Encore des scénarios inconnus de Jean-Michel Charlier… (deuxième partie)

Alors que viennent juste de paraître les deux premiers tomes de l’intégrale « Tanguy et Laverdure » par Jean-Michel Charlier et Albert Uderzo aux éditions Dargaud (1) et que se prépare le lancement de la collection Jean-Michel Charlier présente chez Fordis — avec le premier tome des aventures moyenâgeuses de Thierry le chevalier dessiné par Carlos Laffond —, nous avons pensé que c’était l’occasion de faire un nouveau point sur les récentes découvertes des scénarios non signés que Jean-Michel Charlier a écrits, notamment pour la série didactique « L’Histoire vivante » dans le magazine féminin Bonnes Soirées, entre 1953 et 1956.

Dans la première partie de ce dossier (voir : Encore des scénarios inconnus de Jean-Michel Charlier… (première partie)), nous vous avons annoncé que, dans un dossier sur lequel était écrit au stylo « Biographies Bonnes Soirées » de la main propre de son père, Philippe Charlier a découvert les originaux de plusieurs scénarii destinés à la rubrique « L’Histoire vivante » de ce magazine pour dames au foyer : récits éducatifs de quatre planches dont la liste a été dressée dans le précédent « Coin du patrimoine ».

Or, dans ce classeur, il n’y avait aucune trace du scénario original d’« Hélène Boucher » (dessins de Victor Hubinon), courte bande dessinée dont la technique narrative est pourtant tout à fait représentative de celle de Charlier en ce domaine.

Cela voudrait-il dire que cette farde retrouvée récemment ne contiendrait que les scénarios prévus pour les biographies avec le texte sous les images et non les BD plus modernes comme cette « Hélène Boucher » ?

Cette explication pourrait tenir la route, car on ne trouve pas, non plus, certains scénarios de récits du même acabit en quatre pages avec phylactères qui portent, eux aussi, après une lecture attentive, la marque significative du style du scénariste de « Buck Danny » ou de « La Patrouille des Castors » :

Planche 3 d’« Hélène Boucher » (dessins de Victor Hubinon).

— « Le Destin tragique de Marie Stuart » (dessiné par Gérald Forton), publié au n° 1657 du 8 novembre 1953,

— « Charlotte et Maximilien » (dessiné par Pierre-Léon Dupuis), publié au n° 1660 du 29 novembre 1953,

— « Lucile Desmoulins » (dessiné par Gérald Forton), publié au n° 1661 du 6 décembre 1953,

— « Helen Keller » (dessiné par Gérald Forton), publié au n° 1664 du 27 décembre 1953,

— « L’Héroïne de Verchères » (dessiné par Fred Funcken alias Kendy), publié au n° 1661 du 6 décembre 1953 (2),

— « La Marchande de poupées » (dessiné par Gérald Forton), publié au n° 1667 du 17 janvier 1954,

— « Marie Laurent » (dessiné par Mader), publié au n° 1668 du 24 janvier 1954,

— « Aimée Du Buc » (dessiné par Gérald Forton), publié au n° 1675 du 14 mars 1954 (3),

— « Marie Blanchard » (dessiné par Fred Funcken alias Kendy), publié au n° 1676 du 21 mars 1954.

Ces présomptions pourraient être confirmées par le fait que, dans ce même classeur, une chemise à part contient ces mêmes récits découpés dans Bonnes Soirées, même si on y trouve, aussi, d’autres « Histoires vivantes » avec le texte sous images.

