« Un certain Cervantès » par Christian Lax

Pas facile de porter le nom d’un auteur célèbre et d’être obligé constamment de répéter qu’on ne s’appelle pas Miguel, mais Mike. Mike Cervantès ! Pas facile pour ce G. I. de retour d’Afghanistan qui a laissé un bras là-bas, comme Cervantès d’ailleurs lors de la bataille de Lepante… Et ça tombe bien, il y a du Don Quichotte dans ce Mike-là… Bref, tout les rapproche !

Mike revient d’un terrible séjour où comme soldat américain il a connu les cruautés de la guerre et celle des Talibans, un drôle de western pour lui qui justement avait un « job de cow-boy dans une ville pour touristes en Arizona », mais que ses plantations de marijuana ont mené en prison. Alors par dépit il a signé dans les Marines ! Mal lui en prit puisque, lors d’une explosion, il perd un bras… comme Cervantès en 1571, et comme lui : geôle invivable, tentative d’évasion…Retour en Arizona. On est en 2009 et Mike se terre dans le désert attendant que l’État lui offre une prothèse, car chasser, pêcher, vivre tout simplement, est compliqué avec un moignon ! Cependant, c’est l’occasion de s’éprendre de la jolie prothésiste. Avec elle, la vie revient, mais Mike est un sanguin (il a le sang chaud !) et pour la moindre injustice, il pète les plombs et la devanture d’une banque ! Retour case prison… comme Cervantès, une histoire de banque aussi, enfin de faillite bancaire, à une époque où l’on renvoie – déjà ! – vers l’Afrique en caravelles « les minorités indésirables : Maures et judaïsants ». « Il y a de quoi déclencher des vocations de Don Quichotte » se dit Mike qui se décide à lire enfin le célèbre roman. Faut bien occuper le temps, en prison ! Dès lors « le manchot de Lepante » l’accompagne à tout moment. Ils conversent tous les deux sur le monde qui n’a pas tant changé !  Pendant ce temps, sur la frontière entre le Mexique et l’Arizona, là où gravitent des milices privées décidées à empêcher tout latino d’entrer sur le sol, un « candidat à l’Eldorado se faufile vers la terre promise » et son chemin croisera celui de Mike. Tranquillo Tobar, c’est son nom, vient du Pérou. Ce n’est pas Sancho Panza, non, ni gros, ni gras, mais il devient Sancho par procuration et Mike et lui vont vivre ensemble des aventures picaresques mémorables, avec une Rossinante très particulière, une Mustang (histoire de rester dans les chevaux !), et, au passage, un  retour vers la langue de Cervantès.

Christian Lax s’est franchement amusé à établir des correspondances entre ces deux destins qui n’ont rien… d’amusant, car derrière le jeu des pistes qui se croisent, l’auteur s’évertue à établir des parallèles, des confluences, soulignant ce qui demeure en matière d’intolérance, réglant son compte aussi avec la religion, l’injustice, la censure, les banques, le fanatisme… et nous faisant voyager d’un siècle à l’autre, d’un roman à l’histoire, de l’humain à l’inhumain, jusque dans ce désert de Sonora où il s’agit d’enterrer des bouquins, oui, des livres, incroyable butin !, en compagnie de Navajos qui savent ce qu’il en est de la discrimination et du harcèlement.Avec ce nouveau titre, Lax est comme toujours incisif dans ses dialogues et exceptionnel dans ses dessins, abandonnant la couleur pour soutenir cette chronique, quelquefois sombre, c’est vrai, désespérée, rebelle, mais aussi drôle ou poétique. Impossible, donc, de se refuser ces aventures rocambolesques qui mènent son lecteur jusqu’à l’Hôtel mythique de New York, le Chelsea, hôtel qui a vu défiler écrivains, chanteurs, artistes célèbres… Cervantès est en bonne compagnie !

Alors, bon voyage !

Didier QUELLA-GUYOT : L@BD->http://9990045v.esidoc.fr/ et sur Facebook.

Toutes les chroniques BD Voyages = http://bdzoom.com/author/didierqg/

« Un certain Cervantès » par Christian Lax

Éditions Futuropolis (26 €) – ISBN : 978-2-7548-0981-8

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