Les amateurs de son œuvre le savent bien : Jacques Tardi est un boulimique de travail qui dessine matin, midi et soir. Or, « Dessins matin, midi et soir », c’est le titre d’un beau petit recueil édité par Oblique Art (structure dirigée par Pierre-Marie Jamet) qui nous propose pas moins de 160 pages rassemblant des illustrations réalisées par le créateur d’« Adèle Blanc-Sec », sélectionnées dans les nombreux carnets qu’il a noircis (voire mis en couleurs) tout au long de sa remarquable carrière d’auteur du 9e art : croquis, études de personnages… et même courtes bandes dessinées iconoclastes inédites.
Lire la suite...« Kaikisen » par Satoshi Kon (1963-2010)
Satoshi Kon avait 46 ans et des projets plein la tête… Son cinquième long métrage, » Yume Miru Kikai » ( » The Dream Machine « ) est hélas au point mort, depuis le 24 aout 2010, du fait de la disparition prématurée de cet artiste talentueux. Son cancer, découvert très tardivement, a malheureusement eu le dessus. Il nous reste néanmoins ses ?uvres, dont certaines sont parues en France : des long-métrages ( » Perfect Blue « , » Tokyo Godfather « , » Millenium Actress « , » Paprica « …), une série télé » Paranoïa Agent » et un superbe manga » Kaikisen : retour vers la mer « .
Fort et cynique jusque dans la mort, Satoshi Kon nous explique, dans un long texte posté sur sa page internet, comment il a choisi d’organiser son départ lorsqu’on lui a découvert un cancer du pancréas, le 18 mai 2010. Les médecins ne lui donnaient pas six mois à vivre, ils avaient malheureusement raison. Ce décès a stupéfait le monde entier. Tenue secrète, sa maladie n’a été révélée que tardivement à ses proches. Il a même caché son état à ses parents jusqu’à ce qu’il n’ait plus la force de leur rendre visite de lui-même. Seuls ses amis vraiment très proches ont été mis au courant, afin d’organiser avec lui une société de gestion de ses droits d’auteurs : Kon’s tone. Refusant de mourir dans un hôpital froid et sans âme, il a tout fait pour rester chez lui, auprès de sa femme. Il conclut sobrement son texte par cette formule de politesse japonaise que l’on exprime lorsque l’on quitte un groupe de personnes : « O-saki ni », ce qui se traduit le plus simplement possible par « C’est avant vous que je pars ».
Illustrations © Satoshi Kon
Néanmoins, son oeuvre lui survivra et surtout son ami et producteur Masao Maruyama, fondateur de MadHouse lui a répondu, alors qu’il s’inquiétait de la suite à donner à » Yume Miru Kikai » (son film en chantier) : « C’est correct, ne t’en soucis pas nous ferons tout ce qu’il faut ».
Satoshi Kon est né le 12 octobre 1963 à Kushiro sur l’île de Hokkaid?. En 1982, après les années lycée, il intègre l’Université d’Art de Musashino, dans la banlieue de T?ky? où il perfectionnera son graphisme.
D’abord assistant de Katsuhiro Otomo sur « Akira « . Les deux hommes collaboreront extrêmement souvent par la suite, notamment lorsqu’il fut question d’adapter en manga » World Appartement Horror « , le film live que Otomo venait de tourner. Juste avant, en 1990 Satoshi Kon publiait son premier manga (où il était à la fois scénariste et dessinateur) ayant l’honneur d’avoir une édition reliée (1) : » Kaikisen « . Cet ouvrage fait partie des Å“uvres que les Japonais ont essayé de promouvoir en France du fait du succès naissant d’ » Akira « . Ainsi, lors du second festival de bande dessinée de Grenoble en 1990 son éditeur, Kodansha, avait dans ses bagages ce recueil qu’il venait juste de publier au Japon.
Illustrations © Satoshi Kon
La sauce n’a pas pris immédiatement et il faudra attendre plus de dix ans pour qu’une version française voie le jour : en 2004, chez Casterman, dans la collection » Sakka « . Malheureusement passé inaperçu au milieu de la multitude de titres publiés à ce moment-là , et à cause de son prix plus élevé que la moyenne (11€), cette histoire aurait méritais une plus grande reconnaissance.
Illustrations © Satoshi Kon
Dans « Kaikisen « , Satoshi Kon est au meilleur de sa forme. Même s’il est facile de lui trouver un lien de parenté avec le trait d’Otomo. D’une grande maturité, ses constructions sont justes ; ses décors minutieusement dessinés sont nombreux et ses personnages parfaitement proportionnés. Le trait nerveux sait mêler adroitement les pleins et les déliés de la plume, cela lui donne un style parfaitement reconnaissable et assez éloigné des canons traditionnels du manga commercial. Avec Otomo comme maitre, il ne pouvait en être autrement. L’influence de ce dernier se fait également sentir sur le scénario, les deux hommes partagent apparemment les mêmes valeurs humaines que l’on peut retrouve au fil des nombreux récits courts qu’Otomo a réalisés durant sa jeunesse (2).
