Interview express de Christian Godard…

Bien que le créateur de séries aussi mythiques que « Martin Milan », « Norbert et Kari », « Le Vagabond des limbes » et « La Jungle en folie » n’ait pas vraiment d’actualité brûlante, notre collaborateur Julien Derouet a quand même eu envie de poser quelques questions à cet acteur majeur de la bande dessinée franco-belge qu’est Christian Godard… Bonne idée, non ?

« Le Guide du mariage » avec Jacky Goupil, en 2002.

Julien Derouet : Avant de nous replonger dans votre longue carrière, avez-vous de nouveaux projets ? Si oui, quand verront-ils le jour ?

Christian Godard : Je suis en train de plancher sur un nouveau « Guide en BD » pour les éditions Vents d’Ouest — à propos duquel je suis déjà en retard ! — et je travaille, surtout, à un projet un peu plus compliqué à mettre sur pied, dont je vous parlerai plus longuement, peut-être, au moment de son lancement.

JD : Vous êtes à la fois dessinateur et scénariste. Dans laquelle de ces deux activités trouvez-vous le plus de plaisir ?

CG : Ça dépend des jours ! Les jours pairs pour le dessin, impairs pour l’écriture…

JD : En 1959 vous vivez la révolution Pilote de l’intérieur puisque vous dessinez pour ce magazine « Jacquot le mousse » sur un scénario de René Goscinny. Pouvez-vous nous évoquer cette aventure ?

CG : Cette aventure ressemble effectivement à une aventure, quand on en parle aujourd’hui. À l’époque, ça n’en était pas une du tout. Il s’agissait de créer un journal, avec peu de moyens, et peu de collaborateurs. On ignorait si le journal en question vivrait, ou pas. Du reste, il était en faillite un an après…

JD : Quels étaient alors vos rapports avec René Goscinny et Jean-Michel Charlier, les deux scénaristes piliers et fondateurs de Pilote ? Vous ont-ils influencé dans votre façon d’écrire ?

CG : À cette période, je n’étais pas à la recherche d’influences, mais plutôt d’un courant dans lequel trouver à m’insérer.

JD : En 1963, toujours dans Pilote, vous lancez votre première série à succès, « Norbert et Kari » que vous animez à la fois scénaristiquement et graphiquement. Comment l’idée vous est-elle venue ?

CG : L’idée ne m’en est pas venue, elle est venue à l’esprit de Jean-Michel Charlier. Qui, un beau jour, m’a déclaré : « Mais, vous êtes au point, maintenant… Vous avez une idée pour une série longue ? » J’avais !

JD : En 1967, dans le journal Tintin (exactement au n° 1001 de la version française ou au n° 52 de l’édition belge datés du 28 décembre), vous créez Martin Milan,un pilote d’avion taxi.  Sans doute votre œuvre la plus personnelle, non ?

CG : « Personnelle », pas en 1967… Martin Milan est sorti de sa gangue très progressivement.

Initialement, c’était un personnage complètement humoristique, et j’avais choisi sa fonction uniquement pour éviter d’avoir des personnages secondaires récurrents.

Et puis, chassez le naturel…

Une belle planche originale de « Martin Milan : La Goule et le biologiste », datée de 1997.

JD : Deux ans plus tard, en 1969, paraît dans Pif Gadget votre série la plus déjantée, un véritable chef-d’œuvre, « La Jungle en folie », mise en image par Mic Delinx. Cette fable animalière n’est autre qu’une satire de notre société. Avez-vous été influencé par mai 68 dans la création de cette bande dessinée ?

CG : Non. Je n’ai pas été influencé par mai 68. J’avais fait mon mai 68 personnel beaucoup plus tôt !

JD : Comment se déroulait votre collaboration avec Mic Delinx ?

CG : Il y eut deux périodes. Première période, de dix ans : simplissime. Deuxième période, de dix ans : compliquée… Mic avait été beaucoup changé par une certaine réussite.

Un gag de « La Jungle en folie » datant de 1969.

JD : En 2001, Dargaud édite une intégrale de la série. Avez-vous été satisfait de sa publication ? Une autre intégrale, plus fournie, est-elle envisagée ?

CG : Le système des intégrales est pervers. Il permet aux éditeurs de conserver leurs droits sur l’œuvre, sans faire le moindre effort pour la vendre. Rien de tel en vue, donc. (1)

JD : Vous avez tenté de reprendre la série, seul. Pourquoi n’avez vous pas continué ?

