Les amateurs de son œuvre le savent bien : Jacques Tardi est un boulimique de travail qui dessine matin, midi et soir. Or, « Dessins matin, midi et soir », c’est le titre d’un beau petit recueil édité par Oblique Art (structure dirigée par Pierre-Marie Jamet) qui nous propose pas moins de 160 pages rassemblant des illustrations réalisées par le créateur d’« Adèle Blanc-Sec », sélectionnées dans les nombreux carnets qu’il a noircis (voire mis en couleurs) tout au long de sa remarquable carrière d’auteur du 9e art : croquis, études de personnages… et même courtes bandes dessinées iconoclastes inédites.
Lire la suite...Décès de Pierre Wininger
C’est Henri Filippini, ancien directeur littéraire des éditions Glénat, qui vient de nous l’apprendre : le dessinateur Pierre Wininger (« Victor Billetdoux », « Le Jardin sanglant », « Nicéphore Vaucanson »…) est mort à Brest, le 25 décembre dernier : « J’ai eu le plaisir de le faire débuter. C’était un type bien, hélas poursuivi par la malchance », nous précise ce responsable éditorial et auteur de nombreux ouvrages sur le 9e art.
Né le 8 septembre 1950 à Saint-Mandé, Pierre Wininger, ancien maquettiste dans la publicité et passionné d’égyptologie, commence sa carrière bédéesque en 1976, publiant à la fois dans Charlie mensuel (trois pages intitulées « Le Jour de l’ouverture », au n° 88) et dans Circus (avec la série « Victor Billetdoux » : trois albums publiés chez Glénat entre 1978 et 1982).
Toujours dans Circus, il réalisera encore quelques récits complets, dont un écrit par Jean Léturgie (« Le Goût de l’Agout » au n° 33 bis de 1980), ainsi qu’un fascinant long-métrage, trop méconnu, en 1986 (du n° 101 au n° 106) : « Terminus Crusoë », compilé dans un album Glénat en 1987.
Après une brève apparition dans Trio en 1977 (sur deux récits complets de la série didactique « Raconte-moi » dessinée avec Pierre Frisano et scénarisée par Raymond Maric sous le pseudonyme de Hercet, aux n° 12 et 15) ou dans le mensuel (À suivre) des éditions Casterman en 1978 (deux amusantes « Histoires pâles de l’oncle Vrai », dans la rubrique « Pendant ce temps à Landerneau », aux n° 9 et 10), on retrouve aussi son style élégant, influencé par ceux de Jean-Claude Forest et de Jacques Tardi, dans Pilote, en 1979.
Il y illustre un scénario de Filippini (« Le Jardin sanglant ») qui sera ensuite repris en album chez Dargaud, la même année. Un an plus tard, il travaille pour le magazine Okapi, sur la série « Nicéphore Vaucanson », entre 1980 et 1984 (trois albums chez Bayard) : le premier épisode (« Evergreen ») avait été conçu bien des années auparavant et a été partiellement redessiné pour l’occasion.
Parallèlement, Wininger se consacre à l’adaptation de nombreux romans, d’abord pour Hachette (« Le Cristal fou » de Michel Rioux, en 1980), puis pour le mensuel Je bouquine des éditions Bayard où il met en images les œuvres d’Oscar Wilde, de Sir Arthur Conan Doyle, d’Italo Calvino, de Mary Shelley, etc., entre 1985 et 1996.
Outre des participations fugaces au collectif « Paris sera toujours Paris (?) » de Pierre Christin (deux pages dans le n° 80 du mensuel Pilote, en 1981), à l’hebdomadaire Tintin (avec un hommage d’une planche au « Secret de l’Espadon » d’Edgar-P. Jacobs, au n° 482 de 1984) et à un album publicitaire au format à l’italienne réalisé pour Air France (« Les Ailes du rêve », en 1986), il tente un grand retour en bande dessinée avec la série avortée « Les Miroirs du temps », publiée dans la collection La Loge noire des éditions Glénat : une histoire de Marie-Charlotte Delmas qui ne connaîtra, hélas, qu’un seul album en 2003.
Encore un talentueux dessinateur qui a participé à l’anoblissement du 9e art et qui disparaît, sans tambour ni trompette, sans avoir connu une vraie reconnaissance de la part de ses pairs.
