Les amateurs de son œuvre le savent bien : Jacques Tardi est un boulimique de travail qui dessine matin, midi et soir. Or, « Dessins matin, midi et soir », c’est le titre d’un beau petit recueil édité par Oblique Art (structure dirigée par Pierre-Marie Jamet) qui nous propose pas moins de 160 pages rassemblant des illustrations réalisées par le créateur d’« Adèle Blanc-Sec », sélectionnées dans les nombreux carnets qu’il a noircis (voire mis en couleurs) tout au long de sa remarquable carrière d’auteur du 9e art : croquis, études de personnages… et même courtes bandes dessinées iconoclastes inédites.
Lire la suite...Une histoire des « Filles » : entrevue avec Christopher…
Planquez-vous, « Les Filles » reviennent ! Et chez un nouvel éditeur : enfin pas si nouveau que cela puisque le responsable s’appelle Dimitri Kennes (ex-Mad Fabrik, Dupuis…).
Mais laissons la parole à Christopher, leur auteur que Julien Derouet a rencontré spécialement pour BDzoom.com : il va nous expliquer tout ça en détail…
JD : En 2000, « Les Filles » naissent à la Comédie illustrée. Elles ont ensuite grandi chez Carabas et reviennent aujourd’hui chez Kennes…
C : Oui. Au début c’était un pari avec la librairie de Tours, Bédélire, de faire un happening. Aussi, j’ai réalisé une planche par jour — sur 46 jours pour réaliser un album en direct —, laquelle était exposée jour après jour dans la librairie. La Comédie illustrée, notre structure d’autoédition a publié le projet à l’époque. Devant le début de succès de la série, Carabas l’a racheté en 2003, avec le tome 3. Puis la crise est passée par là , Carabas me laissant seul avec ma série. Et c’est l’été dernier que Kennes éditions a décidé de lui redonner une nouvelle chance.Â
JD : Et pour le coup, elles ont droit à un lifting ?
C : Dimitri Kennes croit énormément au potentiel de la série, mais il fallait un sérieux coup de lifting. À l’époque de la sortie de « Pyjama Party », les blogs n’existaient pas, les grandes séries comme « Les Nombrils » non plus… « Les Filles » étaient peut-être précurseurs en la matière, je n’en sais rien. En tout cas, avec Dimitri et toute l’équipe de Kennes éditions, on a pris le temps de retravailler la série, le format, les couleurs, le concept et voilà l’album. Lorsque j’ai reçu mes premiers exemplaires, je me suis retrouvé face à une évidence : c’est ça qu’il aurait toujours fallu pour la série.
JD : « Les Filles », c’est une série qui te colle à la peau ?
C : Ça, c’est sûr. C’est vraiment la série qui m’a permis d’être connu et reconnu dans la profession. Il n’y a pas un salon, un festival, une dédicace sans qu’on me demande quand elle va reprendre… Il y a un véritable attachement à la série de la part du public. Pas mal de lectrices (parce qu’il faut reconnaître que c’est là , le cœur du public) ont grandi avec elle. Et c’est vrai que c’était aussi ma première série couleur, mon premier grand format…
Et lorsque Dimitri et toute l’équipe commerciale m’ont parlé du projet, j’ai du prendre du recul, revoir toute la série sous un nouvel angle et réaliser qu’ils avaient raison. Et maintenant que j’ai l’album entre les mains, je n’ai plus aucun doute. Et c’est une chance incroyable pour une série de commencer une seconde vie, d’avoir un second souffle et de partir à la rencontre d’un nouveau public !Â
JD : Ces filles, « tes filles » les as-tu rencontrées dans la vraie vie ?
C : Oui, plus ou moins. Au fil des années et des rencontres, j’en suis venu à dédicacer un paquet d’albums et souvent, je retrouvais une « Anna » ou une « Muriel » dans la file. Sinon, au quotidien, forcément, les personnages sont un mix de plusieurs personnes de mon entourage.
JD : La série a maintenant 15 ans. Ta vie personnelle a connu quelques chamboulements durant cette période. Est-ce que cela se ressent dans l’écriture d’une série aussi intimiste ?
