Michel Pierret : les années Spirou

Avec la parution des intégrales de « Terran Stone » et de « Ceux du Khandôr », les microéditions Plotch Splaf achèvent la résurrection des œuvres de jeunesse estampillées « science-fiction de Michel Pierret : publication qui avait précédemment commencé avec les quatre intégrales de « Papilio ».

Premier album des « Aigles décapitées » par Pierret auteur complet.

Michel Pierret est aujourd’hui reconnu comme l’auteur complet de la série médiévale « Les Aigles décapitées ».

Ceci après en avoir été le dessinateur (à partir de 1989) sur des scénarii de Jean-Charles Kraehn, puis d’Érik Arnoux.

Les amateurs du journal Tintin se souviendront de lui dans des temps plus anciens, comme l’auteur de « Papilio ».

Cette sympathique série de SF semi-réaliste est parue dans les pages de l’hebdomadaire des éditions du Lombard, entre 1979 et 1987.

D’autres se remémoreront aussi « Max et Cati ».

Ces deux enfants vivant des aventures invraisemblables avec un téléviseur magique, toujours dans Tintin, puis dans son successeur Hello Bédé, entre 1986 et 1990.

En revanche, plus rares seront ceux qui se souviendront que Michel Pierret a d’abord fait ses classes dans l’hebdomadaire Spirou, entre 1974 et 1979, avec huit histoires courtes puis deux séries de SF : « Terran Stone » et « Ceux du Khandôr ».

La principale raison de l’oubli de ces œuvres de jeunesse, pourtant pleines de qualités, est sans doute l’absence totale d’albums à l’époque, aussi bien chez Dupuis que, plus tard, au Lombard.

Les microéditions Milwaukee tenteront bien tardivement de réhabiliter ces histoires avec trois publications, entre 2001 et 2009.

Malheureusement, d’une facture assez artisanale et d’une diffusion très confidentielle, ceux-ci ne rencontreront pas le succès escompté et l’éditeur s’en tiendra là.

Ex-libris offert pour l’achat des 3 intégrales de la période Spirou.

Il faudra attendre 2012 pour voir un nouveau microéditeur, Plotch Splaf, s’intéresser à ces œuvres de jeunesse avec leur publication en sept intégrales chronologiques.

Quatre pour « Papilio » en 2012-2013, puis deux pour « Terran Stone » et une pour « Ceux du Khandôr » en 2015.

Ces compilations sont agrémentées de l’ensemble des documents de l’époque (couvertures des hebdomadaires, annonces, posters, planches inédites, interviews…) et sont accompagnées de trois ex-libris.

Sachez aussi que ces albums sont seulement disponibles en vente directe auprès de l’éditeur (plotch.splaf@gmail.com), mais sont aussi distribués par le site du Coffre à BD : http://coffre-a-bd.com.

Lorsque commence « Papilio » dans le journal Tintin, en juin 1979, Michel Pierret est pourtant loin d’être un débutant.

Né à Ébly (Belgique) en 1951, il obtient le diplôme d’arts plastiques de l’école supérieure des arts de Saint-Luc à Liège (spécialité « illustration ») en juin 1973.

Après un stage chez Arthur Piroton, dessinateur de la série policière « Jess Long » et des fans de modélisme « Michel et Thierry », Michel Pierret est publié pour la première fois dans le journal Spirou, en février 1974.

Comme tous les débutants, Michel Pierret commence par faire ses gammes avec 3 histoires courtes en deux planches sous le label « Carte blanche », rubrique qui comme son nom l’indique permettait à des auteurs, pas forcement débutants, de s’exprimer sans trop de contraintes éditoriales.

  Ces 3 histoires, « L’Avertissement » (1974), « Les Robots » (1974) et « Le Justicier » (1975), sont reprises dans le 2ème tome de l’intégrale de « Terran Stone » (éditions Plotch Splaf 2015) et témoignent déjà de l’attrait de l’auteur pour la science-fiction.

Ces galops d’essai ont dû plaire, car Michel Pierret enchaîne rapidement avec sa première série : « Terran Stone », dans « Les Pêcheurs de guerres » (1975).

