Spécial Neil Gaiman

Très belle actualité française pour Neil Gaiman cette semaine avec deux événements à ne pas louper : la sortie de son dernier roman « L’Océan au bout du chemin » chez Au Diable Vauvert et sa venue à Paris en compagnie de son acolyte de toujours, Dave McKean, pour une exposition de leur dernière collaboration à la Galerie Martel… avec même une séance de dédicace ce samedi après-midi !

« L’Océan au bout du chemin » par Neil Gaiman

Depuis « Anansi Boys », paru en 2005, Neil Gaiman n’avait pas réécrit de roman, d’où le caractère événementiel de ce nouvel ouvrage aux yeux de ses fans. Et si vous aimez Gaiman, vous ne serez pas déçus, car il y a dans ce nouveau roman tout ce qu’on aime chez lui : à la fois cru et poétique, lucide et fantasque, sensible et imaginatif, « L’Océan au bout du chemin » est un retour magnifique à l’écriture où la campagne anglaise cache en son sein de sombres mystères, récit traversé par des figures enfantines, féeriques, démoniaques et… où les chats sont présents, bien sûr ! Avec le temps – mais peut-être n’est-ce aussi qu’un cas inhérent à cette œuvre, nous ne le saurons qu’en lisant ses prochains romans – l’écriture de Gaiman s’est épurée, moins fleurie que dans nombre de ses écrits antérieurs, mais n’ayant pas perdu pour autant sa puissance d’évocation si particulière ni sa richesse atmosphérique. Pas étonnant que ce livre ait reçu les prix du Book of the Year et le Locus Award for Best Fantasy Novel, donc… et c’est vraiment mérité, car « L’Océan au bout du chemin » est l’un des plus beaux livres de Gaiman, engendrant des sensations et des émotions qui résonnent en soi avec une incroyable justesse. En effet, peu d’écrivains ont su explorer et exprimer avec autant d’acuité ce que l’on peut ressentir en étant enfant, sans plaquer sa vision d’adulte sur cet univers très spécifique de notre passé, sans procédé narratif qui ne serait qu’un truchement archétypal faussant la réalité de cet âge de la vie. Non, ici, nous suivons les pensées, faits et gestes de ce petit garçon vus de l’intérieur, et on y croit, tout sonne juste, vrai, de manière assez confondante…

« L’Océan au bout du chemin », récit autofictionnel ? Le prénom du protagoniste principal, un petit garçon de sept ans, n’est jamais mentionné. Peut-être y a-t-il là une double volonté de Gaiman, permettant au lecteur de pouvoir s’identifier plus directement au héros, et permettant à l’auteur de parler de lui-même, de son enfance, sans que cela soit non plus une autobiographie cachée, laissant plutôt son imagination prendre le pas sur le témoignage afin d’explorer ce qui pétrit chaque enfant dans son apprentissage du monde, sa vision de ce qui l’entoure, et son monde intérieur peuplé de créatures imaginaires tout droit sorties des contes et autres comptines pour enfants. Un âge où le rêve et la réalité s’entremêlent parfois, constituant une part de la personnalité de cet adulte en devenir. Il y a bien sûr beaucoup de Neil Gaiman, dans ce petit héros aimant les livres, les chats et le merveilleux, mais l’auteur a plus exprimé ici le terreau de ce qui a constitué son être à cet âge décisif que ses propres vrais souvenirs déballés aux lecteurs dans une intention biographique.

« L’Océan au bout du chemin » raconte l’histoire d’un homme qui revient sur les terres de son enfance alors qu’il se rend à un enterrement. Une fois arrivé sur les lieux, tout son passé lui revient en tête, et il se souvient de ce qui s’est passé ici il y a une quarantaine d’années… Tout débute par le vol de la voiture de son père où l’on retrouve un suicidé, puis la rencontre avec Lettie Hempstock, petite fille de onze ans qui vit dans une ferme alentour avec sa mère et sa grand-mère. La rencontre avec Lettie va entraîner le petit garçon dans une nouvelle dimension des lieux et de la réalité où la magie semble aussi naturelle qu’elle reste surnaturelle pour les adultes qu’il connaissait jusque-là. La triade féminine Hempstock ne ressemble en rien à ce qui est considéré comme « normal » dans la réalité de vie dans laquelle le garçonnet a grandi, le plongeant dans un contexte rappelant plutôt celui des contes qu’il lit. Réalité ? Fantasme ? Rappelez-vous, lorsque vous étiez enfants : parfois, un adulte nous impressionnait, sans savoir exactement pourquoi, et l’on commençait à imaginer toutes sortes de choses incroyables sur lui, sa vraie vie, sa vraie personnalité, sans doute pleines de mystères… Ou bien cet arbre qui devenait tout à coup une cachette fantastique d’où nous pouvions épier les monstres potentiels tapis sous les fourrés… Ou encore ces silhouettes derrière une fenêtre qui prenaient tout à coup une dimension inquiétante aux dimensions cauchemardesques… Dans ce roman, Gaiman tisse des liens entre ce qu’imagine les enfants, la réalité normée et cartésienne des adultes, et ce qui est ressenti comme vécu dans la fantasmagorie intérieure de l’enfance. Ici, les frontières deviennent poreuses, et le lecteur plonge avec le petit garçon dans ce qu’il vit, les contes devenant une réalité.