Gilles RATIER
Ping : Pierre Wininger passed away ← afnews.info
super mec on ne peut plus discret!
Bonjour,
j’ai bien connu Pierre à l’époque d’Okapi quand il réalisait les très belles planches de « Evergreen »….Il a apporté à Okapi à cette époque la « vraie » bande dessinée….élevé le niveau grâce à la confiance du responsable BD de l’époque années 80, Xavier Séguin.
Et de mon côté, je démarrais dans la même revue Okapi « Snark Saga » sur scénario de Patrick Cothias..il y a eu du beau monde en ce temps là dans Okapi…Boilet,Arno, Adamov, Tito, Allot etc….
Je suis bien sûr très touché par la disparition de Pierre…..auteur discret s’il en était , fan de Forest qui fut lui aussi en son temps responsable BD à Okapi.
So long friends…..
J’ai un sourire triste en relisant cette page d’hommages à Pierre Wininger et ces lumineux commentaires, en particulier le vôtre, Philippe Sternis.
J’étais abonné et lecteur d’Okapi de 1980 à 1984, alors évidemment…, des bouffées de nostalgie influencent mes ressentis à l’égard de Pierre Wininger et des oeuvres marquantes que vous citez… Mais sincèrement, le recul des années et un regard critique plus aiguisé (métier d’illustrateur oblige) n’altèrent en rien mon admiration. Au contraire, même : les décennies écoulées et mes propres voyages bringuebalants au cÅ“ur des Mondes complexes de l’image et du texte me font aimer encore plus ces planches et les trésors qu’elles nous offrent. Oui, sans aucun doute, il faut absolument (re)découvrir l’auteur de la « trilogie » Evergreen. Je n’ai jamais compris (ni autrefois, ni aujourd’hui) que les aventures de « Nicéphore Vaucanson », de « Victor Billetdoux » et même de « Terminus Crusoé » à la fin des 80s ne trouvent pas leur public ! Certes, il plane un parfum assez adèleblanc-secquien sur son style graphique, ses décors fouillés et ses récits truffés de délicieux ingrédients fantastico-ésotériques « début-de-siècle ». Mais la comparaison s’arrête là : loin de la farce décomplexée et des tonalités radicalement sarcastiques qui ont envahi la série de Tardi (après 2 albums inoubliables), Wininger cherchait à garder intactes les ambiances mystérieuses et insolites dans lesquelles ses personnages évoluaient. Malgré un dessin un peu moins détaillé au fil des albums (… baisse d’enthousiasme et frustrations liées au manque de reconnaissance et à de faibles tirages trop peu diffusés par Bayard, peut-être ?!), ses planches se savouraient pleinement. Narration délicatement rythmée, compositions savamment étudiées, richesse documentaire, atmosphères envoûtantes, dialogues soignés, couleurs inspirées et évocatrices, encrage vif et expressif : du haut de gamme, messieurs-dames !
Qu’a-t-il bien pu se passer pour qu’un auteur de cette trempe (comme tant d’autres injustement méconnus) n’accède pas à une vraie notoriété ?
Sur mes étagères, j’aperçois les 2 fameux ouvrages consacrés par Duc à « L’Art de la BD » (que j’ai lus, relus et décortiqués tant de fois) : de superbes cases de « La nuit de l’Horus rouge » y sont montrées en exemple, côtoyant avec évidence tous les meilleurs auteurs de l’époque… Un précieux petit îlot de reconnaissance artistique… mais si isolé !
Petit baume au cœur : j’ai découvert aujourd’hui même avec surprise et émotion que, tout comme moi, Denis Bajram a conservé précieusement son exemplaire du génial « Univers d’Okapi n°215 » (« Faire une Bande Dessinée avec Pierre Wininger ») de novembre 1980. Waouh. On peut même le télécharger sur son site : https://www.bajram.com/category/divers/hommages/page/3/ . Merci à lui, quelle belle initiative ! J’avais 10 ans moi aussi lorsque ce passionnant et chaleureux dossier (détachable) m’est arrivé entre les mains et m’a offert mon premier vrai accès aux coulisses de la création graphique & narrative, via l’atelier et les conseils de Wininger. (On ne parlait pas encore de « tutos » à l’époque !)… Plusieurs semaines durant, les épisodes d’« Evergreen » avait déjà enfiévré mon imagination de manière indélébile ; alors quoi de plus excitant et de plus éclairant que de se voir expliquer la petite cuisine d’un bédéiste (comme on disait à ce moment-là , plutôt que bédéaste ^^) avec cet auteur talentueux et perfectionniste, qui nous révélait en bonus d’épatants secrets de fabrication ? Des pages de BD passionnantes, puis un « outil » déterminant pour en découvrir le making of… Des lectures décisives, quoi !
