Dix ans après la parution de « Résurrection », la première partie d’un diptyque accouché dans la douleur, voici enfin « Révélations » : conclusion du dernier récit du regretté Philippe Tome, décédé alors qu’il travaillait sur les dernières pages de son scénario. Les éditions Dupuis proposent, enfin, l’intégralité de cette aventure magistralement dessinée par Dan Verlinden, digne successeur de ses deux prédécesseurs : Luc Warnant et Bruno Gazzotti.
Lire la suite...Grandes images : les 9 gouaches méconnues dues à la main d’Hergé
L’histoire de ces 9 grandes images fait partie intégrante de l’aventure des « Tintin » en couleurs. Elle raconte comment sont nées ces images qui nous imprègnent génération après génération, depuis 70 ans… Nous révélons ici que leur mise en couleur à l’aquarelle et à la gouache, par Hergé lui-même, eut bien plus d’importance à ses yeux que la réalisation des 9 dessins correspondants à l’encre de Chine. Nous dévoilons ainsi l’importance de ces chefs-d’œuvre en couleurs, dont la valeur historique et artistique devrait dépasser, à terme, celle des encres de Chine, dans la lignée des premières gouaches de couverture « Tintin » des années 1930…
1930-1936 - 5 couvertures mythiques d’une valeur inestimable :
Il n’existe que 5 couvertures réalisées par Hergé, début des années 1930, en « pleine couleur » à la gouache pour les premiers albums en noir et blanc : « Soviets », « Congo », « Amérique » (vendue chez Artcurial plus de 1,3 M€), « Cigares » et « Lotus ». Ces œuvres d’Hergé sont de véritables tableaux, faits de dessin, de gouache et d’aquarelle. Hergé y démontre une grande maîtrise en tant que « peintre », qu’on ne retrouvera que quelques années plus tard, lors de la préparation des couvertures grandes images.
1937-1941 - dessins au trait, couleur au calque et frustration d’Hergé :
À partir de 1937, à la grande frustration d’Hergé, une autre technique fut utilisée par Casterman, non seulement pour les hors-texte, mais aussi pour les petites images de couverture : dessin au trait et indication des couleurs sur calque pour « Oreille », « Île », « Sceptre » et « Crabe ». Hergé en fut très insatisfait, comme l’indique ce courrier du 11 août 1941 concernant la petite image du « Crabe aux pinces d’or » : « Je fais tout mon possible pour essayer de faire une couverture haute en couleur, attractive et publicitaire, et voici le résultat : un dessin fade, sans relief, aux tons délavés et pâles. J’avais indiqué un bleu plus soutenu pour le ciel, un jaune plus clair pour le sable (…), rien, ou presque rien, n’a été respecté (…), je ne me place pas seulement au point de vue du dessinateur trahi… »
1941 — La révélation technique de la couleur :
Si Hergé réagit ainsi, c’est parce qu’il a découvert un nouveau procédé 15 jours plus tôt, lorsqu’il réalise les 4 hors-texte pour le « Crabe aux pinces d’or » (le 29 juillet 1941) : « Un de mes confrères, qui a l’habitude de travailler pour l’offset prétend que les dessins doivent être coloriés à l’aquarelle, non pas sur un calque, mais directement sur le dessin trait » Et le 8 août 1941, Hergé écrit : « Je me suis mis d’accord avec Bindels [le photograveur, NDA] : de ces dessins, il tirera une épreuve que je colorierai directement à l’aquarelle ou à la gouache »
Cette nouvelle technique obsède Hergé pendant toute cette période ; il écrit le 28 août : « J’étais occupé à la mise en couleur des hors-texte (un fameux travail !) que je viens de terminer », « L’ensemble est bon (…) et de toute façon, c’est plus joli que le procédé au trait ».
Ce sont ces 4 hors-texte faits par Hergé qui vont « déclencher » le passage de « Tintin » à la couleur. Dès lors, Hergé n’aura de cesse d’explorer les possibilités de la mise en couleur, en vue d’un premier album couleur, « L’Étoile mystérieuse », fin 1942, mais en même temps que cela, en vue de la refonte des 8 couvertures « Tintin » noir et blanc existant.