Terran Stone est un humanoïde, un robot ultra-perfectionné au point qu’on ne peut physiquement pas le distinguer d’un être humain. Quelque temps après, une guerre d’indépendance des robots, où les humains ont fini par accepter une égalité théorique avec les « machines », Terran Stone erre de planète en planète, à l’aventure. À chaque fois confronté au danger, il ne s’en sortira que par ses capacités physiques et cérébrales hors du commun.

Comme souvent pour un auteur débutant, cette première histoire, tout comme la seconde, n’aura pas droit aux pages couleurs, mais sera publiée dans la rubrique « Découvertes Dupuis », un supplément noir et blanc détachable au format réduit 15 x 27 cm, inséré en pages centrales du journal.

Publiés de 1974 à 1978 ces bancs d’essai auront vu les débuts de trois futurs grands : Michel Pierret bien sûr, mais aussi Jean-Claude Servais (« Ronny Jackson » dessiné sous le pseudonyme de Jicé) et Bernard Hislaire.

Tois « Découvertes Dupuis » : « Polo et Gustave » par Dédé (1975), « Agnan Nian » par Blanchart (1975), « Ronny Jackson » par Jean-Claude Servais (1977).

La seconde histoire de « Terran Stone », « La Pierre qui tue » (1976), connaîtra un destin particulier, puisque Michel Pierret la reprendra en 1985 dans le journal Tintin, pour la transformer en un épisode de « Papilio ».

Celui-ci sera entièrement redessiné et colorisé et son scénario sensiblement adapté aux nouveaux personnages.

Afin de comparer les découpages respectifs des deux histoires, une scène-clef est reproduite ci-après selon les 2 versions.

Ces premières publications ont un point commun : la science-fiction « avec vaisseaux spatiaux, planètes inconnues et extra-terrestres bizarres », connue encore sous le nom de space opera.

Nous sommes en 1974, le premier « Star Wars » n’arrivera sur nos écrans que 3 ans plus tard et le feuilleton « Star Trek », commencé en 1966 aux USA, ne passera sur les télés françaises et belges que dans les années 1980.

Si le sujet n’avait alors été qu’assez peu traité par le cinéma, la BD était largement en avance, vu que les effets spéciaux y sont nettement moins chers !

Dans les précurseurs, on pourra citer « Flash Gordon » (« Guy l’éclair » in french) qui démarra aux USA dès 1934 et ses homologues français « Les Pionniers de l’Espérance » de Raymond Poïvet et Roger Lécureux dans Vaillant en 1945.

Dans le journal Spirou, « L’Épervier bleu » de Sirius parcourt l’espace peu après, en 1951, avant d’être arrêté par la censure qui juge ses aventures peu crédibles. Il sera relayé en 1956 par le spationaute « Alain Cardan » de Gérald Forton et Yvan Delporte. Tintin, lui, posera ses pieds sur la lune en 1952, tandis qu’en 1953 apparaissent « Les Conquérants de l’espace » dans Météor, sous la forme de récits complets aux éditions Artima.

De manière générale, l’engouement de la population pour l’aventure spatiale est immense à l’époque. À l’approche des années 1970, le space opera va envahir le monde de la BD, à commencer par ses revues.

Ainsi « Valérian » de Jean-Claude Mézières et Pierre Christin se téléporte dans le journal Pilote en 1967, lequel poursuit au même moment les aventures du navigateur interstellaire solitaire Lone Sloane de Philippe Druillet, démarrées en album l’année précédente.

La même année dans le journal Tintin, « Luc Orient » d’Eddy Paape et Greg rencontre les extra-terrestres de la planète Terrango, rejoint en 1971 par « Bob Moon et Titania » de Marc Wasterlain et « Dani Futuro » de Carlos Gimenez et Víctor Mora.

Mais c’est début 1975 que la SF explose en France avec la naissance du mensuel Métal hurlant, fondé par Jean-Pierre Dionnet et qui verra la confirmation des talents de Moebius, Philippe Druillet, Richard Corben, Enki Bilal, Caza ou encore Paul Gillon.

Cependant, dans le journal Spirou on ne trouve aucune série spécialisée, juste certains épisodes des « Petits Hommes » (1967), de « Yoko Tsuno » (1971) et de « Khéna et le Scrameustache » (1972).

C’est pourquoi, lorsque Michel Pierret propose « Terran Stone », il permet à Spirou de combler un certain manque. Accessoirement, Thierry Martens, le rédacteur en chef de l’époque, était connu pour être amateur de SF (au point d’avoir écrit plusieurs romans sur ce thème sous le pseudonyme d’Yves Varende).

