Dix ans après la parution de « Résurrection », la première partie d’un diptyque accouché dans la douleur, voici enfin « Révélations » : conclusion du dernier récit du regretté Philippe Tome, décédé alors qu’il travaillait sur les dernières pages de son scénario. Les éditions Dupuis proposent, enfin, l’intégralité de cette aventure magistralement dessinée par Dan Verlinden, digne successeur de ses deux prédécesseurs : Luc Warnant et Bruno Gazzotti.
Lire la suite...Spécial Western 2 : « Undertaker T1 : Le Mangeur d’or » par Ralph Meyer et Xavier Dorison
Un ciel plombé, une foule qui se recueille. Car le silence est d’or. Du moins habituellement : sauf que dans l’univers du Western, la simple évocation du métal aurifère a tôt fait de réveiller les morts… ou de les multiplier ! Dans « « Undertaker T1 : Le Mangeur d’or », signé par Xavier Dorison et Ralph Meyer, Jonas Crow est un antihéros peu commun : voici un croque-mort chargé de convoyer le corps du riche propriétaire d’une mine d’or… Non sans difficultés quand le corps du défunt s’avère être gorgé de précieuses pépites. Par le traitement graphique comme par l’ambiance, tout évoquera pour les lecteurs le mythique « Blueberry », au profit d’une série qui annonce déjà de nombreux épisodes…
Après un premier article consacré à l’album « Sans pardon », remontons donc en selle pour « Undertaker », album récemment mis à honneur au sein du magazine Casemate (n°77 de janvier-février 2015). Ce premier titre dévoile le personnage de Jonas Crow (qui a pour compagnon un autre sinistre oiseau dès le début de l’album, selon une certaine tradition du genre, reprise dès la couverture…), à la fois un as de la gâchette et un croque-mort itinérant, exerçant avec finesse un métier jugé plein d’avenir. Sur l’illustration du 1er plat, le lecteur est à la place du mort, gisant dans une tombe profonde et fraîchement creusée, face à la silhouette inquiétante et solitaire du fossoyeur. Entièrement de noir vêtu, portant ceinturons, armes et holsters, grand manteau et haut de forme, il s’apparente autant à l’employé des pompes funèbres qu’à ces autres figures légendaires du vieil ouest que sont le sheriff, le desperado et le chasseur de prime, liquidateur éventuellement payé pour faire place nette…
Sous le plein soleil, la scène macabre apparaît en contre-plongée dans ses contrastes et contre-jours les plus prononcés, selon une thématique et un cadrage qui pourront rappeler d’autres visuels (« W.E.S.T. T6 : Seth » en 2011, « D T1 : Lord Faureston » en 2009) : le visage de l’homme n’est pas visible, ce qui l’apparente à l’allégorie de la Mort. Oiseau de mauvais augure également rattaché – dans plusieurs mythologies primitives – aux symboliques de la vie éternelle, de la maternité et de la purification des âmes, le corbeau garde une relation perpétuelle avec le divin, auprès duquel il incarne (à l’instar du corbeau dans le folklore nordique) réflexion, mémoire ou sérénité. De fait, et au-delà des informations supplémentaires apportées par le titre (« Le Mangeur d’or »), rien ne dira explicitement en couverture si notre « Undertaker » fait partie des puissants ou des opprimés, s’il est du bon ou du mauvais côté de la justice des hommes ; Crow (le Corbeau) est néanmoins associé visuellement à sa redoutable carabine Henry à canon scié, rôle référentiel de certaines citations ironiques issues de la célèbre filmographie de Sergio Leone, le maître du genre : « Le monde se divise en deux catégories. Ceux qui ont un flingue et ceux qui creusent. Toi, tu creuses » (dans « Le Bon, la brute et le truand » en 1966, film où la quête avide de l’or s’achève de manière mémorable dans un cimetière) ou « À une époque où la vie d’un homme ne valait rien, sa mort en valait beaucoup », une réplique explicitant le rôle des chasseurs de prime dans « Et pour quelques dollars de plus » en 1965.