C : Oui et non. Je sais c’est une réponse de Normand, mais je dirais que fondamentalement, la série est toujours la même. Les ressorts narratifs, le ton, le regard social de la série n’a pas changé. Je me surprends à dire que des problèmes sociaux évoqués à l’époque sont toujours d’actualité ou n’apparaissent que maintenant. C’est assez drôle d’avoir ce regard distancié sur les événements. Ce qui a changé, c’est mon entourage. Mes enfants ont grandi, ils ont l’âge de la série et se retrouvent maintenant lecteurs de la série. Autant dire que j’ai mon public à la maison et j’ai un retour direct de mon travail et une source inépuisable de scénario !
JD ; Si cette série a été le fil rouge dans ta carrière, il en existe un autre : la musique. Et après « Love Song », la musique s’invite à nouveau dans ton travail…
C : La musique a toujours été une part importante de ma vie. Ça s’est vu au grand jour avec la série « Love Song » au Lombard et à un degré moindre dans la série « Les Colocataires » avec Sylvain Runberg au scénario, chez Dupuis. Mais je ne peux pas m’en empêcher. La série « All I Need Is Love » faisait aussi référence à la musique. Je trouve très agréable de commencer un projet et de proposer une bande-son dans le titre, les sous-titres, qui invite le lecteur à une « couleur » musicale.
JD : Et un album pour Rubén Pellejero ?
C: Là , on reste encore dans un univers musical. Et j’ai la chance d’avoir un des meilleurs dessinateurs au monde qui aime mes scénarios. Rubén avait apparemment envie d’un récit quotidien teinté de rock (alors qu’à la base je lui avais écrit un récit historique…), je lui ai proposé « The Long and Winding Road ». Un road movie sur les années 1970 et le concert de l’île de Wight. Ça sera un ouvrage de plus de 200 pages en couleurs publié chez Kennes Editions. Il s’éclate au son de King Crimson, Hendrix, Pink Floyd. C’est un véritable bonheur de travailler avec un tel professionnel. Je m’éclate sur le scénario, et lui arrive à sublimer ça avec son sens de la narration et son coup de pinceau magistral. Il a réalisé une cinquantaine de pages jusqu’à présent et à chaque nouvelle page que je reçois, je jubile. Ce sont de véritables cadeaux, tellement c’est magistralement exécuté. Et de savoir que je vais encore avoir 150 pages de petits bonheurs, j’en profite !
JD : Surprise du chef… Tu scénariserais un album de « Spirou et Fantasio » ?
C : Oui, c’est encore trop tôt pour en parler, mais ça s’annonce très bien et surtout très surprenant ! Là encore, j’ai affaire à de très grands dessinateurs et c’est juste une leçon de modestie que m’offrent à chaque fois ces artistes (oui, il en a plusieurs…). Ils ne sont pas dans les apparences, juste des maîtres de leur outil et n’ont pas besoin d’autre chose pour être heureux.
JD : Et en plus tu deviens responsable éditorial dans une nouvelle structure…
C : Oui. Lorsque Dimitri Kennes a décidé de monter sa propre maison d’édition après avoir été chez MadFabrik (« Kid Paddle », « Game Over » avec Midam), et avant cela le boss des éditions Dupuis, il m’a contacté. On se connaissait déjà très bien (du temps de ma série « Les Colocataires » chez Dupuis) et j’ai toujours aimé la relation qu’il a avec les auteurs. On a très peu discuté, mais on était sur la même longueur d’onde. Prendre le monde de l’édition à contre-courant. Alors je travaille avec lui et d’autres éditeurs (Fabrizio Borrini, Lisette Morival, Jean-Pierre Ceuppens) sur des projets BD, roman jeunesse, polar, roman… Je reprends ma casquette d’éditeur que j’avais laissé du temps de la Comédie illustrée et j’adore ça ! Se plonger dans l’univers d’autres, et travailler de concert à sublimer une histoire, me renvoie à ma propre expérience et mon propre travail d’auteur. Les projets sont en train de se mettre en place. On n’est pas pressé, personne ne nous attend, alors on fait les choses comme il faut. Je suis à une dizaine de projets et cela s’arrêtera là pour faire un travail de qualité avec les auteurs.
JD : D’autres projets en cours ?
C : Forcément, mais je vais prendre le temps de voir comment les choses avancent à la fois comme auteur et comme éditeur, car ce qui s’annonce va être énorme, et je ne voudrais pas me faire déborder.
Julien DEROUET
Mise en pages et recherches iconographiques : Gilles Ratier