« Les Cinq de Cambridge T1 : Trinity » par Olivier Neuray et Valérie Lemaire

Après « Les Cosaques d’Hitler » (deux albums en 2013 et 2014), la scénariste Valérie Lemaire renoue avec l’époque troublée de l’entre-deux-guerres : face aux ravages provoqués par la crise de 1929 et l’émergence du fascisme en Europe, une poignée d’étudiants de Cambridge va envisager les idées communistes et l’Union soviétique comme ultime rempart. De cette prise de conscience naîtra le plus incroyable réseau d’espions du XXe siècle qui, dans l’ombre, infléchira radicalement, pendant plus de trois décennies, rien moins que le cours de l’Histoire…

Sur le visuel de couverture concocté par Olivier Neuray, nous lirons d’abord un titre intrigant, « Les Cinq de Cambridge », allusion aux seuls membres d’un cercle restreint, pour ne pas dire un club, dans la mesure où l’ambiance est foncièrement britannique. La grande université de Cambridge (fondée au XIIIe siècle), à 80 km au nord de Londres, est un évident bastion de l’intelligence et (avec Oxford) la quintessence de l’élitisme anglais. Le titre de ce premier l’album (3 étant annoncés), « Trinity », fait plus précisément référence au Trinity College, l’un des 31 collèges, dont les ressources et la renommée sont colossales.

La grande cour du Trinity College, à Cambridge

Selon les traditions séculaires – et universitaires – des sociétés secrètes, et sur un mode proche des rites Francs-maçons, nous retrouvons ici les éléments du pacte en train de se nouer : des hommes d’âges équivalents, un document lu à la lumière des bougies, ainsi qu’un regard guettant un éventuel gêneur. Les ombres portées et les capes noires accentuent l’impression pour le lecteur d’avoir affaire à des comploteurs, dont l’aura mystérieuse du pacte sacré est encore amplifiée par que l’arrière-plan religieux. Il s’agit ici des stalles du Trinity collège, le carrelage au sol ayant été simplifié pour permettre un rajout significatif – l’ombre portée et potentiellement menaçante d’une faucille et d’un marteau – concernant le contexte politique et de l’affiliation politique communiste des étudiants. Notons que, par leur acte, les cinq jeunes gens semblent déjà vouloir échapper à leur environnement rigide et infatué.

La chapelle et les stalles (rangées de sièges en bois) du Trinity College

Le Club des Cinq !

Dans les années 1930, ceux que l’on nommera ultérieurement les Cambridge Five ou Magnificent Five sont successivement recrutés par le NKVD (police politique russe et futur KGB après 1953). Ils travailleront dès lors pour le compte de l’Union soviétique, non seulement pendant la Seconde Guerre mondiale mais aussi durant la Guerre froide. Kim Philby (nom de code : Stanley), Guy Burgess (nom de code : Hicks), Donald Duart Maclean (nom de code : Homer), Anthony Blunt (nom de code : Johnson) et John Cairncross (nom de code : Liszt) œuvreront longtemps dans l’ombre et il faudra donc attendre 1963 pour que l’Américain Michael Straight dévoile aux services secrets anglais le rôle joué par Anthony Blunt. Ces révélations demeurèrent un secret d’état jusqu’en 1979, c’est-à-dire jusqu’à la date du scandale qui entraîna la disgrâce officielle de Blunt. C’est là que débute pour Valérie Lemaire l’écheveau complexe des « Cinq de Cambridge »…

Concernant la genèse du premier plat de couverture, laissons comme il se doit la parole au dessinateur Olivier Neuray :

Recherches de couvertures par O. Neuray

« Les premières versions de la couverture comportaient un lettrage qui évoquait plus l’univers de la vieille ville universitaire de Cambridge. On ne les a pas retenues, car elles faisaient un peu trop « carte postale ». C’est donc très nettement la cinquième et dernière version qu i fut préférée : on y retrouve le côté comploteur et on identifie bien que c’est à Cambridge : des chapelles, il y en dans chaque collège, et il y en a beaucoup des collèges !

Le fait que les personnages soient au loin renforce l’idée du complot. On voit qu’ils mijotent quelque chose de louche. Le basculement de l’image est destiné à accentuer l’incongruité de la scène. La discordance entre le lieu où elle se déroule – la chapelle – et l’ombre du marteau et de la faucille doit donner envie de savoir ce qu’il y a derrière.
L’idée géniale du graphiste de Casterman a été d’y coller en définitive un lettrage évoquant le constructivisme russe des années 20, ce qui contrastait d’autant plus avec l’ambiance british
old school et accentuait le communisme de nos 5 espions. »

Philippe TOMBLAINE

« Les Cinq de Cambridge T1 : Trinity » par Olivier Neuray et Valérie Lemaire
Éditions Casterman (13, 50 €) – ISBN : 978-2203093461

Galerie

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