Les amateurs de son œuvre le savent bien : Jacques Tardi est un boulimique de travail qui dessine matin, midi et soir. Or, « Dessins matin, midi et soir », c’est le titre d’un beau petit recueil édité par Oblique Art (structure dirigée par Pierre-Marie Jamet) qui nous propose pas moins de 160 pages rassemblant des illustrations réalisées par le créateur d’« Adèle Blanc-Sec », sélectionnées dans les nombreux carnets qu’il a noircis (voire mis en couleurs) tout au long de sa remarquable carrière d’auteur du 9e art : croquis, études de personnages… et même courtes bandes dessinées iconoclastes inédites.
Lire la suite...« Rock & Stone » T1 par Yann Valeani et Nicolas Jean
1er volume d’un diptyque qui sera complété en 2015, « Rock & Stone » s’inscrit chez Delcourt dans la collection Neopolis, consacrée à la science-fiction (avec « Sillage » par exemple) et à l’uchronie (« Masqué »). Pour leur premier récit en commun, Nicolas Jean et Yann Valeani nous entraînent en 2215 sur Caldoria, planète minière où les rares survivants tentent d’échapper à l’Intelligence Artificielle qui a pris le contrôle de ce monde. Un jeune garçon, Stan, va faire la rencontre la plus insolite de son existence : celle d’un robot industriel rapidement surnommé Rocky, qui n’obéit étrangement pas à l’IA…
Rocher et pierre, « Rock & Stone » donc, pour la description la plus évocatrice qui soit : non seulement celle du décor aride de cette aventure (Caldoria étant une planète minérale, exploitée par une société terrienne), mais aussi celle d’une amitié virile et rugueuse, soulignée par le « & » à la manière des buddy movies des années 1970 à 1990 (dont la série TV « Starsky et Hutch » (1975 – 1979) ou le film « Tango and Cash » (1989, avec S. Stallone et K. Russell) d’Andrei Konchalovsky et Albert Magnoli). En associant ici un enfant désarmé mais débrouillard et un robot surpuissant mais un peu pataud, les auteurs nous renvoient de même très volontairement à une myriade d’autres références : outre « l’amour » des garçons pour les jouets et robots mécaniques (de « Mazinger Z » (1972) et « Goldorak » (1975) de Gō Nagai jusqu’aux « Transformers » (série de 1984 à 1987 et films par Michael Bay depuis 2007)), citons les robots et androïdes d’ « Astro Boy » (personnage inventé par Osamu Tezuka en 1952), de « D.A.R.Y.L » (film de S. Wincer en 1985), de « Shorts Circuit » (J. Badham, 1985), de « L’Homme bicentenaire » (C. Colombus, 1999) ou d’ « I, Robot » (A. Proyas, 2005), ces deux derniers films étant adaptés des célèbres romans d’Isaac Asimov (nouvelle de 1976 et « Les Robots » en 1950). Concluons ce catalogue avec un autre renvoi, sous-entendu phonétiquement dans le titre, et placé en référence à l’univers des comics à couvertures souples (dans l’album, Stan est un fan d’un périodique fictif nommé Major Stone, visible en 4ème de couverture) : l’amérindien « Turok », dessiné par Rex Maxon et décrit comme « The Son of Stone » (à partir de 1956) dans le monde parallèle où il affronte régulièrement… des dinosaures. Un nouvel Age de la pierre ?
Amis ou dangers mortels, les robots incarnent – entre fiction et réalité – les rêves et les démons de l’Humanité. Mais, la poignée de mains et le pas tendu vers cet « Autre » figurant en couverture de « Rock & Stone » semblent à priori sceller une amitié éternelle entre le garçon et le robot, tous deux devenus des êtres égaux de par leurs sensibilités. Ce lien et cet affleurement des doigts pourront renvoyer inconsciemment à la fameuse « Création d’Adam » par Michel-Ange (fresque réalisée de 1508 à 1512). Par sa force symbolique et esthétique, le geste liant Adam à Dieu est devenu l’une des références les plus célèbres du monde de l’art occidental, réutilisé dans d’autres œuvres sous une forme dérivée ou parodique pour illustrer le thème de la rencontre ou du don (voir par exemple dans « E.T. l’extra-terrestre » (S. Spielberg, 1982)). Cette amitié entre homme et robot était déjà à l’œuvre dans le magnifique film d’animation « Le Géant de fer » (Brad Bird, 1999) et, bien sûr, tout au long de la mythique saga « Terminator » initiée par James Cameron en 1984. La présence d’une Intelligence Artificielle nommée Iahvé et semi-divinisée (que l’on pourra « deviner » en couverture cachée derrière l’inquiétant ciel nuageux rougeoyant figurant en arrière-plan) associe également le scénario du présent album à d’autres incontournables : les mondes dystopiques de « Total Recall » (où Mars est devenue une planète minière ; P. Verhoeven, 1990) et « Matrix » (A. et L. Wachowski, 1999), l’ordinateur HAL 9000 de « 2001, l’Odyssée de l’espace » (S. Kubrick, 1968) ou… « A.I., Intelligence artificielle » (S. Spielberg, 2001).
Laissons le fin mot aux auteurs, dont nous reprenons ici deux extraits d’interviews :
La couverture a un petit goût de La création d’Adam de Michel-Ange. C’est voulu ? Est-ce pour signifier que l’homme se prend un peu pour Dieu en créant des machines sur lesquelles il n’a aucun contrôle ?
Nicolas Jean : « Je ne sais plus si l’idée de faire se rejoindre les mains des deux personnages sur la couverture vient de Yann ou de David Chauvel, notre directeur de collection. Mais je l’ai beaucoup aimée car elle fait écho à plusieurs thèmes que j’ai voulu inclure dans l’album. C’est peut-être moins ici l’homme qui se prend pour Dieu que les machines (créées par l’homme) qui deviennent une divinité qui le domine. C’est évidemment le sous-entendu qu’on retrouve dans le nom de Iahvé, l’intelligence artificielle qui prend le contrôle de toute la planète. Cela dit, « Rock & Stone » parle aussi des rapports entre deux personnages qui s’aident mutuellement à mûrir, qui se créent l’un l’autre, en quelque sorte. »
(Yann Valeani : « C’est bien David qui a eu l’idée! Nous cherchions quelque chose d’iconique, on a du évoquer l’idée d’aller vers quelque chose de « classique ». C’est parti de là. »)
Sans trop en dévoiler, pouvez-vous nous parler un peu du tome 2, de l’évolution des personnages ?
Nicolas Jean : « Le premier tome se focalisait essentiellement sur Stan. Le second donnera, du moins dans sa première partie, une plus grande place au personnage de Rocky, tout en fournissant certaines informations importantes sur ses antécédents et l’arrivée au pouvoir des machines. Les rapports de Stan et Rocky vont avoir tendance à se faire plus conflictuels, et l’action plus soutenue, au fur et à mesure que l’histoire se rapproche de son dénouement. »
Philippe TOMBLAINE
« Rock & Stone » T1 par Yann Valeani et Nicolas Jean
Éditions Delcourt (13, 95 €) – ISBN : 978-2756027142