« Valérian et Laureline » T3 et T4 par Jean-Claude Mézières et Pierre Christin

C’est en 1967 que Jean-Claude Mézières, pour le journal Pilote, créé avec son ami d’enfance Pierre Christin le duo d’agents spatio-temporels composés de Valérian et Laureline. Les auteurs n’avaient pas imaginé la longévité de leur histoire de science-fiction, puisque la collection comporte à ce jour plus d’une vingtaine de titres (le 22ème, « Souvenirs de futurs », datant de septembre 2013). Nous comparons ici, en guise d’analyse mensuelle de planches, les pages introductives des tomes 3 (« Le Pays sans étoile ») et 4 (« Bienvenue sur Alflolol) ». Parus à six mois d’écart en 1972, ces derniers révèlent toute la fantaisie, l’imagination et l’inventivité graphique des auteurs autour d’un thème pourtant banal et propre au genre : l’arrivée des héros sur une nouvelle et mystérieuse planète…

Comme l’explique l’éditeur Dargaud, la série « Valérian et Laureline », avec plus de 2,5 millions d’exemplaires vendus et une traduction en 16 langues, est incontestablement devenue le plus grand space opera publié par des auteurs français… toujours maîtres de leur série. C’est à bord d’un vaisseau affrété par Galaxity, mégalopole de l’Empire Terrien du XXVIIIe siècle, que nos agents du temps se déplacent pour vivre des aventures hautes en couleur. Dans les deux albums évoqués au cours de cet article, les héros vont ainsi aider régler des conflits planétaires (« Le Pays sans étoile ») et secourir des peuples inconnus (« Bienvenue sur Alflolol »). Rappelons aussi que la série, simplement intitulée « Valérian, agent spatio-temporel » jusqu’en 2007, fut rebaptisée « Valérian et Laureline » lors de la publication du tome 20 (« L’Ordre des pierres »), rendant ainsi hommage à celle qui était, par la grâce des lecteurs, devenue beaucoup plus qu’un simple personnage récurrent.

4ème de Pilote n°569 , 1970

Couverture de Pilote n°570 , 1970

Le Pays sans étoile, planche 1

Sur la première planche du « Pays sans étoile » (prépublié dans les numéros 570 (08 octobre 1970) à 592 (11 mars 1971) de Pilote Hebdo), l’encadré narratif suit tout d’abord les quatre cases verticalisantes composant le bandeau introductif : nous y découvrons le système solaire – fictif – d’Ukbar (composé de quatre planètes), qui « marque la limite de l’univers exploré ». De fait, la représentation graphique de ce monde inconnu semblera bornée et écrasée dans la case par le noir spatial oppressant, dont le rendu occupe la moitié supérieure de la première case. Dans les trois cases suivantes, nous opérons un zoom annonçant l’arrivée prochaine des héros, que nous finissons par découvrir à l’intérieur de leur astronef. Ce zoom opératique se déroule dans l’approche d’Ukbar I, première des quatre planètes visitées par les protagonistes : le déroulé narratif laisse déjà à penser, par l’emploi d’un vocabulaire volontiers angoissant (vide, perdus, ultime présence, adieux) que l’aventure risque d’être périlleuse…

Cases 4 et 5 (gros plan latéral et horizontal puis plan rapproché), Valérian et Laureline échangent à propos des dernières formalités d’usages. Succède à ce paisible dialogue un plan renversé silencieux illustrant la phase d’atterrissage. Là encore, la case s’offre à la double lecture : purement illustrative et achevant la séquence amorcée sur cette première planche, elle vient aussi souligner le fait que, dans cet univers de science-fiction, nous aurons vite fait de perdre nos repères habituels, un renversement de situation étant toujours – et qui plus est scénaristiquement parlant – amplement envisageable !

Bienvenue sur Alflolol, planche 1

Comparons maintenant avec la planche introductive du tome suivant, « Bienvenue sur Alflolol » (prépublié dans les numéros 632 (16 décembre 1971) à 653 (11 mai 1972) de Pilote Hebdo), dont le titre chaleureux indiquera à l’évidence aux lecteurs désormais avertis qu’ils devront s’attendre aux pires épreuves. La ligne narrative est relativement semblable, puisque les deux agents spatio-temporels se retrouvent de nouveau dans leur vaisseau, à proximité d’un monde inconnu : il s’agit de Technorog, décrite comme une énorme planète minière aux ressources inépuisables. Le dessin nous montre une seule et même vignette coupée verticalement en trois parties, tandis que notre regard semble zoomer de nouveau sur un vaisseau cette fois-ci en partance de ce monde rude, colonisé depuis près de deux siècles par les hommes. Lui-même découpé en trois parties, le long pavé narratif suggère cette fois-ci que la mission d’inspection des agents est achevée, et le danger éventuel évacué. Il n’en sera bien sûr rien, comme l’indique la masse menaçante de cet astre gigantesque, que semble littéralement fuir l’appareil de Valérien et Laureline, eux-mêmes encore invisibles.

D’un album à l’autre, la narration – à la fois littéraire et graphique – s’est faite plus subtile, entre romanesque et space opera : moins de cases mais plus de mystères, tandis que nos héros vont et viennent dans cet espace en deux dimensions (la page) subjuguant peu à peu la traduction par l’immensité de leur périples spatio-temporels. Mais après tout, entre des cases et des détours elliptiques, glissant d’une page à la suivante, le lecteur ne fait-il pas de même au fil des albums successivement parus… depuis déjà plus de 47 ans.

Couverture de Pilote n°632 , 1971

La Cité des eaux mouvantes, planche 1. Encre de Chine sur papier, 50x40 cm, 1970

Sujet de multiples ouvrages, hommages et rétrospectives (dont la récente exposition intitulée « Les Grands espaces de Jean-Claude Mézières », organisée à la Bfm de Limoges par la Galerie oblique parisienne et un certain Gilles Ratier ; cf. article : http://bdzoom.com/66160/actualites/%C2%AB-les-grands-espaces-de-jean-claude-mezieres-%C2%BB-a-limoges/), la série a déjà été adaptée pour le petit écran depuis 2005 dans une coproduction franco-japonaise riche de 40 épisodes de 23 minutes (certains étant scénarisés par les auteurs Agnès et Jean-Claude Bartoll). La société de production de Luc Besson, EuropaCorp, ayant été associée à ce projet, et Besson lui-même étant un fan de la série depuis sa jeunesse (Jean-Claude Mézières fut impliqué comme designer en 1997 sur « Le Cinquième Elément »), l’enjeu suivant devient logiquement cinématographique. Annoncé depuis juin 2012, le projet est officiellement toujours en cours (scénario et réalisation par Luc Besson) bien que le réalisateur s’attache désormais à « Lucy », superproduction de science-fictionnelle filmée depuis septembre 2013 en Chine et portée par Scarlett Johansson et Morgan Freeman. Un prélude d’envergure à « Valérian et Laureline, le film » ?

Philippe TOMBLAINE

« Valérian et Laureline » T3 et T4 par Jean-Claude Mézières et Pierre Christin

Dargaud, 1ères éditions en 1972 (11,99 €) – ISBN : 978-2205046236 et ISBN : 978-2205046519

Galerie

Une réponse à « Valérian et Laureline » T3 et T4 par Jean-Claude Mézières et Pierre Christin

  1. christian dit :

    aller lire la nouvelle de Borges dans Fictions : tlôn , uqbar , orbis tertius …..qui est avant le ukbar de valérian

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