Désormais privé de son regretté scénariste et ami Hubert, le dessinateur Zanzim nous revient en auteur complet, quatre ans après le succès public et critique de leur « Peau d’homme » (1), avec un roman graphique aussi drôle que tendre et profondément humaniste. Il nous narre l’histoire tragico-comique de Stanislas : un petit – 1,57 m — vendeur de chaussures introverti, complexé et fétichiste, rejeté par tous. D’autant plus qu’il n’est également pas très grand dans sa tête, car il se comporte, la plupart du temps, de façon carrément maladive par rapport aux femmes (surtout si elles sont de grandes élégantes !) et que son gabarit va encore diminuer après avoir fait le vœu de devenir « un grand homme », au point de n’être pas plus grand qu’un insecte… : mais, au fait, que signifie être un grand homme ?
Lire la suite...« Astérix T11 : Le Bouclier arverne » par Albert Uderzo et René Goscinny
À quelques jours à peine de la parution événementielle du 33ème tome des aventures du plus célèbre gaulois du 9e art (« Astérix chez les Pictes », par Didier Conrad et Jean-Yves Ferri – parution le 24 octobre 2013), il apparaissait judicieux d’évoquer la saga au travers d’une méticuleuse analyse de planche. Rappelons, qu’au sein de cette rubrique, ce nouveau rendez-vous – désormais mensuel – devrait permettre aux lecteurs de tous âges de mieux comprendre les procédés et techniques narratives employés par les différents auteurs évoqués. Pour cet article, notre choix s’est porté sur la surprenante planche introductive du 11ème titre de la série, « Le Bouclier arverne », album particulier dans la mesure où il évoque un pan important de la mémoire nationale, sinon du mythe gaulois. Selon Goscinny et Uderzo, après la reddition de Vercingétorix à Alésia, son bouclier a en effet été dérobé par un soldat romain. Quelques années plus tard, Jules César veut le retrouver afin de manifester symboliquement une fois de plus sa victoire sur la Gaule…
Prépublié dans le journal Pilote du n° 399 (15 juin 1967) jusqu’au n° 421 (16 novembre 1967), « Le Bouclier arverne » sera ensuite publié en album en janvier 1968, en atteignant des ventes records pour l’époque (plus d’un million d’exemplaires). Si l’on pourrait songer au bouclier de Brennus (vainqueur des Romains au IVème siècle av. J.-C. et auteur de la sentence « Vae Victis » (« Malheur aux vaincus » )), le titre de l’album évoque bel et bien directement le bouclier utilisé par le « roi des très grands guerriers », selon le qualificatif signifié par le terme nominal de « Vercingétorix ». Né aux environs de – 80 av. J.-C. sur le territoire (l’actuelle Auvergne) du clan des Arvernes, ce jeune aristocrate se formera initialement aux méthodes de guerres romaines, en échange de sa coopération et de ses connaissances du pays et des pratiques de la Gaule chevelue (terres non encore conquises par Rome, à l’ouest d’une ligne allant des Pyrénées jusqu’au Rhin). Ce n’est qu’à partir de – 53 av. J.-C., prenant appui sur un solide mécontentement des principaux peuples gaulois envers l’envahisseur, que Vercingétorix devient l’adversaire déterminé de Jules César, le farouche gaulois étant magnifié par la future légende de l’Histoire de France.
La première case de la planche inaugurale du « Bouclier arverne » rompt avec l’habituelle présentation aérienne du village, des personnages secondaires et des principaux héros, Astérix et Obélix. Tous ces éléments, renvoyés en page 2, cèdent ici la place à une double introduction scénaristique : par un effet de flashback, le lecteur relie une tranche d’histoire, et non des moindres, car il s’agit de la fameuse reddition de Vercingétorix à César après la bataille d’Alésia (en octobre de l’année – 52). Ce moment tragique est repris de manière humoristique dans une savoureuse parodie qui détourne elle-même la peinture pompière retraçant les mêmes évènements avec une vision déformée : dans la réalité historique, Vercingétorix fut probablement livré désarmé et entravé aux troupes romaines. Dans le tableau « Vercingétorix jette ses armes aux pieds de César » (peinture de Lionel Royer, 1899, Musée Crozatier du Puy-en-Velay) comme dans toute l’historiographie française nationaliste du 19ème siècle, le rituel classique de reddition était pourtant devenu tout autre : celui du sacrifice d’un jeune chef gaulois héroïque au destin tragique, sortant d’Alésia sur son cheval blanc, traversant fièrement les lignes romaines et le camp romain, se présentant devant César et jetant avec dédain (ultime défi) ses armes au pied du vainqueur. Cette célèbre image d’Épinal se transmue ici en auto-parodie : les armes sont jetées sur les pieds de César, ceci dans une quasi-reprise de la case 2 de la première planche de l’album « Astérix le gaulois » (publié en album en octobre 1961). Rappelons pour être complet que cet « épisode fantasmé » fut relaté initialement par Dion Cassius et Plutarque, qui s’inspiraient probablement d’un texte perdu de Tite-Live. Elle diffère du récit beaucoup plus concis et moins romantique fait par César dans « La Guerre des Gaules » : les chefs sont amenés captifs devant César, les armes (casques, javelots et épées) sont jetées au pied du vainqueur, sans plus…
En cases 1 et 2, Uderzo a choisi de représenter Vercingétorix (géant moustachu aux longs cheveux blonds ou roux) sur le modèle de la statuaire nationaliste du 19ème siècle, dans la mesure où il avait fallu attendre 1865 pour voir se réaliser les statues officielles monumentales du héros patrimonial à Alise-Sainte-Reine (par Millet, 1865) et Clermont-Ferrand (par Frédéric Auguste Bartholdi, 1903). Pourtant, aucune sculpture antique représentant Vercingétorix n’a jamais été retrouvée, et des doutes subsistent encore sur les rares monnaies (statères d’or et de bronze) inventoriées depuis les années 1950. Peintres, illustrateurs et sculpteurs ont donc tous imaginé leurs héros, reprenant à bon compte l’image archétypale du Gaulois grand, chevelu et moustachu.
