Les amateurs de son œuvre le savent bien : Jacques Tardi est un boulimique de travail qui dessine matin, midi et soir. Or, « Dessins matin, midi et soir », c’est le titre d’un beau petit recueil édité par Oblique Art (structure dirigée par Pierre-Marie Jamet) qui nous propose pas moins de 160 pages rassemblant des illustrations réalisées par le créateur d’« Adèle Blanc-Sec », sélectionnées dans les nombreux carnets qu’il a noircis (voire mis en couleurs) tout au long de sa remarquable carrière d’auteur du 9e art : croquis, études de personnages… et même courtes bandes dessinées iconoclastes inédites.
Lire la suite...Spécial Sherlock Holmes : « Les Quatre de Baker Street T6 : L’Homme du Yard » et « Sherlock Holmes Society T1 : L’Affaire Keelodge »
En matière de séries policières, les bédéphiles ont principalement le choix entre les grands classiques (nous évoquions la renaissance de Ric Hochet la semaine passée) et les adaptations d’univers non moins mythiques, tels ceux d’Agatha Christie, Léo Malet, Patrick Manchette, James Ellroy… ou Conan Doyle. Depuis les années 1980, l’univers de Sherlock Holmes aura ainsi été mis en scène par plus d’une trentaine de séries franco-belges d’inégales qualités : ces titres n’auront pas manqué de faire grincer plus que de raison les méninges des holmésiens les plus pointilleux, regroupés depuis 1993 au sein de la Société Sherlock Holmes de France (SSHF). Cette dernière recense plus de 300 albums, dont « Les Quatre de Baker Street » (6 tomes parus chez Vents d’Ouest, par Jean-Blaise Djian, Olivier Legrand et David Étien) et cet ensemble de six séries reliées (qualifié de Sherlockverse), imaginé par Sylvain Cordurié pour la collection 1800 chez Soleil.
Sherlock Holmes, c’est avant toute chose un archétype (le détective scientifique), un cadre (l’Angleterre victorienne) et naturellement un auteur (Arthur Conan Doyle), tous entrés dans la culture mondiale. Les enquêtes, relatées (théoriquement par le docteur Watson) au travers de 4 romans (dont « Une Étude en rouge » en 1887) et 56 nouvelles, forment ce qu’on appelle le canon. Ce corpus inaliénable n’exclue pas les zones d’ombres, dont le fameux Grand Hiatus, moment situé entre la disparition d’Holmes et de son ennemi juré, le professeur Moriarty, au fond des chutes suisses du Reichenbach (« Le Dernier problème », publié en 1893) et son retour miraculeux dans « La Maison vide », en 1903.
Dans la chronologie interne de la saga, cette mort apparente du héros dure environ trois ans, de 1891 à 1894. Les scénaristes contemporains, s’engouffrant dans les ténèbres du personnage, ont dès lors déployé un vaste argumentaire pour tenter d’interpréter ce vide autant que ses conséquences. Ce jusqu’à remettre en doute la réalité de Sherlock Holmes, finalement toujours décrit – et traduit psychologiquement – via les commentaires de Watson : nous renvoyons ici en particulier à la série « Holmes » de Luc Brunschwig et Cecil, prévue en 9 tomes et débutée chez Futuropolis depuis 2006. Bonne nouvelle, le prochain « Livre IV » est à l’étape finale des corrections (l’album devrait paraître en octobre ou novembre prochain) !
Avec « Les Quatre de Baker Street », riche à ce jour de 6 volumes et d’un hors-série (parus depuis 2009 chez Vents d’Ouest), Jean-Blaise Djian, Olivier Legrand et David Étien ont sans doute réalisé l’une des plus belles séries jeunesse actuelles qui soient, déjà écoulée à plus de 140 000 exemplaires. Le premier tome (« L’Affaire du rideau bleu ») avait levé le voile sur trois gamins des rues (Billy, Charlie et Tom) et leur chat (baptisé Watson !), complices précieux d’Holmes dans les ruelles miteuses et sinistres de l’East End londonien. Alors que ces quatre Irréguliers de Baker Street sont cités sans plus de précision dans l’œuvre initiale de Conan Doyle, la bande dessinée leur donne pleinement corps et âmes, au fil de scénarios de plus en plus âpres et adultes, enrichis du graphisme méticuleux et dynamique composé par David Étien. Confrontés directement à la mort puis à la (fausse) disparition de leur mentor dans le tome 4 (« Les Orphelins de Londres », 2012), le groupe composé vola en éclats avant de s’unir de nouveau contre l’adversité. Le tome 5 (« La Succession Moriarty », avril 2014) avait ensuite scellé les retrouvailles discrètes avec Holmes, réapparue sous une fausse identité. Devant espionner les plus proches lieutenants de feu Moriarty, les 4 se retrouvent dans l’actuel tome 6 (« L’Homme du Yard ») opposés au superintendant corrompu Blackstone et à ses forces de police, ces dernières étant bien décidées à faire place nette dans les bas quartiers, quitte à faire quelques victimes collatérales…
