« La Bataille » T1 à T3 par Ivan Gil et Frédéric Richaud, d’après Patrick Rambaud

En 1997, Patrick Rambaud avait obtenu le Prix Goncourt et le Grand Prix du roman de l’Académie Française avec « La Bataille » (Grasset) : ce flamboyant récit, aussi romanesque que documentaire, racontait avec vivacité la bataille d’Essling, qui opposa du 20 au 22 mai 1809 les troupes napoléoniennes à l’armée autrichienne, et ne déboucha sur aucune victoire décisive. Il fallait donc oser adapter en bande dessinée cette fresque historique, riche de milliers de soldats et généraux, fameux ou anonymes : un pari assurément remporté, grâce au découpage adroit de Frédéric Richaud et la richesse graphique d’Ivan Gil, en trois albums (initiés dès 2012) dont le dernier tome vient tout juste de paraître aux éditions Dupuis.

Couverture du roman (édition Le livre de Poche)

Les troupes aux abords de Vienne (planche 3 du tome 1)

Le scénariste Frédéric Richaud, que l’on connaissait déjà pour ses associations avec Pierre Makyo (« Le Maître de peinture » en 2003-2005 chez Glénat) et Frank Giroud (« Destins T12 : La Prison » en 2011 chez Glénat), fait ici cavalier seul pour se lancer dans cette « Bataille », avec la complicité de son propre éditeur (Grasset). Précisions que Frédéric Richaud, également romancier, avait déjà adapté en bandes dessinées certaines de ses œuvres : citons notamment « La Ménagerie de Versailles » (2007), fable cynique sur l’époque du Roi Soleil qui avait donné lieu à une transposition par Didier Tronchet en 2006 et 2007 (« Le Peuple des endormis », chez Dupuis). Comme l’explique Richaud dans une interview effectuée par Brieg F. Haslé pour le site Auracan (2012) :

« Le scénario était parfait. Et puis Patrick [Rambaud], qui a une véritable culture de l’image, a travaillé son livre de façon très visuelle, empruntant au cinéma et à la BD un grand nombre de leurs codes : ellipses, travellings, gros plans, plongées… Le gros du travail était déjà fait ! La principale difficulté a été de rendre l’extraordinaire vivacité du livre sans perdre le lecteur. Dans le roman, on est pris dans un véritable tourbillon d’images et d’actions. Cette impression est due au fait que Patrick a choisi de montrer la bataille sous tous ses angles : on est tantôt au cœur du combat avec le cuirassier Fayolle, tantôt à l’arrière avec Napoléon qui dicte ses ordres, tantôt à Vienne avec Beyle [le futur romancier Stendhal], tantôt entre les lignes avec Lejeune [peintre, graveur et général, auteur de tableau tel « La Bataille des Pyramides » (1808)]. Il a donc fallu beaucoup travailler sur l’enchaînement des actions pour que l’ensemble reste très cohérent, compréhensible. »

La Bataille d'Essling (huile sur toile) par Fernand Cormon. Musée des Beaux-Arts, Mulhouse.

Grandes scènes de batailles mais aussi discussions plus intimistes ou stratégiques sont dessinées avec énergie et passion par l’auteur madrilène Ivan Gil, lequel aura comme on s’en doute passé d’innombrables heures à regarder films et documentaires, à se plonger dans les livres historiques et à chercher sur internet. Cartes, plans et illustrations anciennes de Vienne auront également servi à se repérer dans la multiplicité des lieux évoqués.

Comme le démontrent successivement les trois visuels de couvertures, toutes dénuées du moindre personnage glorieux ou héroïque, « La Bataille » permet aux auteurs de démontrer tour à tour l’ampleur de la guerre napoléonienne, les valeurs de l’esprit militaire puis les désillusions et la cruauté du conflit. La bataille d’Aspern-Essling (du nom du village d’Aspern et d’une partie de la banlieue de Vienne), qui voit s’opposer 65 000 Français et 95 000 Autrichiens, fera 45 000 morts, blessés et prisonniers en trente heures de combats. Napoléon perdra l’un de ses meilleurs officiers et amis, le maréchal Jean Lannes, qui mourra des suites de ses blessures le 31 mai 1809.

Roughs et premiers essais divers

Visuel finalisé du tome 1

La couverture du tome 1 illustre l’antichambre du théâtre des opérations : le fameux bicorne de feutre noir de Napoléon (surnommé « Le Petit chapeau »), avec sa cocarde tricolore maintenue par une ganse de soie, trône sur les cartes d’État-major. Un petit grenadier de plomb, un sabre d’officier, quelques fanions (prêts à être positionnés pour symboliser les corps d‘armée), une bougie, un ouvrage finement relié et un coffret marqué du « N » impérial complète ce tableau. Tout, de fait, suggère une activité intense mais provisoire, où alternent les instants de réflexion et la fureur des combats.

Recherches pour le tome 2

Visuel final pour le tome 2

Pour le deuxième tome, sous un ciel nuageux (du côté autrichien) laissant paraître un coin d’azur (du coté français), on devinera le temps de la bataille, signifiée par le croisement des baïonnettes et par la confrontation des étendards. Il s’agit de celui du 1er Bataillon (régiment) d’Infanterie de Ligne (1804), comportant à son revers la légende « Valeur et Discipline – 1er Bataillon » et surmonté de l’aigle impérial ; côté autrichien, il s’agit du blason de l’archiduc Charles-Louis (1771 – 1847), qui fut renommé commandant en chef à partir de 1805 et s’était alors lancé dans un vaste chantier de modernisation des armées de son pays. Il s’opposera plusieurs fois à Napoléon, avec plus ou moins de réussite mais avec un courage qui fera l’admiration de ses hommes.

Visuel du tome 3

Pour le tome 3, le visuel rappelle que la bataille d’Essling s’est tenue pour partie dans une zone marécageuse et embrumée du Danube : notamment aux alentours de l’île de Lobau, à partir de laquelle furent installés des ponts pour permettre le passage de la Grande Armée vers la rive gauche du fleuve. Gisent désormais, entre boues, roseaux et nénuphars, les casques, besace, sabre et fusil ensanglantés, perdus par des dragons et hussards probablement tués pendant l’affrontement. Un moyen de rappeler aussi, que les prestigieux équipements d’autrefois étaient dignes d’une parade festive, et non d’une boucherie furieuse…

Encore enrichie des couleurs d’Albertine Ralenti et accompagnée (en fin de chaque tome) par un dossier documentaire de 7 pages revenant autant sur les conditions de l’adaptation que sur les étapes de la réalisation, « La Bataille » s’ouvre sur une promesse : les auteurs vont désormais s’atteler à transcrire « Il neigeait ». Dans cet autre roman paru en 2000, Patrick Rambaud narrait rien moins que la campagne de Russie (22 juin au 14 décembre 1812) et la désastreuse retraite qui s’en suivit. Ensuite, c’est promis, ils referont Wagram, une fameuse victoire napoléonienne (05 et 06 juillet 1809)… qui fait immédiatement suite à Essling !

Quelques idées de couvertures non retenues...

Philippe TOMBLAINE

« La Bataille » T1 à T3 par Ivan Gil et Frédéric Richaud, d’après Patrick Rambaud 
Éditions Dupuis (15, 50 €) :
« T1 » (2012) – ISBN : 978-2-8001-5152-6
« T2 » (2013) – ISBN : 978-2-8001-5508-1
« T3 » (2014) – ISBN : 978-2-8001-5534-0

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