Qui plus est, et M. Sternis le décrit très bien, c’était réellement le début d’une sorte d’Âge d’or pour le contenu BD d’Okapi. [Au passage, je dois dire que son étonnante « Snark Saga » avec Patrick Cothias fait grandement partie de mes lectures préférées dans ce journal : un suspense intenable et des rebondissements imprévisibles autour de thèmes fascinants – rhaaaa, les 15 jours d’attente entre 2 numéros !... D’ailleurs, les 2 tomes de Snark Saga publiés ensuite sont quasiment les seuls albums siglés Bayard dans ma bibliothèque].
En revanche, pour Wininger, je m’étais concocté ma propre « intégrale Vaucanson » (Evergreen/L’ombre du scarabée/Le mystère Van Hopper) avec les planches issues d’Okapi, soigneusement reliées grâce à l’habileté maternelle, le tout agrémenté d’une couverture, d’intercalaires et d’une 4ème de couv’ faites par mes soins laborieux. 34 ans après, étonnamment, l’exemplaire bricolé tient toujours la route, même si la tranche – lettrée à la main – fait un peu tâche aux côtés de vraies éditions telles que celles du « Jardin sanglant » (Wininger / Filippini, Dargaud) ou des Victor Billetdoux (Glénat)…
Oups, je me suis carrément épanché… Tant pis, ça me tenait à cœur d’inviter ici mes souvenirs personnels pour saluer la mémoire et le talent de Pierre Wininger, même quelques années après. Les émotions n’ont pas d’âge !
Une oeuvre peu abondante, mais appréciable. Il s’était assez vite dégagé de l’influence de Tardi, mais son talent ne fut pas toujours utilisé à bon escient. 2013 se termine mal…
» DU TALENT » IL EN AVAIT !
Il est vrais que ni sa production, ni sa notoriété dans le monde de la BD ne sont à l’image du talent de Wininger; car il en avait du talent ce dessinateur;
Je lui garde une bonne place dans ma bibliothéque., surtout avec les trois albums suivants
» Evergreen, l’ombre du scarabé et le mystére Van Hopper »
Le dessin y est remarquable et les scénarios digne des meilleurs romans populaires du début de siècle (XXémé)
Aussi pour rendre hommage à son travail je prendrai en exemple la première planche de l’album « le mystére Van Hopper »
« Sur les quais de St Nazaire, Anais fait ses adieux à Nicéphore et embarque à bord du paquebot de la Transat, le Pharamond.
Une superbe planche qui illustre bien tout son talent.
Si vous pouviez la publier lors d’un article sur votre blog j’en serai trés heureux
Jacques
Je trouve dommage qu’on ne parle très peu sur les personnages créés par feu Pierre Wininger, à savoir pourquoi garder les mêmes personnages aux différents noms dans de différentes séries ? Très peu de personnes bédéphiles ne reconnaissent l’auteur de nos jours…
C’est bien dommage.
On associe trop souvent son talent à l’influence de Tardi. Il y a beaucoup de poésie chez Wininger. Si Tardi excelle a dépeindre Paris et sa banlieue du milieu du XX siécle, on trouve chez Wininger une description plus proche des romans de Jules Verne de l’univers des machines du tout début du 20iéme siécle. Je dirais plutôt que le meilleur de Tardi (Le démon des glaces, Rumeur sur le rouergue) qui sont soit dis en passant non scénarisés par l’auteur peut se comparer a l’oeuvre de Wininger qui est tout à fait originale. Wininger avait énormément de talent, tant au niveau des dessins que des scénarios. C’est une triste nouvelle.On se retrouve seul désormais comme le personnage de terminus Crusoé, une de mes bd préférée.
