N’hésitez pas à revenir régulièrement sur cet article, puisque nous l’alimenterons, jour après jour, avec tout que nous envoient nos amis dessinateurs, scénaristes, coloristes, libraires, organisateurs de festivals et éditeurs pour vous souhaiter de joyeuses fêtes : et ceci jusqu’à la fin du mois de janvier 2024 !
Lire la suite...Aaarg ! : entretien avec Pierrick Starsky…
L’accroche publicitaire au dos du n° 5 de la revue Aaarg ! annonçant la venue du suivant, numéro anniversaire, nous incitait au choix suivant : « Achetez-le ou allez vous faire foutre ! ». Notons au passage que lorsqu’une chose est demandée gentiment, il est plus difficile de refuser. Il est aussi possible de n’avoir personne sous la main pour pratiquer la seconde proposition. Dans ce cas, histoire d’occuper sainement votre solitude, achetez quand même Aaarg ! n° 6 et surtout lisez-le, car ce gros pépère de 274 pages vous ravira si vous êtes avide de « bande dessinée et de culture à la masse ».
Coté bande dessinée, près d’une trentaine d’auteurs ont répondu présent (désolé de ne pas les citer, mais cela ferait une énumération trop longue) avec toujours les thématiques SF, polar, horreur, sexe, mauvais goût (pour ceux qui sont sur d’en avoir un bon) et connerie, si bien défendue pat B-Gnet dans son abécédaire paru dans Aaarg ! n° 5.
Coté culture à la masse de ce sixième numéro, vous trouverez un portrait du dessinateur et jongleur animalier Emmanuel Reuzé, un entretien avec le génialissime Ron Cobb, une rencontre avec le groupe de rock Diego Pallavas avec un CD best of inclus dans le magazine (il ne faut pas oublier l’aspect cadeau de l’anniversaire) et toujours des nouvelles.
Dans la continuité de ses cinq frangins, ce sixième numéro de Aaarg ! rajoute, dans nos yeux jaunes, de nouvelles étoiles aux 10 000 000 déjà imprimées sur nos rétines et nous amène à nous demander si nous n’avons pas là le Métal hurlant de ce nouveau millénaire.
Un mois après et trois week-ends de fête d’anniversaire, ce n’est pas trop dur de remettre pied sur terre ?
Si. On a toujours la tête dans les nuages. Heureusement ! Même si on en chie quand même, puisqu’on fait tout nous-mêmes. Le prix de l’indépendance. Quoi qu’il en soit, ce festival a été très vivant, on est ravis. On est masos, épuisés, mais ravis.
Des auteurs des quatre coins de France sont venus exposer, faire la fête, signer des Aaarg !… On a sorti deux nouvelles bandes dessinées dans la foulée (« Le Pigeon de la onzième heure » de Nicolas Poupon et « Rustin » de Witko), on a rencontré des gens chouettes et on a fait tout ça à la maison, à Marseille.
Je commence personnellement à reprendre du poil de la bête après un bon passage à vide.
Faut dire qu’on n’arrête pas, on ne prend pas de vacances, et on vient de se taper un numéro spécial de 100 pages de plus, ainsi que ces trois semaines de festoche…
Avant ça on a fait le festival d’Avignon pour l’adaptation de « Joblard » (le roman de Jean-Marc Royon que nous avons sorti). Bref, on est sur les rotules. Voilà, on garde les rotules sur terre. La vie est belle.
Quel fut votre parcours ? Vous êtes l’un des fondateurs des éditions Même pas mal.
J’ai commencé par le fanzinat, dès le collège. Puis, au lycée, j’ai monté mon premier groupe punk, j’ai commencé à organiser des concerts, à militer un peu. Le credo, c’était « Do it Yourself ». On n’est jamais aussi bien servi que par soi-même. Et j’ai toujours eu envie de « participer » aux aventures des gens qui me font vibrer, autant que de créer mes aventures personnelles.
