« Franka » d’ Henk Kuijpers

Après les tentatives louables (mais hélas pas assez récompensées) des éditions Dupuis et des Humanoïdes associés pour imposer la pétillante bande flamande qu’est « Franka » d’ Henk Kuijpers, c’est un petit label belge (BD Must) qui reprend le flambeau en publiant, d’un seul coup, quatre albums cartonnés et tout en couleurs(1).

Très belle initiative qui, nous l’espérons, permettra peut-être, aux lecteurs francophones, de lire l’intégralité de cette formidable série créée pour le magazine néerlandais Pep (en 1974) et qui vient d’être élue, en janvier, « Plus grand héros de bande dessinée des Pays-Bas » par les lecteurs du magazine Eppo(2) qui pré-publie sa 21ème aventure, en langue néerlandaise(3) !

C’est donc dans l’hebdomadaire Eppo (fusion de Pep et de Sjors qui sera renommé Eppo Wordt Vervolgd en 1984), que « Franka » a fait le plus gros de sa carrière aux Pays-Bas ! Eppo étant devenu Sjors en Sjimmie Stripblad en 1988, « Franka » y reparaît dès l’année suivante. Á noter qu’en 1994, ce périodique se transforme encore une fois en Sjosji (puis en Striparazzi) avant de disparaître en 1999, pour mieux ressusciter le 29 janvier 2009 en reprenant le nom d’Eppo.Toutefois, il est à la fois curieux et désolant de constater qu’à l’instar des bandes dessinées belges d’origine flamandes, dites « classiques » ou pour tout public, telles les séries bon enfant de Willy Vandersteen (voir « Le Coin du patrimoine » ), de Marc Sleen ou de Bob De Moor, celles produites par les Pays-Bas soient si mal perçues en France ! On peut peut-être encore arriver à admettre l’incompréhension du public français devant le ton absurde et les tournures d’esprit si particulières des histoires humoristiques, mais même les bandes réalistes et d’aventures sont également toutes boudées par ce lectorat, d’habitude, si ouvert aux productions étrangères !
Pourtant, les bandes hollandaises sont très souvent réalisées par de talentueux dessinateurs : comme le prouvent les sommaires de Pep et d’Eppo ou de ses successeurs… Lancé le 6 octobre 1962, l’hebdomadaire Pep publiait surtout des reprises de bandes franco-belges (« Astérix », « Lucky Luke », « Blueberry », « Valérian », « Michel Vaillant »…), tout en laissant une bonne place aux créations locales : « Erwin, de Zoon van Erik de Noorman » d’Hans G. Kresse et « Agent 327 » de Martin Lodewijk en 1966, « De Argonautjes » de Dick Matena en 1968, « Johnny Goodbye » de Dino Attanasio en 1969, « De Generaal » de Peter De Smet en 1971, « Bernard Voorzichtig » de Daan Jippes en 1972 (voir « Le Coin du patrimoine » ), « Pepijn » de Robert Van der Kroft en 1973 ou « Gilles de Geus »

Or, le 26 septembre 1975, Pep s’interrompt ! Tout comme Sjors : magazine du même type qui publiait « Sjors en Sjimmie » Bicot » en français »>« Bicot » en français que Marten Toonder et surtout Frans Piët reprirent en 1933 et 1938. Une semaine plus tard, ces deux revues fusionnent en Eppo (du nom de la série d’Uco Egmond créée en 1973). On y retrouve toutes les vedettes des deux supports, rejoints par « Lowietje » « De Partners » Professeur Lapalme » »>« Professeur Lapalme » de Dick Briel en 1978, « Sjef Van Oekel » Jennifer Jones » »>« Jennifer Jones » d’Eric Heuvel en 1986, alors que la dernière formule accueille aussi diverses séries créées par ailleurs Bob Evers » de Hans Van Oudenaarden, « Plunk ! » de Luc Cromheecke, « Elsje » de Gerben Valkema, « Eugène » de Jan Dirk Barreveld, « Esther » de Kim Duchâteau…) ou pour l’occasion comme « Ronson Inc » de Minck Oosterveer, « Hotel Nevelzicht » de Mark van Herpen et « Max Miller » d’Ijsbrand Oost, au style très proche de celui d’ Henk Kuijpers.(4)

Mais revenons à « Franka », une jeune et rousse archéologue très sexy ! Comme c’est souvent le cas pour ses étranges histoires, souvent exotiques mais toujours très mouvementées, les quatre titres proposés par BD Must sont des histoires complètes en deux tomes de 46 planches chacun : « Le Vaisseau d’or portugais » (« Het Portugese Goudschip », 14ème épisode paru, à l’origine, en 1996)étant complété par « Les Yeux du timonier » (« De Ogen van de Roerganger », 15ème titre de la série, publié en 1997, aux Pays-Bas) et « Succès assuré » (« Succes Verzekerd », 16ème aventure, datant de 1999) par la 17ème titrée « Risque propre » (« Eigen risico », réalisée en 2000).

