« Les Super-Zéros » par Jon Morris

Voilà un ouvrage qui aurait pu n’être qu’une tarte à la crème ou une publication geek agaçante, mais qui s’avère être au contraire un formidable outil de connaissances pour qui s’intéresse en profondeur au monde des comics. À la fois drôle et érudit (mariage réjouissant s’il en est), « Les Super-Zéros » constitue une indispensable petite Bible des arrière-salles de l’univers super-héroïque, répertoriant des super-héros de toutes époques qui n’ont jamais réussi à percer et à trouver leur public pour diverses raisons – de la plus compréhensible à la plus édifiante. Très chouette !

Oui, cet ouvrage aurait pu n’être qu’une pantalonnade n’ayant pour but que de se moquer de « crétineries du passé » pour mieux faire valoir son cynisme moderne de bon aloi quoique participant à une posture intellectuelle creuse ou à une mouvance mercantile intéressée (on appelle parfois ça « vintage », avec un petit sourire en coin). Mais Jon Morris n’est pas là pour épater la galerie en se faisant mousser ou pour jouer les geeks bankables. Ce dessinateur/graphiste aime les comics, sûrement à la folie, et ce n’est pas parce qu’il traite de ce sujet avec souvent beaucoup d’humour qu’il ne le fait pas non plus avec bienveillance, tendresse et – c’est peut-être le plus important – un souci, une envie de transmettre des éléments patrimoniaux rarement abordés, laissés de côté, afin d’enrichir notre connaissance de la mythologie et de l’histoire éditoriale et artistique des super-héros. On y rit, certes, mais on y apprend surtout beaucoup de choses sur des créations de natures assez hétéroclites…

 

Sous-titré « Ratés, parias, bannis et autres oubliés de l’histoire des comics », cet ouvrage n’est donc pas consacré qu’aux personnages ridicules dont – il est vrai – il fait bon se moquer (certains super-héros sont si improbables, saugrenus ou consternants qu’on écarquille les yeux en regardant ce qu’on regarde et en lisant ce qu’on lit, se demandant si pareille chose a déjà pu être publiée quelque part tellement elle provoque le rire), mais aussi à des créations qui avaient un vrai potentiel, une beauté ou un intérêt réel, sans qu’elles aient pu survivre après une poignée d’apparitions, tombant parfois dans l’oubli pendant de très longues années… Un certain nombre de personnages ici présents sont d’ailleurs littéralement exhumés des oubliettes où on les auraient cru plongés pour toujours. C’est donc un véritable panorama des loosers de tous poils que nous propose l’auteur, dressant un portrait en creux du monde merveilleux des comics super-héroïques. C’est un peu comme dans la vie… pour quelques stars sous les projecteurs, combien d’artistes ratés, méprisés, oubliés, parfois pour de très bonnes raisons, parfois de manière plus incompréhensible. Mais d’une manière générale, on peut dire que la majorité des personnages répertoriés par Morris ont quelque peu mérité leur disgrâce, flirtant franchement avec le pathétique ou le ridicule absolu (Thunderbunny, Fatman la soucoupe volante humaine, Doctor Hormone, Kangaroo Man ou Bozo le Robot, ça fait rêver… !). Pour autant, le ton employé par Morris, tour à tour mordant et « compassionnel », rend ses critiques contrastées – et donc intéressantes –, pleines d’esprit et d’une belle acuité, l’auteur réussissant à faire à la fois preuve de recul et de pédagogie.

Organisé en trois parties couvrant chacune un Âge des comics (« Âges d’Or, d’Argent, et Moderne), « Les Super-Zéros » se lit comme une petite encyclopédie où les personnages sont classés de manière alphabétique. Pour chaque personnage sont mentionnés son nom américain (et son nom français lorsqu’il y a lieu), une phrase-type et une mini-fiche signalétique (créateur(s) du personnage, titre et date du comic dans lequel il fit sa première apparition, et troisième rubrique plus libre où l’auteur épingle ce qu’il peut y avoir d’édifiant dans la nature ou l’histoire du héros traité). Le texte de l’auteur, lui, est assez court, ne se perdant pas dans des délires sans fin mais s’attachant au contraire à donner l’essentiel de ce qu’il faut savoir sur ce personnage. Il présente son origine (lorsqu’elle est connue), ses spécificités, ses pouvoirs, mais aussi son parcours – souvent court ! – éditorial, sans oublier de pointer du doigt les aberrations de cette création à travers une petite critique bien sentie et – comme je l’ai déjà dit – pleine d’humour vache et éclairé. L’iconographie, quant à elle, est assez chouette, proposant un ou plusieurs visuels d’époque (couvertures de comics, splash pages, planches…). Contrairement à certains ouvrages récents s’attardant de façon très ostensible sur l’ère moderne des comics au détriment de leur Âge d’Or, le livre de Jon Morris accorde une place majeure à ce premier Âge (je mets de côté l’Âge de Platine) où – c’est indubitable – d’innombrables petites merveilles de « culture bis » sont parues, ayant aujourd’hui une telle patine qu’elles en deviennent de véritables trésors graphiques décalés.

Vous l’aurez compris, cet ouvrage est tout à fait passionnant et réjouissant, tout à fait épatant et excitant, signé par quelqu’un d’intelligent. 256 pages de bonheur !

Cecil McKINLEY

« Les Super-Zéros » par Jon Morris

Éditions Huginn & Muninn (24,95€) – ISBN : 978-2-3648-0327-5

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2 réponses à « Les Super-Zéros » par Jon Morris

  1. jb dit :

    Très bon commentaire.
    Au delà de leur « ringardise »( mais n’est on pas, toujours, le ringard de quelqu’un d’autre ou d’une autre époque) ce qui m’a vraiment impressionné c’est l’absence de limites et de cynisme qui a prévalu a la création de ces personnages.En ces temps ou le mot « créativité » est plus que galvaudé nous avons là un ouvrage salutaire, même si certains choix me laissent perplexe : Rom côtoyant Thunderbunny…et pourtant l’article sur Rom et son origine Jouet est très drôle.
    Vraiment une excellente lecture.

  2. BARRE dit :

    Merci Cécil car sans votre article je serais passé à coté de cet ouvrage savoureux et bien fourni en « héros » extravagants de toutes sortes!
    J’ai du le commander, ne le trouvant pas of course en tête de gondole(!), et je ne regrette pas mon achat, c’est un livre qui se déguste avec la joie dans » l’oeil. » (oui c’est un clin d’oeil!)
    Imaginons un instant quelques films réalisés sur la vie trépidante de tous ces « zéros », même au second degré ce serait wonderful!

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