Illustrations © Satoshi Kon
» Kaikisen « , raconte l’histoire d’un pacte conclu entre un prêtre shinto et la nymphe gardienne des eaux, garantissant aux pécheurs de la ville portuaire d’Amidé d’avoir du poisson à profusion d’années en années si le prêtre veille consciencieusement sur l’Å“uf de l’Ondine jusqu’à son éclosion. Or, le prêtre actuel, Yôzô Yashirô, n’apporte que peu de crédit à cette légende. L’Å“uf issu de ce pacte est alors dévoilé publiquement et cela attire immanquablement les journalistes, les touristes et autres promoteurs immobiliers. Le littoral est menacé et la vie paisible de la créature marine également. Yôsuke, fils du prêtre, ne l’entends pas de cette oreille ; voyant son village menacé par les projets les plus fous, il décide de partir en croisade afin de faire toute la vérité sur cette légende. Malgré ses doutes, il arrivera à prendre contact avec la créature marine et rétablira la sérénité du village.
Illustrations © Satoshi Kon
?uvre poétique et écologique, ce manga est une fable mêlant conflits de générations, modernisme, mythologie et croyance ainsi qu’une approche très personnelle de la force de la nature et de son impact sur la vie humaine. Véritable critique de la société japonaise, le récit touche le lecteur sans artifices exceptionnel. Ici, pas de robots géants, pas de combat épique, pas d’hémoglobine. Une simple évolution des personnages et de l’histoire vers une conclusion mêlant l’irréel de manière tellement naturelle que l’on aurait envie d’y croire. À personnifier les éléments comme le faisaient les « anciens » cette aventure nous amène immanquablement à réfléchir sur sa propre existence.
Illustrations © Satoshi Kon
Satoshi Kon s’est également investi dans l’animation. Son parcours a été semé d’embuches et l’ambition de ses projets a souvent dépassé celle de ses producteurs.
Au départ simple employé, il fera ses armes sur « Roujin Z » en tant que concepteur des décors. Puis travaillera avec Mamoru Oshi sur » Patlabor 2 « , sur les OVA de » Jojo’s Bizarre Adventure » et obtiendra, toujours grâce à Otomo, une place de choix sur le film à sketches » Memorise « , pour lequel il s’occupera tour à tour des croquis, du design des décors et du scénario pour le premier chapitre, » Magnetic Rose « .
En 1997, il passe à la réalisation de son premier film : » Perfect Blue « . L’histoire basée sur un roman de Yoshikazu Takeuchi se verra totalement remaniée, car Satoshi Kon ne trouve pas le scénario assez fort à son gout. Il finira par avoir carte blanche s’il respecte les trois thèmes de base du livre, à savoir : « idole », « horreur » et « admirateur monomaniaque ». Prévu au départ pour une sortie vidéo, il sera finalement diffusé au cinéma avec le succès que l’on connait maintenant. Cela lancera réellement sa carrière.
Illustrations © Satoshi Kon
Il réalise ensuite » Millennium actress » (en 2002), puis » Tokyo godfathers » (en 2003). Puis, en 2004, il passe à la télévision avec la série « Paranoia agent « . On peut enfin le revoir au cinéma, en 2006, avec » Paprika » : un projet qu’il avait dans ses cartons depuis presque 10 ans.
Illustrations © Satoshi Kon
Tous ses dessins animés, ou presque, mettent l’accent sur la réalité subjective, notamment au travers des rêves et de leurs interconnexions avec le monde réel. Le summum dans la recherche scénaristique, il faut la chercher dans » Paranoia Agent » : la plus personnelle des Å“uvres de Satoshi Kon. Il disait, lui même, avoir pris toutes les idées qu’il a pu avoir un jour et qu’il aurait voulu intégrer dans ses films : au lieu de les jeter, car inadaptées au projet sur lesquels il travaillait, il en a fait un mix exploitable sur la longueur, dans une série (3).
Très impliqué dans le monde de l’animation, il ira même jusqu’à participer à la création de la Japan Animation Creators Association (JANICA) (4) et à s’impliquer personnellement dans de nombreuses conférences, au Japon comme à l’étranger, durant lesquels il n’hésitait pas à parler de son travail et ainsi partager son savoir-faire.
Satoshi Kon était un homme timide, mais bon vivant, avec un talent indéniable et une générosité appréciable dans ce milieu. Son œuvre, heureusement, lui survivra.
Illustrations © Satoshi Kon
Gwenaël Jacquet
» Kaikisen : retour a la mer » de Satoshi Kon chez Casterman, collection Sakka (10,95€)
(1) Il avait déjà publié, en 1985, » Toriko « , une nouvelle parue dans la revue Young Magazine de Kodansha.
(2) Récits regroupés dans des anthologies disponibles au Japon comme » Short Peace » ou » Sayonara Nippon « .
(3) Série néanmoins assez courte, » Paranoia Agent » ne comporte que treize épisodes qui sont distribués en France par Dybex.
(4) Association qui vise à sensibiliser sur les conditions de travail précaire des jeunes animateurs.