Apparue pour la première fois dans le mensuel Tchô ! en 2003, Lou est devenue un best-seller de l’édition, avec plus de trois millions d’albums vendus, une série d’animation, un long métrage, des traductions dans le monde entier… Un tel succès méritait bien cet ouvrage anniversaire, qui nous propose — en plus de 300 pages — de revenir sur l’histoire de l’héroïne qui a grandi avec ses lecteurs. Tout en ouvrant généreusement ses carnets de croquis, Julien Neel évoque — au cours d’un long entretien — son propre destin, lié depuis 20 ans à celui de la petite fille blonde devenue grande.
Lire la suite...Spécial Western 1 : « Sans pardon » par Hermann et Yves H.
L’actualité bédéphile, en ce début d’année 2015, s’ouvre de manière panoramique sur les grands espaces américains du Far West ! Plusieurs titres (publiés au Lombard, chez Dargaud et Rue de Sèvres) nous permettront ainsi, au sein de cette rubrique, d’évoquer les thèmes conflictuels du western, entre visuels de couvertures, affiches, films et personnages mythiques de la conquête de l’Ouest. Cette dernière débute aux éditions du Lombard (collection Signé) avec « Sans pardon », one shot réalisé par Hermann et Yves H., prépublié récemment dans L’Immanquable. Au Wyoming, menés par un marshall impitoyable, des chasseurs de prime retrouvent enfin Carter, le bandit le plus recherché du pays. Ils ne s’attendent toutefois pas à le voir sacrifier sa propre famille ; ni, dix ans plus tard, à reprendre la traque contre Carter et son fils Jeb, devenu à son tour un hors-la-loi sans pitié…
Après la série « Comanche » (10 albums scénarisés par Greg entre 1972 et 1981 aux éditions du Lombard) et l’album « On a tué Wild Bill » (Dupuis, 1999), tous les bédéphiles attendaient de pied ferme une nouvelle aventure westernienne digne d’Hermann, qui fait par ailleurs l’actualité à Versailles (exposition rétrospective, jusqu’au 22 février 2015) : « Sans pardon », par son extrême violence et le paradoxal huis clos offert par l’intrigue, pourra indéniablement dérouter, mais il faut assurément prendre en compte l’évolution de l’œuvre d’Hermann. Celle-ci, très marquée par l’ombre du genre (les ingrédients du western forment l’univers post-apocalyptique de « Jeremiah »), évoque assez souvent la transition d’une époque ou d’un régime à une autre : entre frontière et modernité, l’âme humaine se meut entre héroïsmes et bassesses, légendes et réalités. En ce sens, « Sans pardon » – comme son titre l’indique – est un récit nihiliste aux tonalités âpres, qui pourra renvoyer ses lecteurs à l’univers destructeur de « La Horde sauvage » (Sam Peckinpah, 1969), autant qu’aux films cyniques de Don Siegel (« Une Poignée de plombs » en 1969 ou « Les Proies » en 1971).
Sans être strictement taxé de crépusculaire (au même titre que « L’Homme des hautes plaines « (1973), « Josey Wales hors-la-loi » (1976) et « Impitoyable » (1992), trois films de et avec Clint Eastwood), « Sans pardon » s’en rapproche fortement : le manichéisme du western hollywoodien, ainsi disparu, a cédé la place à des protagonistes tous aussi mauvais et ambivalents les uns que les autres. Antihéros assumé, Carter semblera errer au gré des évènements dans un monde où il ne trouve plus sa place, où la brutalité – voire la mort – est sa seule issue plausible. Voyons dans ce canevas la patte d’Yves H., fils d’Hermann pour lequel il a déjà réalisé plus d’une douzaine de scénarii, et dont nous retrouvons le thème de la descente sauvage aux enfers des personnages (lire par exemple les récents « Une Nuit de pleine lune » en 2011, « Station 16 » en 2014, ou encore la plus lointaine « Trilogie USA » en 2000, où étaient fortement évoqués les liens père-fils).