Voilà qui laisse donc encore des doutes quant à la possibilité de paternité de Charlier sur les scénarios de :

— « Florence Nightingale, la dame à la lampe » (dessiné par Gérald Forton), publié au n° 1658 du 15 novembre 1953,

— « Beethoven » (dessiné par Pierre-Léon Dupuis), publié au n° 1662 du 13 décembre 1953),

— « Le Plus Beau des contes de Noël : en ce temps-là… » (dessins non crédités), publié au n° 1663 du 28 février 1954,

— « Mozart » (dessiné par Fred Funcken alias Kendy), publié au n° 1673 du 20 décembre 1953 et dont le texte est crédité O. Joly en page 4,

— « Un grand musicien français Berlioz » (dessiné par Pierre-Léon Dupuis), publié au n° 1679 du 11 avril 1954,

— « De la musique et la nostalgie du ciel Franz Liszt » (dessiné par Fred Funcken alias Kendy), publié au n° 1681 du 25 avril 1954,

— « Rembrandt » (dessiné par Gal), publié au n° 1685 du 23 mai 1954,

— « La Compagne de l’Aigle » (dessiné Kendy), publié au n° 1687 du 6 juin 1954,

— « Marie de Bourgogne » (dessins non crédités), publié au n° 1708 du 31 octobre 1954.

Seulement voilà, à l’exception de « Florence Nightingale », « Beethoven » ou « Marie de Bourgogne », nous ne reconnaissons guère la façon d’écrire de Charlier sur ces différents textes sous images (dont l’un, « Mozart », est signé par Octave Joly) : d’ailleurs, cette impression peu encourageante est aussi celle du fin connaisseur de l’œuvre de Charlier qu’est Jean-Yves Brouard.

Rien ne semblant alors plus vraiment évident ou logique, on peut se demander ce qu’ils faisaient dans cette chemise et pourquoi Jean-Michel Charlier n’avait conservé que ces histoires-là et pas les nombreuses autres publiées à la même époque ? (4)

L’exhaustivité et la perfection n’étant pas de ce monde, dans l’état actuel des recherches, nous ne pouvons, hélas, guère vous en dire plus : attendons patiemment que Philippe Charlier ait, de nouveau, l’occasion de faire d’autres découvertes dans la cave où sont entreposées les imposantes archives de son père… (5)

Ce scan de la première page de « Marie de Bourgogne » a été effectué par Jean-Yves Brouard.

                                                                                                          Gilles RATIER

(1) Précédé d’un dossier documenté qui replace l’œuvre dans son contexte éditorial (coécrit par Patrick Gaumer et votre serviteur), le tome 1 de cette nouvelle intégrale propose la première longue aventure de Tanguy et Laverdure, partiellement recolorée pour l’occasion, parue dans Pilote du n° 1 (du 29 octobre 1959) au n° 67 (du 2 février 1961) et correspondant à deux ouvrages précédemment publiés chez Dargaud (« L’École des aigles » et « Pour l’honneur des cocardes » avec un long résumé et une fiche technique sur deux pages).

Ce premier volume est complété de nombreux documents inédits ou peu connus comme quelques pages des tapuscrits de Jean-Michel Charlier correspondant aux épisodes concernés, la demi-planche de « Banjo 3 ne répond plus » publiée dans Le Supplément illustré, quelques rédactionnels « Michel Tanguy vous présente » écrits par Jacques Gambu et publiés dans Pilote entre 1959 et 1964, ou des jeux avec Michel Tanguy (dont certains ont été réalisés par Jean-Michel Charlier lui-même) illustrés par Albert Uderzo, Eddy Paape alias Péli ou Jacques Devaux et publiés dans Pilote, entre 1962 et 1964.

Le deuxième tome, toujours doté d’un dossier de présentation aussi solide, reprend l’intégralité des trois épisodes suivants dessinés par Albert Uderzo : « Danger dans le ciel » (paru dans Pilote du n° 75 du 30 mars 1961 au n° 118 du 25 janvier 1962), « Escadrille des cigognes » (paru dans Pilote du n° 122 du 22 février 1962 au n° 171 du 31 janvier 1963) et « Mirage sur l’Orient » (paru dans Pilote du n° 175 du 28 février 1963 au n° 218 du 26 décembre 1963).