Dès la première histoire, on perçoit les multiples influences de l’auteur : il y a du Mézières (« Valérian » !), du Druillet, du Moebius, un peu de Malik ou d’Hermann…

Quatre scènes de « Terran Stone » rappelant les compositions complexes de Philippe Druillet, puis une de « Ceux du Khandôr » aux influences multiples.

Zoom sur la boucle de ceinture fantaisie de « Terran Stone » et hommage discret à Franquin dans « Ceux du Khandôr ».

On remarquera également que l’humour, très cher à l’auteur, n’apparaîtra pas tout de suite dans ses histoires, même si on sent que l’auteur est déjà heureux d’insérer quelques private-jokes.

Il faudra cependant attendre « Papilio » et la série burlesque « Max et Cati » pour que cette facette se développe réellement chez lui.

Zoom sur la boucle de ceinture fantaisie de « Terran Stone ».

Pour en revenir à « Terran Stone », après deux longues histoires en noir et blanc, notre humanoïde ne connaîtra plus que trois histoires complètes, une par an : « Les Seigneurs d’Amée » (1976), « La Planète des glaces » (1977) et « Le Masochiffre » (1978).

En revanche, grosse promotion pour ces trois épisodes : Michel Pierret aura droit à la couleur et aux pages intérieures du journal, signe de l’intérêt de la rédaction et des lecteurs de Spirou.

Fac-similé de la première planche couleur de « Terran Stone ».

Ce seront malheureusement les trois dernières apparitions de cette série qui se fait trop rare pour fidéliser le lecteur.

Les couvertures de Spirou dessinées par Michel Pierret.

Il faut dire que l’auteur lance en parallèle un second space opera, « Ceux du Khandôr », avec trois histoires courtes, toutes en 1977 : « Les Jumeaux d’Isadora », « Astéroïde 2024 » et « Requiem pour un soleil mort ».

Le Khandôr  est un vaisseau spatial à vocation de transport commercial. Au cours de ses contrats, l’équipage va d’une planète à une autre, confronté à de multiples péripéties.

Fac-similé de la première planche de « Ceux du Khandôr ».

L’origine de cette nouvelle série est pour le moins originale : elle est l’idée d’un avocat, Hervé Croze, qui avait contacté directement Thierry Martens pour lui proposer cette histoire.

Le scénario accepté, le rédacteur en chef propose alors le dessin à Michel Pierret, déjà étiqueté « spécialiste de la SF ».

Hervé Croze continuera par la suite à collaborer occasionnellement avec Spirou et Michel Pierret, les deux auteurs ayant sympathisé au cours de ce premier travail en commun. Ils réaliseront notamment ensemble quatre épisodes de « Papilio ».

Pour la petite histoire, « Ceux du Khandôr » fait inévitablement penser à « Star Trek », mais comme nous l’avons déjà évoqué, le feuilleton ne sera diffusé sur les télévisions françaises et belges que bien plus tard. De plus, Michel Pierret possède un alibi en béton, puisqu’il n’avait pas la télé à cette époque !

Une planche de « Ceux du Khandôr ».

Entre deux aventures de « Terran Stone », et de « Ceux du Khandôr », Michel Pierret trouvera encore le temps de produire trois nouvelles histoires courtes humoristiques de SF : « Le Jour de la révolte » (1975), « L’Ancêtre » (1976) et « Le Bouton rouge » (1977).

Comme les trois premières, ces nouvelles histoires sont reprises dans l’intégrale 2 de « Terran Stone ».

Pour être complet sur la période du journal Spirou, Michel Pierret a également dessiné deux histoires didactiques, sans doute alimentaires, sur des scénarii de Jean-Claude Pasquiez (de son vrai nom Claude Bolle), collaborateur du journal, entre 1956 et 1983, spécialisé dans les rédactionnels : « Dans l’univers, les soleils Vinéa se comptent par milliards… » (1976) et « Cher Vieux Phono…Rétro » (1977).

Au fil des mois, les héros de Michel Pierret sont adoptés par les lecteurs de Spirou. Dès 1976, « Terran Stone », figure au référendum du journal dans la catégorie « Découvertes Dupuis », où il se classe 2e derrière « Agnan Nian » de Blanchart et loin devant les autres.