C’était aussi le cas pour « Les Dents du dragon » que nous avaient proposés les Humanoïdes associés (en 1987), en deux albums cartonnés de 46 et 44 pages correspondant aux épisodes n°7 et 8 intitulés « De Tanden van de draak » et « De Ondergang van de Donderdraak » lorsqu’ils sont parus dans Eppo (de 1983 à 1986) ou en album chez Oberon (l’éditeur d’Eppo) en 1984 et 1986… Ceci avant de renouveler l’expérience, vingt ans après (donc en 2007) avec la réédition de ces deux opus cartonnés dotés d’une nouvelle couverture et de la traduction des 45 planches de « Moordende concurrentie » : le 9ème titre de la série (paru en 1990 chez Big Balloon, nouvelle appellation d’Oberon, aux Pays-Bas), sous le titre de « Victime de la mode ».

Pourtant, les récits mettant en scène l’élégante et sportive Francesca Victoria, alias Franka (accompagnée quelquefois de son fidèle petit bulldog blanc), ont été curieusement traduits et publiés, pour la première fois en France, dans l’hebdomadaire Spirou, en 1981(5) : à une époque où sévissaient les « Hauts de page » de Yann et Didier Conrad qui ne se sont pas gênés pour accueillir, à leur manière, la belle hollandaise…


Le choix de ce périodique destiné aux jeunes peut sembler curieux quand on voit les dessins dynamiques et réalistes de la série actuelle ! Il faut dire qu’au début, les exploits de notre maligne héroïne, dont la narration a toujours privilégié, avant tout, la lisibilité, étaient beaucoup plus « enfantins » et plus « cartoonesques » : du moins en ce qui concerne les six premiers volumes publiés en albums chez Oberon aux Pays-Bas ; la suite (aux éditions Big Balloon) s’adressant beaucoup plus aux adultes et aux ados, tant par le thème que par le dessin « ligne claire » de Kuijpers, devenu plus souple et plus élégant, n’hésitant pas à montrer, le plus souvent possible, la belle archéologue dans le plus simple appareil…

Quoi qu’il en soit, si le succès est enfin au rendez-vous, les éditions BD Must vont avoir du pain sur la planche puisqu’il reste encore, au moins, dix aventures palpitantes de « Franka » à traduire :
- « De Terugkeer van de Noorderzon » (« Le Retour du soleil du nord », publié dans Eppo entre 1977 et 1978 : album n°3 d’Oberon, en 1978)
- « De Wraak van het Vrachtschip La Vengeance du cargo » : album n°4 d’Oberon, en 1979) : les albums 3 et 4 formant un seul récit complet (« Het geheim van het spookschip »).
- « Het Monster van de Moerplaat » (« Le Monstre du marais » : album n°6 d’Oberon, qui comprend aussi les courts récits « De Pyromaan Le Pyromane ») et « De Saboteur », en 1982)
- « GangsterfilmFilm de gangsters » : album n°10 chez Big Balloon, en 1992)
- « De Vlucht van de Atlantis » (« Le Vol d’Atlantis » : album n°11 chez Big Balloon, en 1993)
- « De Blauwe VenusLa Vénus bleue » : album n°12 chez Big Balloon, en 1994)
- « De Dertiende LetterLa Treizième Lettre » : album n°13 chez Big Balloon, en 1995)
- « Kidnap » (« Enlèvement » : album n°18 chez Big Balloon, en 2004)
- « Het zwaard van Iskander » (« L’Épée d’Iskander » : album 19 de Big Balloon, 2006)
- « De Witte Godin » (« La Déesse blanche »: album n°20 chez Big Balloon, en 2009).

Quant à son créateur, le scénariste et dessinateur de bande dessinée Henk Kuijpers, il est né le 10 décembre 1946 à Haarlem, aux Pays-Bas. Enfant, il est un lecteur assidu du magazine Donald Duck, de Kuifje (le Tintin flamand) et de Robbedoes, la version néerlandaise du journal Spirou. D’ailleurs, quand il commence à réaliser lui-même des bandes dessinées, loisir auquel il s’adonne pendant toutes ses études, il est alors très influencé par Hergé, Maurice Tillieux et André Franquin : ses auteurs préférés.