(2) Curieusement, « L’Héroïne de Verchères » est créditée « scénario de Joly », alors que le savoir-faire propre à Charlier, notamment au niveau du découpage parfaitement huilé et des dialogues vifs et nerveux, s’y décèle dès la première lecture. D’ailleurs, le spécialiste Jean-Yves Brouard (voir le site http://www.jmcharlier.com) nous a confirmé, lui aussi, qu’il y reconnaît bien ici la façon d’écrire de ce grand scénariste.

À la suite de la mise en ligne de la première partie de ce dossier patrimonial, ce dernier nous a cependant déclaré comprendre mieux pourquoi il a, parfois, du mal à savoir si un texte anonyme est de Charlier ou non : « Entre la version originale tapée à la machine ou écrite à la main d’une « Histoire vivante » et sa version imprimée, la rédaction de Bonnes Soirées a parfois coupé ou réduit des phrases… Peut-être pas partout, mais je si prends l’exemple du premier récit montré avec le tapuscrit du « Sanglant Destin d’Elisabeth Feodorovna » et la planche publiée dans l’hebdomadaire, ce n’est pas tout à fait pareil… Et du coup, la réécriture ou l’adaptation par la rédaction modifie le style habituel de Charlier, en en faisant un texte plus sec, moins onctueux, avec des tics d’écriture révélateurs en moins… »

(3) Ce qui nous fait dire qu’« Aimée Du Buc », étonnante histoire de jeune fille naufragée, vendue comme esclave et qui deviendra sultane, a pu être écrite par Charlier, c’est que, outre le fait qu’on y retrouve son style d’écriture, notre scénariste utilisera plus tard ce même thème pour concevoir les bases de « La Princesse captive » (un épisode de sa série « Belloy » dessinée par Albert Uderzo et publié dans Pistolin en 1956)

Un extrait de « La Princesse captive » où l'histoire d'Aimée Du Buc est retracée.

« La Captive des Mores ».

et de « La Captive des Mores » : l’une des palpitantes aventures de Barbe-Rouge illustrée par Victor Hubinon et parue dans Pilote en 1968.

Cependant, pour tempérer notre certitude, sachez qu’il existe une autre version d’« Aimée Du Buc » en bandes dessinées, une nouvelle fois mise en images par Gérald Forton (mais non créditée pour le scénario), pour l’une des « Belles Histoires de l’Oncle Paul » dans Spirou.

Elle est étalée anormalement sur onze planches dans deux numéros (les n° 1076 du 27 novembre et n° 1077 du 4 décembre 1958), alors qu’un « Oncle Paul » classique ne comptait que quatre planches.

Or, à cette époque, cela faisait bien longtemps que Charlier n’écrivait plus de scénarios pour les « Oncle Paul » : c’était Octave Joly qui y était préposé chaque semaine. D’ailleurs, autant le découpage de « L’Histoire vivante » de Bonnes Soirées fait penser à Charlier, autant celui de ce double « Oncle Paul », beaucoup moins percutant, nous a paru ressembler à la technique bien rodée du plus didactique Octave Joly : encore une énigme charlieresque qui reste à résoudre…

(4) C’est certainement parce qu’il commençait à être débordé par ses nombreuses activités (il exerce alors aussi le poste d’une sorte de directeur littéraire au sein de la World’s Press) que Charlier abandonne l’écriture de ces récits authentiques : les « Oncle Paul » dans Spirou et « L’Histoire vivante » dans Bonnes Soirées.

Il aimait beaucoup ce genre d’exercice, puisqu’il écrira bien d’autres histoires vraies dans Pistolin, Jeannot, puis Pilote, après son départ de la World’s et tous ces courts récits lui serviront, par la suite, de base ou de point de départ pour divers épisodes de ses séries de fiction comme « Belloy », « Thierry le chevalier », « Marc Dacier », « Barbe-Rouge » ou même « Blueberry ».

Cependant, une lettre datée du 24 mars 1954 à l’en-tête de la maison d’édition Dupuis et qui lui était directement adressée a pu le décider à en abandonner la réalisation plus vite que prévu.