L’idée de créer des passerelles, des réseaux, elle a toujours été intrinsèque à ma façon de faire, sans trop y avoir réfléchi. C’est quelque chose d’instinctif. Faire des trucs, j’appelle ça. Que ce soit seul, en collectif, pour les autres, j’aime « faire des trucs ». Je sais, c’est un peu opaque, dit comme ça, mais bon…
J’ai toujours écrit, c’est très solitaire, et j’ai toujours eu envie de mettre en avant les boulots des autres ou de faire des projets à plusieurs, croiser les idées. Je me nourris des autres et j’aime les nourrir.
J’ai démissionné le matin du bac en me disant que j’allais vivre d’amour et d’eau fraîche et je suis tombé dans le broyeur avilissant de la vie d’ouvrier précaire. Je me suis presque mis à vivre de haine et de bière tiède, j’ai failli en perdre la passion. Parce que c’est ça le moteur, dès gamin : la passion.
Mon parcours commence réellement à la lecture de mon premier livre et à la découverte du cinéma, mais on ne va pas écrire un biopic, hein… Ce qui m’a sauvé, c’est cette envie permanente de « faire des trucs ». Donc je bosse dans une usine de boîtes pour chiens et je monte un autre groupe qui tourne pas mal, je fais de la radio, tout ça.
À un moment donné, j’ai jeté un regard rétrospectif sur ma vie de jeune adulte, et j’ai bien vu que ça clochait. Je perdais foi, la passion s’étiolait.
J’ai arrêté les boulots avilissants et me suis lancé à 100 % dans des choses qui me faisaient vibrer. Je n’aurais pas pu faire tout ça si je n’avais pas tâtonné, appris à me planter. Faire, c’est prendre des risques, c’est rater des choses, mais c’est aussi apprendre.
Donc c’est vers… 2007, 2008, que j’ai commencé à me lancer dans le grand bain. Avec Chloé, ma compagne de l’époque, on a enregistré un opéra punk, on faisait des ateliers puis on a monté Même pas mal avec d’autres gens cool.
On a beaucoup beaucoup bossé pour apprendre le métier d’éditeur. Je mûrissais Aaarg ! à ce moment-là, déjà. Y a même eu un « faux départ ». Durant cinq années, j’ai gardé ce truc dans un coin de ma tête. Une revue qui mélange les genres, qui casse les murs…
À un moment donné, il faut du mouvement. J’adore monter des projets, créer des choses en collectif, mais je finis toujours par m’ennuyer, par voir mon plaisir s’effriter au quotidien. Par étouffer. Puis quand un projet vit déjà, avec du monde pour le faire tourner, autant aller en monter un autre. Les projets s’emboîtent entre eux et forment un tout cohérent, à mes yeux. Avant, je ne savais pas déléguer, c’est quelque chose que j’ai largement appris à faire avec le temps.
Donc, Même pas mal étant entre de bonnes mains, je m’en suis barré avec mon Aaarg ! dans la tête, et j’ai commencé à élaborer le projet. Il ne cessait de changer de forme dans ma tête, il était en mutation constante. Pourtant, certaines idées restaient, les fondations se consolidaient. C’est étrange, cette période durant laquelle on mûrit un projet. C’est comme une histoire d’amour. On vit avec le projet, le jour, la nuit, il grandit, on le voit en trois dimensions. C’est vaseux pour les gens autour, mais à l’intérieur, c’est presque palpable, même si on ignore la tournure que vont prendre les choses. Dans les bistrots, j’en causais avec les gens, au bout d’un moment, je voyais de l’incrédulité dans leurs hochements de tête. Genre « le mec y cause, mais on voit toujours rien »…
La période d’improductivité matérielle est étrange. On chiffre, on construit, on démonte… Mais on a l’idée de ce qu’on veut, même si on peine à déterminer comment on va le faire. J’avais aussi une idée très claire des gens avec qui je voulais faire ça. Les auteur.e.s, le staff éditorial… Il ne nous manquait que du pognon. C’est ce qui nous manque toujours, d’ailleurs. Enfin, on a fait des crédits, on a levé un peu de subventions, et un an et demi après mon départ de Même pas mal, le n° 1 sortait.