Tout en suivant des cours de sociologie à l’Université d’Amsterdam, Henk Kuijpers participe à un concours de dessin organisé par Kuifje, en 1971, pour le vingt-cinquième anniversaire du journal Tintin. Il envoie une première version de « Extrait des mémoires de Georges Longfellow » qui ne sera pas retenue mais qui lui donnera l’occasion de visiter l’exposition réalisée à cette occasion (en octobre et novembre de 1971) et de prendre conscience des réalités techniques de ce métier : comme la nécessité de travailler sur un format plus grand que celui de l’impression.

Alors qu’il est sur le point d’avoir son diplôme, il commence à travailler sur une bande dessinée de dix planches ayant comme sujet le milieu du cinéma. Trouvant opportun de montrer ses planches à quelques professionnels, juste pour avoir un avis, il se rend à la rédaction du magazine hollandais Pep, en mai 1973 : et, au bout de cinq minutes, il est engagé ! Les responsables de l’hebdomadaire (Frans Buissink et Jan de Rooy) lui publient donc ses premiers récits complets(6) et lui accordent même de travailler sur un long récit : « Het Misdaadmuseum », lequel paraîtra dans Pep du n°48 de 1974 au n°16 de 1975. Et quand les éditeurs lui demandent une suite, n’étant pas très satisfait des personnages de cette première histoire, il a l’idée de se concentrer sur l’un des personnages féminins : « Franka » !

Dans le n°82 de l’indispensable revue Hop ! (du 2ème trimestre 1999) qui contient un dossier très documenté sur lui, Henk Kuijpers explique à Marc-André Dumontheil que « Dans cette première histoire, Franka n’est pas l’héroïne en titre. Elle travaillait pour le Musée du crime parce que, à l’origine, mon intention était de baser l’histoire sur une équipe de professionnels du crime (mais pas des criminels…). Dans l’épisode test de dix pages, j’avais attaqué avec des personnages qui travaillaient dans le milieu du cinéma (cascadeur, scénariste, etc.) et qui étaient des spécialistes pour ce genre de films. Lors de la parution du premier épisode, j’ai changé le titre « De Staatsgreep » (c’est-à-dire « Le Coup d’état » qui correspondait au nœud de l’intrigue) en « Het Misdaadmuseum » (« Le Musée du crime ») ».

À partir de là, outre un court récit réalisé pour la revue BaberidaTalentenjacht »,que l’on peut traduire « La Chasse aux talents », en 1974) et de nombreux travaux publicitaires, entre autres pour le magazine Margriet, Henk Kuijpers ne se consacrera plus qu’à « Franka » : une série publiée désormais en Allemagne, au Danemark, en Suède, en Norvège et en Espagne ! Partant d’un style graphique très proche de ses idoles belges, cet artiste perfectionniste, qui sait toutefois donner libre cours à une certaine fantaisie débridée tout en aiguisant son sens du détail dans les décors, a su, régulièrement, faire évoluer son trait aussi vif que maîtrisé, sous l’influence d’auteurs plus modernes tels que Yves Chaland ou Serge Clerc : d’ailleurs, en 1990, il a reçu le « Stripschapsprijs » : la distinction la plus importante pour un créateur de bande dessinée, aux Pays-Bas :

GILLES RATIER, avec Christophe Léchopier (dit « Bichop ») à la technique

(1) Attention, le tirage étant limité à 800 exemplaires (chacun de ces quatre titres est, en plus, accompagné d’un ex-libris numéroté et signé par l’auteur), il ne faut pas tarder à commander ces albums très bien imprimés et réalisés : le prix de vente étant de 19,90 euros par album, soit 79,60 euros pour les quatre titres (frais de port inclus). Pour plus de renseignements, voir le site de la librairie BD Must : http://www.bdmust.be/djp_Franka.htm.

(2) Depuis 1992, les aventures de « Franka », souvent réactualisées (pour ce qui concerne les anciens épisodes), sont aussi publiées dans le magazine de télévision TV Veronicagids (c’est le périodique le plus lu par les Hollandais, avec plus de 1 250 000 ventes hebdomadaires) et, depuis 1997, Henk Kuijpers édite lui-même Franka Magazine : un fascicule de 16 pages rempli de documents de travail, de reproductions et de commentaires de l’auteur, que ce dernier destine plus particulièrement aux nombreux fans hollandais, friands du merchandising qui tourne autour de la jeune héroïne (ce sont divers produits dérivés comme des tee-shirts, des sérigraphies, des affiches, des port-folios, des tirages de luxe, des statuettes…) ; voir le site officiel de « Franka » : http://www.franka.nl.

(3) Ce 21ème titre, « De Zilveren Vlam » que l’on peut traduire littéralement « La Flamme d’argent », forme, avec les albums 19 et 20, un seul récit complet intitulé « De Reis van de Ishtar » (« L’Odyssée du Ishtar ») !