En effet, cette missive revenait sur les difficultés qu’avaient alors les Dupuis avec la Commission française de la censure et ordonnait au scénariste de soumettre désormais à l’éditeur, systématiquement, la liste des biographies à traiter pour Spirou et Bonnes Soirées, avec quatre lignes de textes de résumé pour chacune, pour appréciation.

Ce surcroît de travail demandé n’a guère dû l’inciter à continuer, car, comme par hasard, c’est peu de temps après qu’il en abandonne l’écriture.

(5) Outre les articles déjà signalés au sein de ces deux « Coins du patrimoine », le site Bdzoom.com a consacré bien d’autres chroniques à Jean-Michel Charlier qui ne sont guère avares en révélations en tout genre sur l’immense production de ce fabuleux scénariste, à l’instar de À propos de Jean-Michel Charlier, « Buck Danny » et la World’s Presse ou L’exposition « Jean-Michel Charlier vous raconte… », au nouveau Musée des beaux-arts de Chambéry, remporte un grand succès !.

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9 réponses à Encore des scénarios inconnus de Jean-Michel Charlier… (deuxième partie)

  1. Bertrand Pissavy-Yvernault dit :

    Bravo pour les recherches… ET les découvertes qui vont avec ! Je suis admiratif…

  2. Francois Pincemi dit :

    Effectivement,un beau travail de recherche. Mais au fait qui étaient les dessinateurs des couvertures glamour de Bonnes soirées? Le style me rappelle celui de Molino dans les années quarante-cinquante. Pas vous?

    • Gilles Ratier dit :

      Bonjour monsieur Pincemi !
      Quand j’ai trouvé le nom de l’illustrateur, je l’ai mentionné (Morris, par exemple), mais la plupart du temps, les couvertures de Bonnes Soirées ne sont pas signées et ce sont, certainement, des reprises de journaux féminins étrangers (hollandais, italiens…).
      Mais peut-être que nos lecteurs en savent plus que moi…
      Bien cordialement
      Gilles Ratier

      • Patrick Gaumer dit :

        Bonjour,

        Un certain nombre de ces couvertures proviennent du « fonds Vebell », un illustrateur inspiré — un peu — par Norman Rockwell. Georges Troisfontaines, dont on connaît le redoutable sens du commerce, avait négocié aux États-Unis, un lot périmé d’images réalistes réalisées notamment par cet illustrateur. Outre les couvertures de « Bonnes Soirées », ces dessins servaient parfois de base à des intrigues policières écrites ainsi « à rebours » par André-Paul Duchâteau, René Goscinny ou Xavier Snoeck.

        Bien à vous,

        Patrick Gaumer

  3. Renaud045 dit :

    C’est dingue ! Il passait 24/24 sur sa machine a écrire !!

  4. Kroustilyion dit :

    Et quand vont-ils se décider à éditer les 200 planches restantes de Pistolin, magnifiques dessins de Vic Hubinon ? Et de ne pas oublier, en supplément : les planches de la petite histoire « le cheval de Jeannot ». Pour que ceux qui n’ont pas la chance d’avoir les fascicules originaux puissent profiter de ceux qui les ont, sinon, ça ne sert à rien de dessiner des histoires, si c’est pour garder pour soi, égoïstement…

  5. De la Royère dit :

    Je remarque que « Un grand musicien français : Berlioz » a été attribué à André-Paul Duchâteau par Patrick Gaumer dans sa bibliographie détaillée de Duchâteau. Donc on lui doit peut-être aussi les récits dont tu ne reconnais pas le style de Charlier…

    • Gilles Ratier dit :

      Oui, Jean-Claude, merci, je l’avais aussi noté.
      Le problème, c’est que Duchâteau n’est pas le seul à avoir écrit des « Histoires vivantes » pour Bonnes Soirées : outre Charlier, il y a eu aussi Octave Joly, Liliane Funcken, et certainement d’autres… Et rares sont celles qui sont signées ou créditées…
      La bise et l’amitié
      Gilles

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