’évoquer la carrière d’un illustre personnage sans sombrer dans l’hagiographie caricaturale, ni se contenter de retracer quelques scènes clés comme autant d’images d’Épinal. Suivant une veine tracée autant, du coté cinéma, par d’excellents documentaires et films biographiques (« When We Were Kings » par Léon Gast en 1996 ; « Ali » avec Will Smith par Michael Mann en 2001) que du côté bd, avec des titres solides consacrés récemment à des personnalités similaires ou au monde de la boxe/lutte (« Nelson Mandela » par Helfand et Banerjee en 2014 ; « Young » par Ducoudray et Vaccaro en 2013 » ; « Yekini, le roi des arènes » par Lugrain et Xavier en 2014 ; « Plus fort que la haine » par Bresson et Follet en 2014), « Muhammad Ali » assure aux lecteurs un formidable parcours didactique dans la vie de « The Greatest ». Comme l’indique l’introduction de l’album, la vie d’Ali ne peut se comprendre sans saisir l’aspect sacrificiel du « noble art », retour à une lutte primitive mettant en relief toutes les violences contenues entre les communautés. A la fin des années 1950, et dans le cadre d’un combat sans fin pour faire évoluer les droits des Noirs aux Etats-Unis, la vie d’Ali allait le transformer littéralement en un super-héros de la cause, survivant hors-normes de toutes les épreuves infligées. Malheureusement atteint de la maladie de Parkinson depuis 1984, Ali figurait encore comme un héros éternel près de la flamme olympique, à Londres en 2012.
Né en 1942 à Louisville dans un ghetto noir du Kentucky, Cassius va profiter de sa taille (1, 91 m) pour apprendre la boxe entre colère et abnégation : pour apprendre à éviter les coups de ses adversaires, il demande à son frère de lui jeter des pierres ! Poids-lourd médaillé d’or au JO de Rome (1960), tombeur du champion du monde Sonny Liston en 1964 et 1965 (deux combats où le style mouvant et aérien d’Ali entre dans la légende), Muhammad Ali fait aussi les unes de Life ou d’Esquire, devenant une icône à tous points de vue. De Malcom X (qui fut longtemps le mentor d’Ali) jusqu’à l’élection de Barack Obama (2008) en passant par Martin Luther King, la vie d’Ali est surtout – nous l’avons dit – celle d’une aventure mêlant le génie à l’orgueil, la fierté ou un égo démesuré : il faut en retenir des phrases et sentences passées là encore dans l’Histoire du sport, telles « I’m the greatest ! », « Vos mains ne peuvent frapper ce que vos yeux ne peuvent voir », « Je vole comme le papillon et pique comme l’abeille », « N’abandonne pas et vie le reste de ta vie comme un champion ». Déclarant également par défi « Je suis noir, je ne vois pas pourquoi j’irais tuer des jaunes pour faire plaisir à des blancs », Ali devient en 1966 objecteur de conscience : condamnée par la justice américaine intransigeante, il perd en 1967 sa médaille de champion du monde, avant qu’elle ne lui soit officiellement restituée par l’administration Nixon et la Cour suprême en 1971.
En couverture, saisi entre esprit combatif et licence poétique, Ali n’est, graphiquement et en conséquence, pas qu’un « simple » boxeur. Ameziane a pris soin d’éviter le gros plan sur le visage ou de la monstration d’une scène de combat. A l’inverse, dans la partie haute du visuel, Ali, confiant et en costume, apparait comme un leader noir, potentiel militant favori pour une cause engagée sur le ring désert visible en contrebas. Se surajoute à cette vision d’un monde médiatique et effervescent, étouffant et libertaire, celle d’un hommage (par l’emploi des couleurs jaune et noir) à la « nation » afro-américaine. Car il y a encore dans la boxe (née en Grèce avec le pugilat mais pratiquée dans son sens moderne depuis le 18è siècle en Angleterre), les souvenirs douloureux de l’esclavage, de l’affrontement jusqu’à la mort contre une société blanche de l’asservissement qui aura attendu la fin du 20è siècle… pour être mise en partie KO. Avec Ali, concluons philosophiquement : « Je n’ai pas à être ce que vous voulez, je suis libre d’être et de penser ce que je veux ». Au fil des pages lues, inutile de préciser que cette digne réflexion vient nous hanter et nous heurter, tel un uppercut…
En guise de bonus, voici la genèse de la couverture, expliquée pas à pas par Amazing Ameziane et Sybille Titeux de la Croix :
Philippe TOMBLAINE
« Muhammad Ali » par Amazing Ameziane et Sybille Titeux de la Croix
Éditions du Lombard (19, 99 €) – ISBN : 978-2803635382