Comment choisissez-vous les auteurs ? Vous avez un comité de sélection, vous suivez la production de fanzines, les blogs ?
Et bien, à la base, j’avais donc ce cheptel d’auteur.e.s dans la tête, dont la plupart, si c’est n’est tou.te.s, sont des ami.e.s ; au pire de bon.ne.s collaborateur.rice.s. Ce sont en général les « habitué.e.s » de la revue.
Très très vite, on s’est mis à recevoir des propositions par dizaines, puis par centaines. Vraiment de tout. Les refusés de Fluide glacial, des gens qui envoient au tout-venant, sans visiblement connaître le contenu de la revue, des propositions bien fagotées, mais pas faites pour nous.
Et dans le lot, quelques auteur.e.s à qui on dit oui. 1 % peut-être. On met du temps à répondre, avec cent propositions par semaine et 1 000 autres choses à gérer, ce n’est pas simple.
Il nous est arrivé de tomber plus ou moins par hasard sur le boulot de quelqu’un qu’on a ensuite contacté, mais c’est rare. On ne prospecte pas des masses, on n’a pas le temps.
On a un petit comité éditorial, on en discute, même si la décision finale me revient. Cela dit, je ne fais quasiment jamais passer quelque chose de force, d’une, et j’élague 90 % des mails au préalable.
Un message aux gens qui veulent bosser pour Aaarg ! : cessez d’envoyer des liens de blogs, on « ne cherche pas » d’auteur.e.s. En revanche, on lit tous les projets construits et avancés.
Vous publiez des nouvelles dans chaque revue et dans le n° 4 vous avez proposé une émouvante enquête sur les traces de Raymond Carver. Ouvrir une revue de bande dessinée à la littérature était naturel pour vous ?
On aime le livre, que ce soit la bande dessinée ou la littérature. Pourquoi dissocier les deux quand on aime lire ? On cause aussi un peu de cinéma, de musique. Je le répète, on fait cette revue pour les passionné.e.s. Et passionné.e.s, on l’est toutes et tous potentiellement.
Briser les clivages, c’est ce qui nous importe. Qu’on puisse lire, frémir, pleurer, réfléchir dans une même revue. Nous voulons de la diversité tant dans le fond que dans la forme. L’imaginaire, l’esprit, ça s’éveille de multiples façons, ça peut s’ouvrir avec plusieurs portes. Nous on est là pour y laisser rentrer la lumière. À coup de masse si nécessaire.
Dans l’édito du n° 6, vous faites un bilan chiffré de votre première année d’existence. Deux chiffres sont intéressants à souligner, les 122 auteurs ayant participé à la revue pour une rémunération de 106 000 euros de droits de publication. Il est important pour vous de signaler cet état de fait à votre lectorat ?
On met en avant cette chose : Aaarg ! est une maison d’édition indépendante qui s’est montée sur cette base une réflexion, comment payer les auteur.e.s en tant que petite structure ?
Nous sommes des éditeurs pauvres qui bossent avec des auteur.e.s pauvres, sans vouloir faire de misérabilisme, hein. On est sympa et talentueux, ça vaut toutes les richesses.
Bon, donc… Comment pouvoir faire bouffer tout le monde, même un peu, en partant de rien, tout en créant quelque chose d’innovant, tout en laissant une large marge de manœuvre aux auteur.e.s.
À ce titre, même si nous sommes extrêmement fragiles, le pari est réussi. Il faut le faire durer. Pour certain.e.s auteur.e.s de passage, on paye juste le gruyère à foutre dans les spaghettis. Il y en a d’autres pour qui on est la principale source de revenus. De notre côté, on a créé deux postes salariés sur quatre personnes à bosser presque à plein temps sur la revue (seul Yann, le maquettiste/graphiste, se partage entre Même pas mal et nous). D’un autre côté, on manque de moyens, donc de ressources humaines pour faire tourner ce projet. Il faudrait qu’on soit le double de gens à faire tourner la revue pour être à l’aise.