Mars 1942 — Hergé n’a qu’un seul projet, refaire les couvertures d’album et passer « Tintin » en couleur :
C’est le 3 mars 1942 que le projet est lancé. En effet, le papier crème des petites images ne peut être réapprovisionné. Aussi est-il décidé de réaliser les couvertures « à plein dessin » et en offset pour les 8 noirs et blanc existants et pour la nouveauté couleur, soit 9 couvertures dites « grandes images ». Elles seront tirées sur la presse des grands hors-texte couleur. Charles Lesne a envoyé à Hergé un album dont il juge la couverture très réussie, demi-ton, dégradé, ombre et lumière, etc. Hergé réagit déjà en adepte de la ligne claire : « L’album Louis XI est, en effet, une jolie réussite […]. Mais là, toute l’importance est donnée à la couleur, à la différence de mes dessins dont le trait constitue la véritable ossature. Je ne puis me permettre — et au surplus, j’en suis incapable, je l’avoue — toutes les finesses, les demi-tons, les dégradés, les effets de lumière que l’illustrateur de ce livre, qui est avant tout un peintre, a pu employer avec un réel bonheur. »
Et il se rappelle son expérience des hors-texte du « Crabe » qu’il souhaite à présent renouveler pour les 9 couvertures à venir : « Le procédé qui donne les meilleurs résultats est celui d’un dessin noir, colorié par après sur épreuve » (5 mars 1942).
Hergé a demandé qu’on lui renvoie ses dessins en petites images pour se mettre au travail. Le 15 mars 1942, Hergé a déjà fini de reporter 2 dessins (« Crabe » et « Oreille »).
Hergé termine le dernier dessin le 18 mai 1942. Les 9 images furent donc créées en… 2 mois ! le 22, c’est la Pentecôte : « Que le Saint-Esprit continue à t’inspirer de bonnes histoires, pour la joie d’une foule de gosses. », lui écrit Charles Lesne !
Juin 1942 — Hergé s‘épuise sur les 9 gouaches de mises en couleur :
Le 20 mai, ces 9 dessins sont remis au photograveur Bindels. Le 8 juin, Bindels retourne à Hergé les 9 épreuves sur « bleu » pour qu’il les colorie. C’est dans la lettre de Hergé du 10 juin 1942 (dont nous publions ici la copie – cliquer dessus pour agrandir -) que tout s’éclaire sur l’extrême importance attachée à ce travail de mise en couleur.
Il écrit : « Après l’effort que j’ai fourni pour terminer les couvertures (12 heures de travail par jour)… je suis complètement vidé »
Charles Lesne le félicite le 11 juin : « Au moment de porter cette lettre, nous recevons de Bindels les épreuves coloriées des 9 couvertures. Elles sont splendides ! Je les retourne ce soir à Bindels, en lui demandant de les réaliser d’urgence »
Et Hergé répond le 12 juin (mention manuscrite en marge de sa lettre du 10) : « Heureux que les couvertures vous plaisent : cela me récompense déjà du travail que cela m’a demandé… »
Le 20 juin, Hergé remet à Bindels les « mises en page » des 9 couvertures (voir exemple pour « L’Étoile mystérieuse »).
À la suite de ce travail, Hergé rentrera dans une première dépression, liée au surmenage, ne reprenant le travail qu’en juillet 1942…
Mais il aura investi toute son énergie pour réaliser LE chef d’œuvre graphique de sa vie : les 9 couvertures en grandes images couleurs, aujourd’hui images mythiques du XXe siècle et pour la plupart mondialement connues !
Chefs-d’œuvre méconnus :
Cette genèse des couvertures est inconnue de la plupart des spécialistes de Hergé. C’est en la remettant en perspective dans l’œuvre couleur de Hergé, entre 1930 et 1942, que l’on comprend soudain l’importance extrême du « geste » créatif d’Hergé, dans l’accomplissement de ces 9 gouaches, qui succèdent aux peintures des petites images.
Plus encore, la lecture des correspondances nous fait comprendre que, pour Hergé, la réalisation des encres de Chine, pour l’essentiel par report des dessins des petites images, est un travail mineur, relativement à l’investissement énorme qu’il fournit pour les mises en couleurs.
S’il faut encore s’en convaincre, il n’est que de comparer le travail de Hergé sur le champignon de « L’Étoile mystérieuse » entre le dessin à l’encre… et la gouache de mise en couleurs !
Peintures de la main d’Hergé :
Pourtant, le marché des originaux survalorise les dessins encres par rapport aux gouaches de couvertures. Le 24 mai prochain Artcurial met en vente le dessin à l’encre de la couverture de « L’Île noire » d’une part et de la gouache de mise en couleur faite par Hergé d’autre part. L’estimation fort raisonnable de cette dernière, peinture toutes couleurs de la main d’Hergé, est une opportunité pour les collectionneurs passionnés.
Gilles FRAYSSE
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Coïncidence, l’une des sept gouaches en couleurs de 1942 sera bientôt proposée à la vente par artcurial, le 24 mai à 14 heures. Il s’agit de l’île noire (estimation 70 à 90 000 euros). Les collectionneurs beaucoup plus fortunés pourront se disputer l’original à l’encre, qui lui est estimé entre 600 et 700 000 euros.