Comme le précise le coscénariste Olivier Legrand, les derniers volumes modifient donc la formule habituelle d’une enquête unique par tome : « Chaque album propose une histoire complète – mais avec le tome 5, on ouvre effectivement un cycle à l’intérieur de la série. Les tomes 5, 6 et 7 formeront un triptyque, lié aux événements du Grand Hiatus. Pour nous, c’est une façon de faire évoluer la série et les personnages, de ne pas rester figés dans le même format. Si « Les Quatre de Baker Street » était une série télé, on pourrait considérer que cette trilogie constitue la « deuxième saison », avec une nouvelle donne, un nouveau rythme et de nouveaux enjeux… »
De son côté, le scénariste Sylvain Cordurié avait régulièrement alimenté depuis 2010 la collection 1800 chez Soleil, en débutant par le diptyque « Sherlock Holmes et les Vampires de Londres », dessiné par Laci. S’ensuivront les 2 tomes de « Sherlock Holmes et le Nécronomicon » (2011 et 2013, toujours avec Laci), les 2 volumes de « Sherlock Holmes Crime Alleys » (dessin d’Alessandro Nespolino) en 2013 et 2014, puis le premier opus de « Sherlock Holmes et les Voyageurs du temps » en 2014 (dessin de Laci ; voir notre article). Si l’on excepte le spin-off « La Mandragore » (deux tomes dessinés par Marco Santucci en 2012 et 2013), c’est à partir de 2014 que Cordurié commença à étendre l’univers forgé de part et d’autre du fameux Grand Hiatus, afin notamment de mettre à profit l’évolution psychologique et physique du personnage de Holmes. Si « Crime Alleys » narrait l’enquête fondatrice de la carrière du détective en mai 1876, il fallait joindre au héros des développements de caractères parallèles : ce sera chose faite avec l’apparition du premier tome des « Chroniques de Moriarty » (dessin d’Andréa Fattori en septembre 2014)… ce sans compter un « Dr Watson » concocté par Stéphane Betbeder et Darko Perovic en octobre 2014 !
Désormais réduite au seul monde de Conan Doyle, la collection 1800 est pour ainsi maintenue en vie par les seules nouveautés holmesiennes, heureusement très régulières. Dernière nouveauté en date, « Sherlock Holmes Society » est d’ors et déjà prévue sur 4 volumes jusqu’en 2016, après un premier tome illustré par Stéphane Bervas (couverture par Ronan Touhoat) : revenu parmi les vivants en 1894, Holmes doit investiguer le village côtier de Keelodge, où une étrange et effroyable épidémie semble bien avoir subitement transformé tous les habitants en zombies…
Afin d’y voir plus clair dans la conception de cet écheveau scénaristique aux diverses ramifications (du reste expliqué aux acheteurs par un encart cartonné glissé dans les albums), laissons le fin mot à son maître d’œuvre, Sylvain Cordurié :
« Le Sherlock Holmes de 1800 a commencé par un diptyque publié en 2010. À l’origine, nous devions nous arrêter là . C’était le principe de la collection : proposer des one-shots ou des récits courts. Je nourrissais l’envie d’aller plus loin, avec deux autres histoires en tête, mais cela ne dépendait pas que de moi. Il fallait que la série ait l’adhésion des lecteurs et que Jean-Luc Istin – le directeur de collection – donne son aval. Deux conditions réunies l’été de la même année. Je me suis donc penché sur un autre diptyque, puis sur ce que nous définirons comme des spin-offs. »
« Le problème que pose le développement de cet univers sous forme de diptyques, c’est que les lecteurs et les libraires ont parfois du mal à faire le lien entre chaque récit. D’ordinaire, une série au long cours offre des repères, à commencer par une tomaison. Jean-Luc et Guy Delcourt ont donc proposé de changer d’approche. De créer une série - « Sherlock Holmes Society » - avec un rythme de parution soutenu, axée sur le détective et avec une chronologie simplifiée plutôt que proposer durablement des diptyques s’intéressant à différentes époques et/ou personnages holmésiens. »
« « Sherlock Holmes Society » intervient après « Sherlock Holmes et les Voyageurs du Temps » qui boucle la période du Grand Hiatus. Elle propose un premier arc ; un récit feuilletonnesque en quatre tomes qui seront publiés entre mai 2015 et janvier 2016. D’autres suivront si, comme toujours, les lecteurs sont au rendez-vous. Je sais bien évidemment où emmener la série pour au moins deux autres « saisons », mais chaque chose en son temps… Disons juste que « Sherlock Holmes Society » racontera l’évolution du détective, confronté à des menaces qu’un homme seul ne peut affronter. Un problème auquel il apportera la plus logique des réponses. »
Le jeu est donc relancé, au moins jusqu’en 2016 !
Philippe TOMBLAINE
« Les Quatre de Baker Street T6 : L’Homme du Yard » par David Étien, Jean-Blaise Djian et Olivier Legrand
Éditions Vents d’Ouest (14, 95 €) – ISBN : 978-2749307794
« Sherlock Holmes Society T1 : L’Affaire Keelodge » par Stéphane Bervas et Stéphane Cordurié
Éditions Soleil (14, 95 €) – ISBN : 978-2302046528
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