(4) Un grand merci au très érudit site hollandais http://lambiek.net, à celui d’Eppo (http://www.eppostripblad.nl) et à l’article « Flandre et Pays-Bas » de la nouvelle édition du « Dictionnaire mondial de la BD » de Patrick Gaumer : ils nous ont été très utiles pour y voir plus clair dans cet imbroglio éditorial !

(5) Il s’agit des épisodes suivants :
- « Le Musée du crime » (« De Staatsgreep » dans Pep en 1974 et re-titré « Het Misdaadmuseum » pour l’album Oberon de 1978) : 46 planches publiées du n°2240 (du 19 mars 1981, avec une demi-page de présentation) au n°2250 (du 28 mai 1981) de Spirou ; une demi-planche annonce étant paru au n°2239; album broché au quatrième trimestre de 1981 chez Dupuis
Le Chef d’œuvre » (« Het Meesterwerk » dans Eppo entre 1975 et 1976, album Oberon en 1978) : 44 planches publiées du n°2292 (du 18 mars 1982) au n°2300 (du 13 mai 1982) de Spirou ; album broché au quatrième trimestre de 1982 chez Dupuis, sous le titre « L’?uvre d’art »
- « Le Pyromane » (« De Pyromaan » dans Eppo en 1979) : 12 planches publiées du n°2309 (du 15 juillet 1982) au n°2311 (du 29 juillet 1982) de Spirou
- « Drôle de cirque » (« Circus Santekraam » dans Eppo en 1980, album Oberon en 1981) : 38 planches publiées du n°2351 (du 5 mai 1983) au n°2361 (du 14 juillet 1983) de Spirou ; album broché, réunissant aussi les 5 planches datant de 1979 et intitulées « La Journée des animaux » (« Dierendag » dans Eppo en 1979), au quatrième trimestre de 1983 chez Dupuis.

(6) Thierry Martens, dans le n°29 de Hop !, au deuxième trimestre 1982, a listé les histoires suivantes qui seraient parues dans Pep et qui n’auraient pas « Franka » comme protagoniste :
- « Le Dernier des derniers des derniers récits de Noël » au n°51 de 1973
- « Extrait des mémoires de Georges Longfellow : le 12 mai 1907 » au n°6 de 1974
- « La Mutinerie de la Sirène » au n°37 de 1974

Mais, peut-être, il y en a-t-il eu d’autres ?

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3 réponses à « Franka » d’ Henk Kuijpers

  1. renaud045 dit :

    J’ai découvert Franka dans SPIROU à sa publication et j’avais été charmé par le magnifique trait de l’auteur, un maître de la ligne claire.
    Les albums humanos sont splendides.
    Une série que le public français a loupé tout simplement.

    • Bdzoom dit :

      Chers lecteurs de mes « Coins du patrimoine« , j’ai beau être le plus consciencieux possible quand je rédige mes articles, sachez qu’il y a toujours un risque d’erreur ou d’oubli ! C’est encore ce que je viens de constater en redécouvrant une page publiée en langue française, complètement inédite, mettant en scène « Franka » ! Il s’agit de l’hommage (intitulé « Office du tourisme« ) qu’a réalisé Henk Kuijpers dans l’album « Hommage à Albert Uderzo : Astérix et ses amis » publié chez Albert-René en 2007 : à rajouter donc à cette bibliographie francophone que je croyais pourtant complète !
      Avec toutes mes excuses…
      Gilles Ratier

      • Bdzoom dit :

        Décidément, j’en découvre tous les jours ! Tout d’abord, le titre de la 21ème aventure de « Franka » que publie Eppo actuellement est intitulée « Het Zilveren Vuur » (littéralement « L’Incendie d’argent« ), et non « De Zilveren Vlam », titre pourtant annoncé ainsi sur le site d’Henk Kuijpers. D’autre part, pour le lancement de la nouvelle formule, Eppo a offert à ses abonnés un bel ouvrage cartonné de 48 pages (« Eppo Forever« ) contenant un historique de la revue en 6 pages (en néerlandais, évidemment) et 4 histoires inédites de leurs principales séries : 8 pages de « De Partners » de Carry Brugman (dessins) et Dick Matena (scénario), 8 pages de « Storm » par Romano Molenaar, Jorg De Vos (dessins) et Martin Lodewijk (scénario), 7 pages de « Agent 327 » par Martin Lodewijk (dessins et scénario) et 8 pages de « Franka » d’Henk Kuijpers : une courte enquête intitulée « Mini Story » ! Il suffit de s’abonner à Eppo pour recevoir cet album !
        Si je trouve d’autres informations du même type, je vous tiendrais régulièrement au courant…
        Cordialement
        Gilles Ratier

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