C’est en regardant et étudiant la construction générale de cette planche que l’art scénaristique de Goscinny prend tout son sens. Divisée en quatre strips, quatre phases et quatre temps, la page amorce les effets perpétuellement mis en scène dans la saga : soit une situation initiale historique perturbée, un aller et un retour des principaux protagonistes (ces derniers devant mener à terme leur mission), et une mécanique du gag volontiers régénératrice (l’effet de bas de page se conclue ici sur un effet cependant inverse, comme nous le verrons…).
Tout au long de cette planche, l’histoire est prise en charge par un narrateur omniscient et imperturbable. Le temps s’y écoule de telle manière que notre regard peut suivre la succession du ciel bleu (1er strip), du déclin du jour (2ème strip) et d’une nuit de pleine lune (3ème et 4ème strip). La rondeur représentée doublement par le bouclier arverne et l’astre lunaire semble peu à peu disparaître du cadre, happée par une mise en case de plus en plus réduite, synonyme d’ « oubli » comme en témoigne l’utile encadré du récitatif. Nous nous apercevons alors que le phénomène de diminution atteint différemment le narratif verbal (bulles) et le narratif iconique. Alors que les cases diminuent et que l’intervalle blanc (la « gouttière » traditionnelle) augmente, nous observons que les textes restent de la même largeur, reliés les uns aux autres par des points de suspension qui instaurent une certaine durabilité. La lisibilité des différents strips est à priori immédiate – notamment pour les plus jeunes lecteurs – dans la mesure où le décor est à chaque fois inchangé (l’intérieur du camp roman, l’extérieur, l’entrée de la taverne) et les protagonistes très peu nombreux. Toutefois, une complexité narrative et graphique apparaît dans les trois dernières cases de cette planche : à la case 9, le centurion aviné s’apprête à entrer dans l’auberge en traînant derrière lui le MacGuffin (nous renvoyons les curieux à ce célèbre objet hitchcockien !) de cette aventure, mais, pourtant, l’encadré narratif précède déjà l’action illustrée en évoquant un échange du bouclier à l’intérieur de la taverne. Case 10, c’est un invisible guerrier gaulois qui est évoqué comme récepteur dudit bouclier, mais nous n’entendons que sa voix et le lecteur ne l’aura au préalable pas vu arriver chez le marchand de vins et boissons. Enfin, case 11, une ombre désarticulée et ébranlée par l’alcool se devine dans la nuit, sortant de l’auberge, mais la case est devenue trop petite pour que le lecteur puisse identifier le personnage (au mieux devine-t-on un bouclier et un casque – gaulois – avec des cornes…). L’encadré narratif redevient in fine en concordance avec l’iconique, mais le mystère demeure…
Dans les 6 dernières cases de cette planche, un seul élément est immuable : la Lune, logée dans le coin supérieur droit de chaque case, environnée d’un ciel bleu nuit. Si le temps défile (le soleil s’est effectivement couché et les possesseurs du bouclier se succèdent), paradoxalement, la Lune est figée. Elle semble changer de place aux cases 6, 7 et 8 pour souligner un double moment (perte du bouclier au jeu et récupération du bouclier par un « centurion abusif ») mais cette non-concomitance temporelle est vite effacée par l’ultime strip où l’astre lunaire se repositionne telle un artifice de théâtre : scène, éclairage et narrateur demeurent. Goscinny et Uderzo emploient de fait ici un procédé très élaboré : celui de la syncope ou du métaplasme, selon le nom donné à cet effet littéraire consistant à supprimer des éléments sans perte de sens pour l’énonciataire (ce destinataire étant le lecteur). Seules les actions essentielles à cette séquence programmatique sont illustrées, alors que l’ensemble des échanges aurait logiquement mérité au minimum une page de plus. Dans la 10ème et avant-dernière case, la bulle traduisant les paroles du bougnat auvergnat est expulsée hors du cadre devenu trop réduit, mais enrichi l’expression des archétypes (le premier, par son accent, étant bien l’expression dialogué du décor, précisément un lieu de vente de vin et de charbon). Entre voix interne, décor externe, expression et impression, jeu sur le temps et l’espace, la planche d’Uderzo et Goscinny se charge d’une compréhension absolue : le verbe et le graphique, comme souvent chez ce remarquable duo d’auteurs, y triomphent doublement. En se perdant au final dans le blanc (de la page) comme dans le vin, le récit offre une métaphore de l’oubli, cette configuration initiale exigeant à l’évidence dans la suite de l’album plusieurs effets de réminiscence (aux planches 27, 33, 40 et 41). Gageons qu’en atteignant la page 2 de l’album, où se réveille l’énonciataire traditionnel (grande case sur le village, couleurs et multitude personnages dont les héros), le lecteur se sera pénétré d’une nouvelle certitude sémiologique et sémiotique : la bande dessinée, tels Vercingétorix, Astérix ou Obélix, est décidément irréductible…
Philippe TOMBLAINE
« Astérix T11 : Le Bouclier arverne » par Albert Uderzo et René Goscinny
Éditions Dargaud et Hachette – 1ère publication en 1968 (9, 90 €)
ISBN : 978-2012101432
Brillante analyse, comme à chaque fois. Bravo.
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