CG : Je n’ai pas continué parce que trop occupé. Je suis actuellement sur le point de mettre en chantier l’album suivant, avec un nouveau dessinateur.

Un gag de « La Jungle en folie » par Christian Godard, seul aux commandes.

JD : Dans les mêmes temps, avec Julio Ribera, au moment où la science-fiction battait son plein, vous lancez « Le Vagabond des limbes ». Pouvez-vous nous évoquer la genèse de cette série.

CG : C’était en 1974. À la suite de la création d’un département bande dessinée chez Hachette. Henri Filippini, mon ami, avait été nommé à la tête de ce département. Il m’a appelé pour me demander ce que j’avais envie de faire. J’avais envie de travailler avec Ribera… Et c’est ce qu’on a fait, pendant trois albums. Puis le département en question a fermé ses portes, et nous nous sommes envolés ailleurs…

JD : En 1988, avec cette série vous décidez d’ajouter une nouvelle corde à votre arc en créant, avec Ribera, votre maison d’édition, Le Vaisseau d’argent. Quelle mouche vous avait piqué ?

CG : Une mouche redoutable : la mouche tsé-tsé. On avait envie de dormir… Eh ben, c’était raté.

Une superbe planche originale du tome 2 du « Vagabond des limbes » de Julio Ribera et Christian Godard.

JD : Parmi vos nombreux scénarios, vous avez également repris, le temps de quelques gags la destinée d’« Achille Talon ». Il s’agissait d’une demande de l’éditeur ?

CG : C’était consécutif au fait que Michel Greg avait vendu ses droits aux éditions Dargaud. Le directeur éditorial de l’époque avait pensé à moi pour la reprise. J’ai posé pour condition que je sois accepté par Greg, qui était un ami très cher. Ce qu’il a fait, au cours d’un repas auquel l’éditeur lui-même a assisté. L’ami Roger Widenlocher a fait merveille, en la circonstance, pour reprendre le dessin des aventures d’Achille Talon.

JD : Pour terminer, quelle série dont vous n’êtes ni le scénariste, ni le dessinateur, auriez-vous aimé inventer ?

CG : « Agent secret X9 » d’Alex Raymond : insurpassable !

Un strip original de « Secret Agent X-9 » d’Alex Raymond.

Julien DEROUET (photo de Christian Godard, copyright Laurent Mélikian)

(1) Des intégrales « Martin Milan » et « Norbert et Kari », scrupuleusement chronologiques et dotées d’un solide dossier de présentation  bien documenté (à la manière de ceux réalisés pour les intégrales de chez Dupuis, par exemple), devraient aussi être une priorité pour des éditeurs bien intentionnés.

Hélas ! Aux dernières nouvelles, rien de tel n’est envisagé chez aucune des structures prioritairement concernées, à l’instar du Lombard ou Dargaud… Mais qu’est-ce qu’elles attendent ? (NDLR).

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3 réponses à Interview express de Christian Godard…

  1. Je reprends la parole (pardon!) uniquement pour répondre à votre commentaire terminal, au cours duquel vous vous étonnez qu’aucun éditeur ne fasse une intégrale bien foutue, notamment de Martin Milan.
    La raison en est TRÈS simple. C’est que je m’y oppose.
    J’ai récupéré tous mes droits partout où c’était possible, quand c’était possible, parfois facilement, parfois non, et je me refuse, en accord avec mes coéquipiers, à les recéder à Pierre, Paul, ou Jacques.
    Et je vous expliquerai bientôt (j’espère…) pourquoi.
    Bien amicalement à vous, et à tous les lecteurs qui passent dans le coin.

    • Gilles Ratier dit :

      Merci pour toutes ces précisions, monsieur Godard.
      Tous les admirateurs de votre oeuvre, et ils sont nombreux, attendent avec impatience la concrétisation de vos projets. Dites-en nous plus, dès que vous le pourrez…
      Bien cordialement
      Gilles Ratier

  2. Bonjour cher Monsieur Godard.
    Sur actuabd, j’avais cru voir que vous cherchiez un éditeur pour reprendre en albums vos beaux Vagabonds des limbes. Y a t’il du nouveau de ce coté? Bien cordialement. François Pincemi

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