En couverture, « Sans pardon » illustre sa trame par le biais d’une sombre composition : sous un ciel bas et plombé annonçant de sombres menaces, un cavalier solitaire s’est arrêté, jetant un œil en direction de ses lointains poursuivants. Sur l’horizon, en effet, plusieurs cavaliers semblent être lancés au galop dans sa direction, tandis que l’arme tenue en main par le cow-boy au premier plan ne laisse que peu de marge d’erreur interprétative. Seul contre tous, notre « héros solitaire » – dont les fontes semblent bien remplies – renverra inconscient plus à l’image du hors-la-loi que du preux justicier ; une seconde lecture confirmera en quelque sorte ce sentiment par l’absence du détail attendu : le visage retourné, le personnage masque son identité, et il ne porte pas l’insigne (étoile de shérif) ou l’uniforme d’un représentant de la loi ou de l’ordre. On pourra lire ce visuel comme un négatif de la traditionnelle chevauchée fantastique mettant en scène une course-poursuite dans le décor spectaculaire de Monument Valley : à l’inverse des premiers couvertures de « Blueberry », des « Tuniques Bleues » ou du Masked Rider Western (magazine pulp né en 1934), le décor est plat et vide, le cavalier à l’arrêt et l’ennemi renvoyé à un monde tempétueux, né poussière et destiné fatalement à le redevenir.
Au sol, à moitié enfoui dans le sable, un étrange bâton de bois sculpté renvoie à son tour à la thématique païenne et religieuse : seul élément naturel entre espaces noir (ciel) et blanc (sol), ce bâton relie l’humanité à son aspect sauvage (le cow-boy et sa monture) dans ce monde tour à tour immense (le grand espace en retrait) et clos (la bordure de couverture) qui suggère aussi la fin prochaine – potentiellement brutale – du parcours des protagonistes. Devenu reptilien (serpent) par sa forme et sa position, le bâton tombé ou abandonné incarne les vices et recherches mystiques du personnage, lancé et stoppé entre passé, présent et destinée : « Sans pardon » ni « Rédemption » (selon le 1er titre choisi pour cet album), l’illustration laisse deviner que le personnage mystérieux ne gagnera pas son salut, demeurant prisonnier du mal et du péché, mais sachant peut-être imprimer sa marque entre légendes et réalités de l’Ouest du 19e siècle finissant.
Clôturons cette analyse avec quelques mots amicaux d’Yves H. :
La genèse de cette couverture n’a pas été si simple !
Yves H. : « Il existe effectivement trois couvertures : ce récit s’intitulait à l’origine « Rédemption », mais un autre album, paru récemment aux éditions Soleil, portait le même titre. Le Lombard, afin d’éviter la confusion, nous a pressés de trouver un autre titre. Il existe aussi une couverture de l’édition hollandaise du tirage de tête, sachant que l’éditeur hésitait fortement entre cette illustration et la case agrandie de la planche 5… telle qu’elle a été utilisée pour le tirage spécial de l’expo de Versailles. »
De nombreux projets de couvertures ?
Yves H. : « Non : il y a souvent peu de roughs et encore moins de projets de couverture rejetés pour la simple raison que mon père n’en produit guère. Une fois qu’il a dans la tête un projet de couverture, il en fait une esquisse très sommaire sur un brouillon puis passe immédiatement à sa réalisation. C’est rapide, efficace, ça plaît aux éditeurs, beaucoup moins aux collectionneurs. »
Comment est finalement né le projet scénaristique westernien de cet album ?
Yves H : « Nous nous étions mis d’accord sur le thème du western. Ensuite, comme je sortais de la lecture de « La Route » de Cormac McCarthy, j’ai opté sans lui en parler (à mon père, pas à Cormac McCarthy !) mais avec la certitude de son consentement pour un récit âpre et très violent. J’ai situé l’histoire au Wyoming par pure facétie (« Comanche » s’y déroule ainsi qu’une partie du seul western qu’il a dessiné depuis l’arrêt de sa collaboration avec Greg, à savoir « On a tué Wild Bill »). J’y ai découvert un décor très différent de celui qu’on retrouve dans « Comanche », ce qui m’a convaincu que mon choix était le bon. Quant aux rapports père fils qui sous-tendent le récit, ils sont davantage nourris par mon statut de père de deux enfants que des relations que j’entretiens avec mon père (et qui avaient jadis servi de base à un autre album, « Liens de sang »). Concernant la genèse de la couverture, je suis évidemment moins bien placé pour vous en parler. Tout ce que je sais, c’est que mon père voulait une couverture qui interroge : d’où la raison de ce personnage principal tourné vers une menace sourde et lointaine mais rendue réelle par le nuage de poussière qu’elle soulève au fond de l’image. »
Philippe TOMBLAINE
« Sans pardon » par Hermann et Yves H.
Éditions Le Lombard (14, 45 €) – ISBN : 978-2803634958