« Eros X SF » par Shotaro Ishinomori

Après Tezuka, Ishinomori est le plus grand auteur japonais du siècle dernier. Il a produit plus de pages que le dieu du manga et est surtout connu pour ses récits novateurs dans le domaine de la science-fiction. Sa création la plus marquante est, bien évidemment, « Kamen Rider » qui, plus de quinze ans après son décès, est encore diffusée en feuilleton télévisuel. Il est également le père de « Cyborg 009 » dont une adaptation cinématographique est sortie l’année passée. Au milieu de tout ce travail tout public, il a également produit des œuvres plus réalistes et même, pour certaines, clairement destinées à une audience mature, comme l’atteste cet ouvrage au nom explicite : « Eros X SF »

Ne vous y trompez pas, malgré un titre aguicheur, ce manga reste bien sage. Nous sommes dans l’érotique soft matinée de science-fiction comme on en faisait dans les années 1970. Et c’est ce mélange qui le rend extrêmement intéressant. Composé d’une quinzaine d’histoires courtes, seules les premières sont réellement empreintes de SF. On y évoque des êtres androïdes, des femmes Bunny, des invasions d’extra-terrestres, des soucoupes volantes, des passages entre différentes dimensions cachés au fond d’un placard, etc. Avec bien sûr, à chaque fois, un homme qui trouvera le moyen de séduire une femme (ou assimilée). Celle-ci s’offrira forcément à lui à un moment ou à un autre, que ce soit en rêve ou dans la réalité. À côté de ça, on trouve des récits bien plus terre à terre comme cette histoire de domination sadomasochiste ou le meurtre et la folie tiennent une bonne place. Ou cette histoire romancée décrivant la fin de vie d’Utamaro, l’un des plus grands créateurs d’estampes érotiques que le Japon ait connu. On trouve également au milieu une histoire psychédélique de seulement 4 pages où un homme fait surgir une femme de son imagination, alors qu’il est sous LSD. Quant à son tour, la femme prendra cette drogue, c’est l’homme qui disparaîtra. Bref, un panel d’histoires hétéroclites présentant à peu près toutes des femmes déshabillées et des hommes libidineux.

Avec ce recueil, le public français découvre une nouvelle facette de Shotaro Ishinomori. Nous connaissions déjà l’aventure et la science-fiction avec « Kamen Rider » (Isan Manga), « Le Voyage de Ryu » et « Cyborg 009 » (Glénat) ou le japon médiéval et les récits policiers avec « Sabu et Itchi » (Kana). Certains s’en souviennent peut-être, il fut même l’un des premiers auteurs japonais à être publié en France avec « Les Secrets de l’économie japonaise en bande dessinée » (Albin Michel) : un manga résolument adulte destiné, en toute logique, aux businessmans.

Ishonomori se paie même le luxe de raconter ses expériences personnelles dans trois chapitres sobrement intitulés : « Ma vie sexuelle ». Il y évoque tour à tour la découverte des différences anatomiques entre les garçons et les filles, ses émois adolescents, le suicide passionnel, ses tentations charnelles, les pratiques sado-masochistes d’un ancien assistant, le narcissisme, le voyeurisme, la zoophilie et surtout sa passion pour les femmes. Ce sont plus des chapitres de réflexion sur sa vie et ses rapports à la société et non de simples récits à connotation érotique. Il mélange volontairement plusieurs sujets pour construire une analyse du monde dans lequel il évolue. Un monde ou la libération des mœurs est en plein essor, ou l’émancipation de la femme devient un sujet de société. Un monde où l’on se suicide par opposition politique, tel Mishima qui s’est fait seppuku le 25 novembre 1970.

Le dernier chapitre n’a rien d’érotique, c’est un petit bonus qui évoque les années que l’auteur a partagé avec d’autres grands noms du manga, dont Tezuka, à la résidence Tokiwa. Récit muet et pourtant rempli d’émotions. Les souvenirs défilent les un après les autres, les périodes de réfection intense en groupe font place aux périodes de doute et de disette. En seulement douze pages, il s’offre un retour aux sources. La villa Tokiwa est une résidence d’artistes mythique, lancée en 1952. Elle a été le lieu de création du manga moderne. Détruite en 1982, elle fit place à un monument commémoratif, lieux de pèlerinage de nombreux amateurs de mangas.

Avec un trait encore plus souple que celui de Tezuka, Ishinomori arrive à créer des personnages attachants, se pliant à tous ses désirs. Il arrive à passer de la caricature, avec toute l’exagération nécessaire pour cet art, à la simplicité et la froideur de la réalité. Son propos peut être humoristique comme grave et empreint de mélancolie et de réflexion. Si les années soixante-dix sont bien marquées, le propos est toujours d’actualité. Avec « Eros X SF », ce sont toutes les facettes de cet artiste qui nous sont présentées en français dans ce pavé de 392 pages. Plus intéressant pour son coté politique et ses questionnements sur la nature humaine que réellement les scènes d’amour qui restent assez conventionnel, ce livre peut donc être proposée dés l’adolescence, sans aucune crainte.

Gwenaël JACQUET

« Eros X SF » par Shotaro Ishinomori
Éditions Le Lézard Noir (25 €) – ISBN : 9782-35348-0647

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