Les amateurs de son œuvre le savent bien : Jacques Tardi est un boulimique de travail qui dessine matin, midi et soir. Or, « Dessins matin, midi et soir », c’est le titre d’un beau petit recueil édité par Oblique Art (structure dirigée par Pierre-Marie Jamet) qui nous propose pas moins de 160 pages rassemblant des illustrations réalisées par le créateur d’« Adèle Blanc-Sec », sélectionnées dans les nombreux carnets qu’il a noircis (voire mis en couleurs) tout au long de sa remarquable carrière d’auteur du 9e art : croquis, études de personnages… et même courtes bandes dessinées iconoclastes inédites.
Lire la suite...« Carnation » par Xavier Mussat
Dessiner les sentiments n’est pas à la portée du premier bédéaste venu. Xavier Mussat a créé son propre langage graphique pour disséquer une histoire d’amour destructrice, vécue au tournant des années 2000. Dans cette autofiction, l’introspection n’entend pas se limiter à un exercice narcissique, mais cherche la plus grande justesse dans la mise en scène de la pensée. Le résultat est bouleversant, poignant, profondément humain.
« Carnation », c’est la chronique autobiographique d’un amour destructeur qui a pour cadre la ville d’Angoulême. Animateur pour le dessin animé « Kirikou », Xavier Mussat, 30 ans, rencontre une jeune femme, un peu paumée, en quête d’un destin artistique improbable. Commence alors une relation amoureuse intense et exclusive, faite d’attraction, de répulsion et de dépendance, qui va les couper du monde avant une séparation brutale. Après trois ans de vie de couple agitée, Xavier la quitte, mais cette rupture annonce une renaissance. Il peut devenir pleinement adulte, affronter sereinement le monde du travail et être en paix avec sa propre famille. Il met 10 ans à concevoir et à réaliser cet album d’une précision chirurgicale dans la description des sentiments.
Fondateur des éditions Ego comme X spécialisées dans la bande dessinée d’inspiration autobiographique, Xavier Mussat, autopsie avec méthode un amour défunt. Il utilise plusieurs références graphiques pour transcrire, le plus précisément possible, ses émotions passées, des images concept (principe souvent utilisé par David B.) à la gravure, et de l’iconographie scientifique aux paraboles graphiques. Il détaille avec une grande précision les rues d’Angoulême, ville qui incarne à ses yeux son statut de l’époque, entre adolescent attardé, prisonnier de ses rêves d’artistes maudits et l’adulte responsable qu’il est devenu en quittant la préfecture de la Charente.
En 247 pages d’une poésie troublante, il exorcise une relation toujours douloureuse. Il pourrait conclure son album par la dernière phrase d’« Un amour de Swann », le roman de Marcel Proust : « Dire que j’ai gâché des années de ma vie, que j’ai voulu mourir, que j’ai eu mon plus grand amour, pour une femme qui ne me plaisait pas, qui n’était pas mon genre ! »
Laurent LESSOUS (l@BD)
« Carnation » par Xavier Mussat
Éditions Casterman (25 €) – ISBN : 978-2-203-08776-7