En 1977, « Terran Stone » et « Ceux du Khandôr » figurent au figurent au référendum, mais cette fois comme séries à part entière, au milieu des autres personnages du journal. Les résultats ne seront pas publiés cette année-là.

Mais le destin des héros tient parfois à peu de choses. Si Thierry Martens, rédacteur en chef du journal Spirou depuis 1968 était un grand amateur de SF, celui-ci passe la main en 1978 à Alain De Kuyssche que le sujet passionne hélas beaucoup moins !

Se sentant peu soutenu dans son thème de prédilection, avec du coup peu d’espoir de voir ses planches sortir un jour en album et ainsi pérenniser ses séries, Michel Pierret va migrer au journal Tintin où il démarrera « Papilio » dès juin 1979.

Mais ceci est une autre histoire, qui vous sera racontée dans le dossier « Pierret : les années Tintin ».

Les intégrales de « Terran Stone » et de « Ceux du Khandôr » parues aux éditions Plotch Splaf ont été réalisées à partir de scans des histoires publiées dans le journal Spirou.

Afin d’obtenir le meilleur rendu possible, ces pages ont été retravaillées avec soin sous informatique.

Ci-après : Les trois principaux stades d’avancement de la restauration pour 2 demi-planches de « Terran Stone » et « Ceux du Khandôr ».

Concernant la réalisation des couvertures des 3 albums « années Spirou » de Michel Pierret aux éditions Plotch Splaf, le choix a été fait de partir de documents d’époque.

La plupart du temps, ce sont les couvertures des journaux qui sont les plus pertinentes. À défaut, une case de l’album est utilisée.

Une fois l’illustration choisie, la mise au propre peut alors commencer : nettoyage poussé des images, agrandissement éventuel, suppression des bulles et des textes, puis reprise des parties masquées, amélioration des décors, travail sur les couleurs si nécessaire…

En parallèle au travail d’illustration, un travail de recherche a été mené sur la typographie des logos de « Terran Stone » et de « Ceux du Khandôr ».

Afin d’homogénéiser la collection, il a d’abord été envisagé de reprendre la police des intégrales de « Papilio », mais celle-ci s’est malheureusement avérée illisible pour ces 2 nouvelles séries. D’autres typos ont donc été retenues.

Ci-après : La réalisation des couvertures des 3 albums « période Spirou » de Michel Pierret à 4 stades d’avancement ; on notera qu’une grosse faute d’orthographe a été évitée de justesse sur le titre de « Ceux du Khandôr » !

Michaël PALARD

Relecture et mise aux normes BDzoom.com : Gilles Ratier

Illustrations : Les extraits présentés sont © de leurs auteurs et de leurs éditeurs

Références et bibliographie

  1.  Interview « Nos Auteurs et les extra-terrestres » — Journal Tintin édition Française n° 379 de 1982 (édition belge n° 50)
  2. Interview « Pierret — Le Rêve est mon refuge » — Journal Tintin édition Française n° 472 de 1984 (édition belge n° 39)
  3. Interview « En compagnie de Michel Pierret – Comment ne pas aimer “Les Aigles décapitées” ? », entretien réalisé par Stéphane Jacquet sur le site non officiel d’Alix l’intrépide (2001-2008)  
  4. Journal Spirou période 1974-1982
  5. Journal Tintin période 1979-1988
  6. Journal Hello Bédé période 1989-1990
  7. Intégrales « Terran Stone », « Ceux du Khandôr » et « Papilio » aux éditions Plotch Splaf (2012-2015) — Éditions Plotch Splaf
  8. Site BDoubliées (bases de données) — bdoubliees.com
  9. Site BDgest » (bases de données) — bedetheque.com
  10. Site Le Journal de Tintin
  11. Site Tout Spirou

Dans le journal Spirou à l’époque de Michel Pierret.

Galerie

Une réponse à Michel Pierret : les années Spirou

  1. fabrice dit :

    Merci pour ce sujet qui me rappelle de lointains et heureux souvenirs car à l’époque où débuta Pierret j’étais abonné à Spirou. Il y avait un jeune dessinateur que j’aimais beaucoup aussi et , pour tout dire, que je préférais à Pierret: Jean-Luc Hiettre. Il n’a pas eu la carrière du premier mais peut-être aurat-il un jour une chronique sur bdzoom…

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