« Vita obscura » par Simon Schwartz

Voici un ouvrage tout à fait épatant sur le fond comme sur la forme (ce à quoi nous ont habitués les éditions Ici Même) qui ravira les amateurs de bande dessinée, d’Histoire et de destins singuliers. À travers une trentaine de portraits de personnages méconnus issus de toutes époques et de tous horizons, Simon Schwartz nous invite à découvrir des hommes et des femmes qui connurent des parcours souvent incroyables, remettant dans la lumière ceux qui étaient restés dans l’ombre de l’Histoire…

Cet album procure un vrai plaisir de lecture, une lecture enrichissante, passionnante, ludique et érudite ; c’est véritablement très agréable. À chaque planche (et parfois à chaque case), on apprend tout un tas de choses formidables sur ces petites histoires qui ont fait la grande Histoire mais dont ne parle pas ou peu, peut-être écartées des manuels d’histoire parce qu’elles étaient plus un grain de sable dans le système qu’autre chose… De ce côté-ci des portraits issus de la « grande Histoire », on sent de la part de l’auteur une volonté de réhabiliter ou/et de sortir de l’oubli des personnes ayant fait des choses extraordinaires en arrière-plan – néanmoins parfois proches – des grands héros historiques. Il en va ainsi de Witold Pilecki, ancien officier polonais qui se laissa arrêter sous un faux nom à Auschwitz et qui créa dans le camp un mouvement clandestin de résistance, réussissant à envoyer des messages aux Alliés sur la réalité de ce qui se passait… et qui fut injustement jugé et exécuté après la guerre. Des destins tragiques, d’autres cocasses… Nous faisons également connaissance avec quelques personnages hauts en couleur qui figurent plus à la rubrique « faits divers » : des excentriques, des personnalités uniques, des artistes, des incompris… Des gens qui ont eu des vies de fous… La diversité des sujets est riche et nous fait passer d’une époque à une autre, d’un portrait à un autre, de la petite à la grande histoire avec naturel et malice. Mais au-delà de l’originalité de ce sujet – pour lequel l’auteur semble s’être considérablement documenté –, un autre paramètre intervient fortement dans la réussite de cet album : les différents visages graphiques de celui-ci.

En effet, le parti pris de Simon Schwartz a été de réaliser une seule et unique planche pour chaque portrait et de traiter ces planches dans un style graphique à chaque fois différent, en adéquation avec le sujet abordé. Ainsi, le destin tragique de Pilecki dont je parlais plus haut est dessiné au crayon et à l’encre noire sur papier un peu grisé/jauni, le visionnaire Karl Hans Janke est traité en vision 3D, le prophète Mani a droit à une succession de cases modelées en terre et peintes, tandis que le psychédélique Ken Kesey voit son portrait être exécuté avec des éclats de peinture hallucinogène. En regard de chacune de ces planches en largeur qui donnent son format à l’album, la page de gauche reste vierge, juste recouverte d’une teinte unie. Un spectre assez réduit de ces teintes quelque peu rompues (gris, ocre, bleu, rouge, vert) est donc utilisé pour faire écho à l’atmosphère esthétique de chaque planche, instaurant une certaine fluidité qui lie l’ensemble de ces portraits disparates dans une cohérence engendrant de surcroît le plaisir du bel ouvrage bien fait, bien pensé, par des artistes et des éditeurs qui aiment le livre, véritablement. On est évidemment admiratifs de l’éventail de styles utilisé par l’auteur, car le résultat est impeccable, ne souffrant jamais des faiblesses et des écueils possibles d’un tel exercice. Chaque style est parfaitement maîtrisé et démontre combien le talent de l’auteur est polymorphe tout en ayant quelques constantes que l’on retrouve çà et là. Tout ceci n’est pas le moindre des plaisirs que procure cet album !

 

En prenant un peu de recul sur cette galerie de portraits pittoresques et hétéroclites, on s’aperçoit que l’ensemble constitue une sorte de reflet de ce qu’est notre humanité. De grands hommes, de grands faits, et puis des gens dans l’ombre ou qui défrayent la chronique, si uniques que leur destin croisa – par hasard ? – les déterminants de l’Histoire. Enfin, il y a ceux qui se construisent des vies incroyables, par réelle folie ou excentricité, marquant notre histoire contemporaine des décennies après leur passage quelques fois injustement oublié… Des héros du rien, des inspirateurs, des personnalités hors normes… Le fait que l’auteur ait ainsi exhumé ces destins délaissés (ou trop peu remarqués même si on ne peut que les trouver remarquables) joue aussi pour beaucoup dans la qualité de cet ouvrage, car voilà un très bel hommage aux illuminés, aux héros invisibles, aux aventuriers du quotidien qui dérape. Ces quelques destins sont autant d’exemples de ce qui constitue notre humanité, et en ce sens l’album de Schwartz est un beau travail de mémoire, révélant à nouveau combien le parcours de tout un chacun peut prendre des directions extraordinaires…

Cecil McKINLEY

« Vita obscura » par Simon Schwartz

Éditions Ici Même (19,50€) – ISBN : 978-2-36912-011-7

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