Jusqu’ici, donc, la figure habituelle du croque-mort se limitait dans le champ de la bande dessinée à un individu d’un âge assez avancé, au physique malingre et au visage terne : soit la représentation caricaturale notamment adoptée par Morris et Goscinny dans « Lucky Luke ». S’étant documentés pour créer un récit relativement crédible, sinon « réaliste », Xavier Dorison et Ralph Meyer dépoussièrent cette vision pour façonner leur personnage principal. Ainsi, il faudra rappeler s’il en était besoin que le Far West fut un cadre éminent propice aux décès rapides et brutaux : alors qu’au début du XIXe siècle, on ne connaît encore aucun moyen efficace de conserver les corps, beaucoup d’immigrés, pionniers, fermiers ou chercheurs d’or, enterrent encore après 1845 leurs proches à la va-vite afin d’éviter tout pourrissement ou contamination. L’épuisement, la maladie, le froid, la déshydratation, les animaux sauvages ou venimeux, les attaques et duels, les effets de l’alcool, les carences alimentaires, la fièvre de l’or : tout est source de grande mortalité, ce d’autant plus que les (bons) médecins sont rares et chers dans l’Ouest américain. Dans plupart des villes, il n’y a pas non plus de croque-mort, et le cimetière est un simple enclos situé à l’écart du hameau, où se côtoient stèles en pierre et croisillons de bois, sans noms ni dates de décès spécifiés. Dans les fermes plus isolées, c’est un carré de jardin qui sert de sépulture. La plupart des entreprises de pompes funèbres furent par conséquent des fabricants de meubles ou des médecins exerçant un double emploi. L’impact meurtrier de la Guerre de Sécession (620 000 tués entre 1861 et 1865 ; le coût moyen d’un embaumement est alors de 65 $ pour un officier (1200 $ actuels) et 25 $ pour un homme de troupe (environ 500 $ actuels)), les progrès chirurgicaux, la croissance des villes et la découverte en 1859 du formaldéhyde (plus connu sous le nom de formol) permettront enfin l’installation de véritables professionnels de la mise en bière, qui feront la promotion des produits plus raffinés (cercueil en plomb, catafalques, pierre tombale en marbre, etc.) auprès de leurs clients fortunés.
Rassurons nous, l’univers d’« Undertaker » est pour sa part bien loin d’être enterré 6 pieds sous terre : le prochain album, « La Danse des vautours » (qui clôturera ce premier récit en deux tomes), étant déjà annoncé pour la fin 2015.
Laissons le traditionnel mot de la fin (RIP !) à Raph Meyer, concernant la genèse de cette couverture :
Un croque-mort en guise de héros : pas de quoi refroidir les lecteurs férus du genre ?
Ralph Meyer : « Cela faisait des années que je me disais qu’en western, il y avait quelque chose à faire avec le personnage du croque-mort. Il n’a, à ma connaissance, jamais eu les faveurs du premier rôle et pourtant, du fait de la particularité de ce métier, je trouvais qu’il y avait là le potentiel pour faire un western, genre ô combien archi-codé, un peu décalé. Et puis, d’un point de vue purement graphique, le croque-mort a une identité très forte, très iconique, qui me plaisait particulièrement…
J’en ai donc parlé pour la première fois à Xavier en 2008. Il a été directement enthousiaste. Mais nous étions en train de travailler sur un « XIII Mystery », puis il y eut « Asgard »… Bref, il nous a fallu quelques années pour nous y mettre vraiment, mais cela ne nous a pas empêché d’en reparler régulièrement durant ces années. »
Comment a été conçue cette couverture quelque peu inquiétante ?
R. M. : « Concernant la couverture, je me mets toujours la même contrainte : donner le maximum d’informations avec le moins d’éléments possible. L’idée est d’avoir l’efficacité d’une affiche. Cela permet souvent d’avoir une image assez simple mais immédiatement lisible et graphiquement forte. Ici, les informations qui nous semblaient primordiales pour présenter cette nouvelle série étaient bien sûr de nous focaliser sur notre personnage principal (son métier, et le fait que cette ceinture avec ces flingues nous dit qu’il n’est pas que ça…) mais aussi sur le genre dans lequel il évolue. Ici, ce ciel jaune chaud ainsi que ce soleil aveuglant sont des éléments très liés au genre. Nous avions par exemple fait un essai avec un ciel bleu, le résultat était visuellement intéressant mais nos perdions cet aspect très western que le jaune nous offrait.
Le choix du cadrage (une idée de Xavier) fut cette vue subjective, comme si nous étions dans le trou. Cet angle ajoute à l’information visuelle qu’il s’agit d’un croque-mort et renforce l’aspect charismatique du personnage. Enfin, cette silhouette sombre qui se découpe sur ce fond jaune permet d’avoir un contraste fort… qui se repère de loin ! »
Philippe TOMBLAINE
« Undertaker T1 : Le Mangeur d’or » par Ralph Meyer et Xavier Dorison
Éditions Dargaud (13, 99 €) – ISBN : 978-2505061373