Frédéric
Il y a plusieurs décennies de cela les albums de Wininger faisaient mes délices ; j’ai dû le croiser également : et puis, hélas, comme beaucoup, je l’avais un peu oublié. Il est vrai qu’il était comparé à Tardi à l’époque, et le succès de ce dernier l’a un peu rejeté dans l’ombre ; on a évoqué également au merveilleux Forest (qui d’ailleurs n’est le plus souvent pas reconnu à sa véritable valeur et à son importance), mais il avait sa « petite musique » bien à lui qu’on ne pouvait confondre avec aucune autre. Dès les premières notes (les premières images) on le reconnaissait aussitôt. D’autres dessinateurs de cette époque, avec lesquels ont pourrait le faire cousiner, ont également été écrasés par le rouleau compresseur d’une bande dessinée devenue une industrie.
J’ai tout récemment retrouvé ses albums, chez des bouquinistes et j’ai pu reconstituer mon « rayon winingérien ». Je l’ai retrouvé tel qu’il était alors, dans une sorte d’éternelle jeunesse. Intemporel, il l’était déjà et il le demeure. J’aimerais que sa mémoire ne se perde pas tout à fait.
Lecteur d’Okapi à l’époque aussi, je garde un souvenir épatant des histoires mystérieuses de Wininger (et de l’Univers d’Okapi qui présentait le métier de dessinateur, Thark B. a réveillé en moi une madeleine…)
J’en collectionne aujourd’hui les albums, mais la sortie d’une intégrale « Wininger » serait une très bonne nouvelle.
Etrange coïncidence, je découvre à l’instant que La Pyramide oubliée va sortir de l’oubli! Ca mérite un article.
Broché
Editeur : Aventuriers Etr (24 août 2018)
ISBN-10: 2490195026
ISBN-13: 978-2490195022
M’intéressant aux anciennes carrières et catacombes de la Ville de Paris depuis plus de 35 ans et publiant régulièrement sur le sujet (déjà une 12aine de livres et près de 300 articles), bien évidemment j’ai découvert Terminus Crusoé en pré-publication dans Circus. Depuis je me suis mis aussi à collectionner les BDs évoquant ce sujet (j’en ai plus d’une centaine). Lorsque j’ai appris la sortie chez Glénat des Miroirs du temps, j’ai attendu comme bcp la suite (le tome 2), mais rien. J’ai alors contacté la scénariste pour apprendre que ce second et dernier tome avait été non seulement scénarisé, mais aussi dessiné par Wininger et également mis en couleurs… Sauf que depuis son décès, l’éditeur ne veut pas le sortir. J’en ai parlé avec Les aventuriers de l’étrange, les nouveaux éditeurs de Wininger, qui semblent se trouver confrontés, de la part de Glénat, à une certaine rétention de ces planches pourtant prêtes !
Super info.
Une bonne nouvelle (Un Wininger inédit!) et une mauvaise, puisque ça ne sort pas… j’espère qu’un certain succès des rééditions favorisera la sortie de cet album.
L’avantage d’internet, c’est qu’on peut participer à des discussions totalement obsolètes !
Obsolète, l’univers du Wininger que j’ai connu (Nicéphore Vaucanson, grâce à Okapi) l’était un peu. Le début du XX°, médiatiquement écrasé par les guerres mondiales, ne passionne pas les foules. Enfin, disons les masses. Car des foules de gens qui ressentent de la nostalgie pour une époque qu’ils n’ont pas connue, il y en a. J’en fait partie. Même si je n’ai jamais réussi à totalement comprendre pourquoi.
Ces ambiances qui véhiculent l’exaltation de la modernité sans renier les rêves, croyances et magies m’ont toujours interpellé. Je ne suis pas du genre à décorer mon intérieur en Steampunk, mais je pense que Monsieur Wininger a profondément marqué ma personnalité avec Evergreen. De manière surprenante (vu la confidentialité de sa diffusion), bien plus que l’oeuvre de Tardi (que je ne dénigre aucunement).
Avec le recul, j’y vois un concentré de ce qu’est, pour moi, l’humanité.
Tiens, je vais essayer de me procurer ces trois albums et les distribuer à ma descendance. Ce sera mon infime participation, mon insignifiant hommage, mon invisible salutation.
Merci Monsieur Wininger !
Un grand artiste de la bande dessinée. J’ai toujours considéré la trilogie Nicéphore comme parmi les meilleurs albums de BD. Cela aurait été formidable si la série avait ou continuer. C’est vraiment dommage qu’il n’est pas eu la reconnaissance qu’il méritait.