Qu’a-t-on réellement vécu pendant l’enfance ? Quelle était la part de réalité et d’invention ? La mémoire, les souvenirs, sont-ils vraiment un écho de la réalité, ou bien cette mémoire se réinvente-t-elle pour légitimer ce que nous croyons être, ce qui nous a construit ? Et qu’est-ce qui a perduré en nous, au point de construire une part de ce que nous sommes devenus ? Y a-t-il réellement des adultes et des enfants, ou bien les choses sont-elles un peu plus nuancées que cela, certaines personnes ayant préféré oublier ce qu’elles étaient au départ pour mieux s’assumer en tant qu’adultes ? C’est tout le propos de ce livre qui s’avère bien plus profond qu’une simple histoire basculant dans le fantastique. Dans cette œuvre, vous apprendrez bien des choses, chers lecteurs ; par exemple, qu’une mare au bout d’un chemin peut être un océan, ou que si l’on tend bien l’oreille, les chats peuvent finir par nous dire leur nom… Dès les premières pages consacrées aux souvenirs du narrateur, on est subjugués et profondément touchés par la manière dont Gaiman restitue la pensée et les sentiments de cet enfant, la justesse avec laquelle il rend compte de ce qui nous a tous plus ou moins animés dans cette préhistoire fondamentale et constitutive de notre vie. Les rêves, les peurs, les grandes douleurs et les petits bonheurs, la barrière invisible entre notre vérité d’enfant et la réalité des adultes, ce que nous comprenions ou ce qui restait pour nous des énigmes indéfinissables… On ne peut qu’être émus, en traversant les magnifiques lignes de cette œuvre si belle, si touchante, miroir de nos âmes voilées par le temps… Superbe.

Exposition « Smoke and Mirrors »

Je ne sais pas à quelle heure vous lisez cet article, mais si vous êtes fans de Gaiman, ou fans de McKean, ou encore fans de Gaiman et McKean, alors DÉPÊCHEZ-VOUS ! De 15h00 à 18h00, aujourd’hui, le duo historique sera présent pour une séance de dédicace exceptionnelle à la Galerie Martel dans le cadre de l’exposition « Smoke and Mirrors » dédiée aux images créées par McKean d’après le recueil de nouvelles éponyme de Gaiman (édité aussi par Au Diable Vauvert), mais aussi aux dessins réalisés pour l’album « Jazz {In Quotes} ». Une rencontre à ne pas louper, surtout lorsqu’on connaît la gentillesse de ces deux personnalités qui pourraient pourtant se la péter grave mais qui n’en font rien, humbles comme pas un (je me souviendrai toujours de Neil Gaiman qui – alors que j’allais commencer à l’interviewer à une période où il côtoyait le gratin d’Hollywood lors de l’adaptation de son « Stardust » au cinéma – m’a coupé pour me demander si je voulais un verre d’eau et s’est levé pour aller me le chercher, et de Dave McKean, si attentif, réservé – ou timide – mais totalement charmant…).

Aux États-Unis, cette collaboration entre Gaiman et McKean a donné lieu à une édition limitée de grande qualité chez Subterranean Press, et on espère bien qu’un éditeur français se lancera dans l’aventure pour le publier ici, car – une fois n’est pas coutume – les images réalisées par McKean d’après l’œuvre de Gaiman sont tout simplement extraordinaires. Dans cette expectative, il vaut mieux donc aller voir cette exposition pour pouvoir admirer de visu ces créations graphiques où tout le talent de McKean explose avec une évidence folle. Des encres et crayon sur papier de toute beauté, illustrations ou bandes dessinées nimbées de sépia où viennent s’inscrire tour à tour des touches bleues, rouges, vertes, complétées parfois par du collage. C’est beau et puissant, c’est du McKean. À voir absolument.

Cecil McKINLEY

« L’Océan au bout du chemin » par Neil Gaiman

Au Diable Vauvert (18,00€) – ISBN : 978-2-84626-803-5

« Smoke and Mirrors », exposition à la Galerie Martel (12 rue Martel 75010 Paris) du 24 octobre au 22 novembre 2014. Entrée libre, ouvert de 14h30 à 19h00 du mardi au samedi. Dédicace le samedi 25 octobre 2014 de 15h00 à 18h00.

Galerie

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