Heureusement, on travaille avec des auteur.e.s très pros et on est contents de notre premier bilan. On est le plus transparent possible avec les lecteurs et les lectrices, parce que c’est eux/elles qui nous permettent d’exister. Je pense que nous sommes soutenus pour la qualité de la revue, mais que la démarche qui la meut ne laisse pas les lecteurs.trices indifférent.e.s. Aaarg ! n’a pas d’actionnaires à qui rendre des comptes, mais on tient à raconter à nos lecteurs.trices ce qu’il se passe. Je pense que quelqu’un qui s’abonne pour son plaisir aime savoir où va son argent aussi.
Et pour finir quelques souhaits pour le futur d’Aaarg !?
Riff Reb’s : Je croise, aussi bien en librairie qu’en festival lors de séances de dédicaces, de plus en plus d’amateurs enthousiastes de Aaarg !. Il semble que cette revue répond à une profonde demande d’une bande dessinée différente du mainstream. Je souhaite donc que Pierrick et ses amis gardent leur ligne éditoriale indépendante et que les auteurs de cette revue se défoncent pour accéder au plus grand lectorat possible.
Il fallait Aaarg !, il faut Aaarg ! et il faudra Aaarg ! !!!!!
Aurélien Ducoudray : En 1977, les Américains lancent en direction de Jupiter les sondes voyager 1 et 2 contenant 110 heures d’images et 1 h 30 d’enregistrement. S’ils en lancent une troisième, je pense qu’un numéro de Aaarg ! aurait sa place en pdf !!!
Dav Guedin : Je ne peux que souhaiter à Aaarg ! une longue vie. Personnellement, j’aime avoir des échéances et un résultat rapide. Ça change des projets longs et fastidieux, on s’essouffle par moments. Alors Aaarg !, pour moi, a été une petite respiration au milieu de tout ça. On voit un projet se construire au fur et à mesure, on a un retour de suite et du coup toujours une actualité.
De manière générale, je trouve que Aaarg ! commence à se démarquer, il a déjà une identité, mais elle se peaufine avec le temps. Je lui souhaite de trouver ses marques pour de bon et de devenir incontrôlable. Rien que ça !
Emmanuel Reuzé : Pierrick Starsky accédera à la notoriété interplanétaire en devenant mannequin pour Christian Dior, puis fera don de sa fortune aux enfants du tiers-monde. Léa Guidi-Guidi abandonnera le monde de l’édition pour réaliser une brillante carrière de pilote de Formule 1 et sera consacrée meilleure pilote de monde et de tous les temps. Kax, grâce à une machine bizarre de son invention, obtiendra le Prix Nobel de la Paix et trouvera l’amour dans les longs bras blancs d’Ophélie Winter.
B-gnet : Je souhaite que Aaarg !soit encore plus volumineux, afin qu’on soit obligé de nous l’apporter en semi-remorque.
Pixel Vengeur : « Long life rock’n’roll » avec toujours plus d’abonnés… Et plus vite que ça, car j’ai la main lourde !
Pierre Place : Je souhaite tout le bonheur possible à Aaarg !, qu’ils vendent 50 000 exemplaires par numéros, qu’ils fassent des livres magnifiques, enfin que ça continue sur cette lancée quoi…
Guillaume Bouzard : Vous savez, je n’ai pas vraiment participé à Aaarg !, hormis une page d’abonnement.
Que peut-on souhaiter à un magazine ? Bah que ça dure, pardi !
Brigh BARBER
Mise en pages : Gilles RATIER
Toutes les images sont © Aaarg !, sauf la photo d’autopsie qui est © Chloé Vollmer-Lo.